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Editorial – Splendeurs et misères du multilatéralisme
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“Liberté, Droit, Justice, affaire de mitraille !”

Louise Ackermann, “La guerre” in Poésies Philosophiques

Par François Gaüzère-Mazauric et Jean Galvé

 

Le 14 avril dernier à 01:00 GMT, la France a joint ses capacités militaires à des frappes sur la Syrie, coordonnées avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Selon le chef d’Etat-major des armées François Lecointre, et la ministre des Armées Florence Parly, les 9 missiles SCALP (Système de Croisière Conventionnel Autonome à Longue Portée), tirés par les Rafales et Mirages-2000, et les trois missiles MCDN lancés depuis une des trois Frégates Multi-missions ont tous atteint leurs objectifs.

 

Les gouvernements français, américain et britannique ont immédiatement salué la réussite de l’opération militaire, dans les faits largement contenue pour éviter toute escalade. La temporalité des frappes, déclenchées près d’une semaine après l’annonce d’une réaction occidentale à l’utilisation d’armes chimiques par les forces armées syriennes, et la communication intense en amont montrent qu’il s’agit là d’un acte essentiellement symbolique, au sens où il ne répond pas à une stratégie de guerre sur le long terme ; pour preuve, Donald Trump, quoiqu’associé à ces frappes, avait le 4 avril dernier manifesté le vœu de retirer les troupes américaines de Syrie ; Emmanuel Macron, interviewé le 15 avril, a déclaré que la France et la Grande-Bretagne l’avaient convaincu de revenir sur sa décision. Ces propos ont toutefois été démentis ce matin par le président des Etats-Unis : les Américains se retireront bien du territoire syrien.

 

L’effet de surprise n’aura pas été le point fort des frappes, loin s’en faut ; et il ne fait aucun doute que le temps accordé a été mis à profit pour déplacer les personnels et matières transportables vers les sites militaires russes bénéficiant de facto d’une immunité.

 

Pour être largement symboliques, ces frappes ne sont pas vaines. Souvenons-nous de la reculade de Barack Obama qui, en août 2013, après avoir fait de l’usage des armes chimiques une “ligne rouge”, avait, par prudence, délibérément choisi de ne pas intervenir. Cette décision n’avait certes pas conduit à l’augmentation des tensions sur place ; mais elle avait, de l’aveu même de ses partenaires, Japonais et Israéliens au premier rang, affaibli la garantie américaine.

 

L’opération du 14 avril dernier est absolument illégale. Rien dans le droit international n’autorise des Etats étrangers à intervenir militairement contre un autre Etat souverain en l’absence d’un mandat explicite du Conseil de Sécurité.

 

Pour autant l’opération du 14 avril dernier est légitime : elle montre qu’en cas de paralysie du multilatéralisme onusien – en l’espèce occasionnée par un véto russe – les trois pays ne sauraient rester impuissants devant des actes criminels unanimement réprimés. La Russie avait d’ailleurs elle-même voté, en septembre 2013, la résolution 2118 ordonnant l’élimination des armes chimiques syriennes au premier semestre 2014.

 

Cette opération constitue un tournant majeur, en ce qu’elle marque la fin d’une candide confiance, de la part des démocraties libérales, dans un multilatéralisme garant de l’équilibre international. Il faut toutefois craindre que la légitimation d’un principe réaliste qui s’affranchirait de l’assentiment des Nations Unies n’endommage encore un peu plus les derniers reliquats du rêve onusien : l’ONU n’a pas réussi à s’imposer comme l’instance ultime d’autorisation de la violence armée. De fait, ses pouvoirs et son crédit sortent claudicants des frappes coordonnées.

 

C’est tout le paradoxe de cette intervention : pour demeurer les hérauts du droit international et de la gouvernance multilatérale du monde, les démocraties libérales doivent désormais répondre à la violence par un acte illégal d’autorité. Le multilatéralisme git dans le fracas des armes, parmi les ruines du grand rêve wilsonien.

 

Mais pour être légitime, cette dialectique entre violence et droit doit se résoudre dans l’exigence et l’espérance du droit : un acte illégal mais légitime ne peut se justifier que s’il a pour objectif la restauration du droit.

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