Now Reading:
Négociations avec les Taliban : quelle stratégie pour les Etats-Unis ?
Full Article 4 minutes read

Par Simon Roche et Xavier Marié

 

 

Les Etats-Unis auraient entrepris des négociations directes avec les Taliban, possible signe d’un tournant décisif dans la guerre qu’ils conduisent en Afghanistan depuis plus de dix-sept ans. Une équipe de diplomates menée par Alice Wells, représentante du Secrétariat d’Etat et ancien Ambassadeur en Jordanie, aurait rencontré au Qatar des représentants officiels de la mouvance islamiste, sans que la réunion n’ait été officiellement reconnue par les autorités américaines. Est-ce là le signe d’une volonté de paix en Afghanistan ?

 

Bon nombre d’indices semblent converger en ce sens. En juin, un bref cessez-le-feu général à l’initiative du président Ghani et à l’occasion de la fin du Ramadan avait vu se côtoyer en un moment historique civils, forces gouvernementales et Taliban. Lundi 31 juillet, la porte-parole du secrétariat d’Etat a affirmé : « si vous pouvez obtenir un cessez-le-feu de quelques jours, peut-être pouvez-vous en obtenir un qui dure plus longtemps, et cela donne de l’espoir au peuple afghan ». Mais c’est du côté taleb que les signaux ont été les plus positifs comme ils l’ont exprimé publiquement dans la presse (Reuters), même s’il convient de faire preuve d’une grande prudence à cet égard.

 

Et pourtant, grand absent de ces négociations, le gouvernement officiel afghan pourrait en être la grande victime. En effet, les Taliban ont toujours renié la volonté de négocier directement avec le pouvoir officiel, réservant cette exclusivité aux Américains. Ces négociations apportent donc encore davantage de complexité à l’imbroglio afghan, alors que les Etats-Unis soutiennent toujours officiellement la position du gouvernement en faveur d’un traité de paix proprement afghan. Ces négociations pourraient alors être la marque d’un changement dans la stratégie des Etats-Unis, d’autant plus que les Taliban ne semblent pas vouloir revenir sur la condition d’un retrait total des troupes américaines (et de toutes les forces étrangères) d’Afghanistan comme préalable à tout accord de paix.

 

Côté américain, cette intensification des négociations traduit une certaine frustration devant la situation sur le terrain et une volonté de profiter du succès inespéré du cessez-le-feu de juin. Côté taleb, les motivations sont moins claires car les Taliban sont toujours en assez bonne posture dans le pays et ils seront inflexibles sur certaines dispositions telles que l’application de la charia dans le pays ou le retrait intégral des forces étrangères. Selon des experts, ils pourraient eux aussi vouloir utiliser l’opportunité ouverte par le cessez-le-feu pour avancer leurs positions, telles que la liberté de circulation dans certaines régions qu’ils contrôlent ainsi qu’une deuxième trêve en août à l’occasion de l’Aïd.

 

Ces négociations sont peut-être la conséquence directe d’un nouveau rapport de forces sur le théâtre afghan, qui voit aujourd’hui s’affronter principalement les Etats-Unis et les forces taleb (auxquelles s’ajoute désormais Daech). Ainsi, selon des sources anonymes, rapportées par le New York Times, les forces américaines auraient pour ordre d’abandonner les zones rurales faiblement peuplées pour se concentrer principalement sur les grandes zones urbaines du pays : Kaboul, Kandahar, Kunduz, Mazar-i-Sharif et Jalalabad. Ce plan, qui rappelle les stratégies des précédentes administrations, fait donc le choix de se concentrer sur la population urbaine, qui ne comprend qu’environ un quart de la population totale de l’Afghanistan selon la CIA, le reste étant dispersé à travers les vastes étendues rurales. La première conséquence de cette stratégie est le renforcement de l’emprise taleb sur les zones rurales, les forces gouvernementales étant incapables de les défendre de manière autonome. Cet état de fait a été confirmé par le général John W. Nicholson, commandant de la coalition menée par les Etats-Unis en Afghanistan durant une conférence à Bruxelles le mois dernier.

 

Les propos et les conclusions de la réunion ne sont pas aujourd’hui connus. Mais, tant du point de vue militaire que diplomatique, le gouvernement de Kaboul semble ces derniers jours plus que jamais marginalisé au sein du conflit afghan.  Une paix signée entre les Etats-Unis et les Taliban, aussi invraisemblable qu’elle soit, serait des plus néfastes pour lui. Cependant, il est aujourd’hui surréaliste d’imaginer que les Etats-Unis abandonneraient ainsi un gouvernement qu’ils ont si âprement défendu depuis dix-sept ans, au prix de dizaines de milliers de morts et de blessés.

Input your search keywords and press Enter.