Now Reading:
Quelle application de la stratégie du « porc-épic » à Taïwan ?
Full Article 6 minutes read

Quelle application de la stratégie du « porc-épic » à Taïwan ?

Une stratégie de défense asymétrique

La prise de conscience par certains membres de l’appareil militaire taïwanais que la nation insulaire ne pouvait plus se défendre de manière effective en cas d’invasion par l’armée chinoise (APL) a entraîné l’introduction en 2017 du « concept de défense globale » (整體防衛), aussi appelé « stratégie du porc-épic » (1), par l’amiral taïwanais Lee Hsi-ming (2). Cette stratégie a pour objectif d’interdire l’accès de l’île en affaiblissant l’armée chinoise dans la zone littorale, avant que celle-ci ne puisse atteindre l’île.

Les armes adaptées au combat asymétrique sont des système d’armes de petite taille, précis, létaux, dispersés, bon marchés et flexibles sur le plan opérationnel afin d’être utilisés pour mener une campagne de déni d’accès prolongée dans les airs, en mer et sur le sol (3). Il s’agit d’armes anti-aériennes et de défense aérienne mobiles à courte portée, des drones, des armes antichars et anti-navires. Par exemple, le système d’armes rapprochées Phalanx, le missile Hellfire, ou les missiles Javelin et Stinger, armes à courte portée et peu coûteuses, sont adaptées au combat asymétrique car plus difficiles à détruire que les armes lourdes conventionnelles. A ce titre, Taïwan cherche à étendre son arsenal de drones pour fournir des informations de reconnaissance et de ciblage et développe des armes nationales comme le drone Teng Yun. L’obtention de drones et de radars mobiles améliorera les capacités de Taïwan en matière d’alerte précoce et de surveillance à longue portée.

Dans un contexte d’asymétrie des ressources militaires entre la Chine et Taïwan, Taipei cherche d’une part à rationaliser son arsenal en déployant des armes à faibles coûts. D’autre part, Taïwan peut tirer partie de ses avantages géographiques naturels et de ses installations civiles. En temps de guerre, des troupes terrestres camouflées peuvent être déployées dans des emplacements tactiques tels que des villes, des jungles, des montagnes. De plus, le relief, les littoraux et le climat subtropical, chaud et pluvieux sont contraignants pour l’atterrissage des forces aériennes chinoises, tandis que peu de plages sont propices au débarquement de troupes.

La zone côtière est la zone où l’armée taïwanaise peut causer de lourdes pertes à l’ennemi car les opérations de débarquement à grande échelle sont contraignantes. Des milliers de soldats et du matériel lourd doivent en effet être transportés à travers le détroit de Taiwan. Pendant le voyage, la puissance de combat de l’ennemi sera limitée. L’Armée populaire de libération est donc la plus vulnérable lorsqu’elle est proche de la plage de débarquement.

Enfin, l’un des principaux objectifs de Taiwan est de préparer les Taïwanais à la guérilla en formant la population à l’utilisation d’armes qui peuvent être déployées dans les combats urbains, telles que les systèmes de défense antiaérienne portables (MANPADS), les armes antiblindées mobiles et les systèmes de roquettes d’artillerie à haute mobilité ( HIMARS ).

Le dilemme de l’ambiguïté stratégique

Malgré l’encouragement des Etats-Unis sur l’adoption de la « stratégie du porc-épic », la majeure partie du budget de la défense taïwanais reste consacrée à des navires et des avions coûteux que la Chine peut détruire rapidement. Plutôt que de poursuivre une fortification asymétrique de l’île, Taïwan a cherché à acquérir des missiles à longue portée pour dissuader l’invasion chinoise en menaçant de frapper le continent chinois. En effet, les experts militaires taïwanais considèrent que Taïwan ne peut pas compter uniquement sur une guerre asymétrique pour dissuader une attaque chinoise : selon eux, l’île doit trouver un équilibre entre le déploiement d’armes militaires et le développement de stratégies et de tactiques pour faire face à différents types de guerre.(4)

En fait, le débat sur la stratégie de défense taïwanaise est lié à l’intervention ou non des Etats-Unis dans un hypothétique conflit entre Taipei et Pékin. Dans l’hypothèse d’une abstention américaine, Taïwan doit pouvoir miser sur ses propres moyens en prenant pleinement partie de ses ressources limitées. L’ambiguïté stratégique maintenue par les Etats-Unis depuis 1979 a apporté une confusion dans la politique d’achat d’armes de Taïwan, malgré la promesse par le président Joe Biden en septembre 2022 d’une réponse militaire américaine si la Chine tentait d’envahir Taïwan.

Les adeptes de la stratégie du « porc-épic » pensent que cette stratégie peut contenir l’invasion chinoise suffisamment longtemps avant que les Etats-Unis n’interviennent ; cependant, les experts se contredisent sur la capacité de cette stratégie à contenir une invasion chinoise. Ainsi, l’encouragement par les Etats-Unis d’une stratégie asymétrique peut sous-entendre deux choses contradictoires : soit une volonté de ne pas s’engager de manière trop affirmée dans le conflit en ne vendant pas d’armes lourdes, soit une volonté d’intervenir efficacement en laissant à Taïwan le temps de contenir les attaques chinoise. Dans ce cas de figure, les Etats-Unis détiendraient alors le monopole sur l’utilisation des armes conventionnelles.

Quoi qu’il en soit, Washington ne déploiera pas de forces dans des scénarios autres qu’une invasion totale de l’île. Or, il est tout à fait possible que Pékin affaiblisse Taïwan sans déclencher une guerre totale, via la mise en place d’un blocus maritime visant à isoler Taïwan ou en coupant ses câbles sous-marins. Dans de tels cas, des moyens conventionnels tels que des chasseurs, des frégates et des sous-marins permettraient à Taïwan de faire face à un plus large spectre de types de guerre.

1 :  Telle un porc-épic qui durcit ses nombreux piquants face à un prédateur plus important que lui, l’armée taïwanaise pourrait dissuader une attaque de l’APL en lui infligeant des dommages grâce à des armes plus petites et dispersées. Ainsi, malgré le déficit indéniable des ressources militaires de Taïwan par rapport à l’APL, Taïwan pourrait se défendre efficacement grâce à une stratégie de déni d’accès aussi bien aérienne que maritime.

2 :  https://www.taipeitimes.com/News/front/archives/2022/10/10/2003786745

3 : https://forward.org.tw/taiwan-odc/

4 : https://texasnsr.wpenginepowered.com/wp-content/uploads/2021/12/TNSR-Vol-5-Issue-1-Timbie-and-Ellis.pdf

Input your search keywords and press Enter.