Par William Lenfant
Qu’il semble loin le temps où le maréchal Haftar menaçait d’ébranler les intérêts français. Début 1990, le président tchadien, Hissène Habré cachait aux services français la mise en place d’une « force Haftar » dont le rôle aurait été de renverser le régime de Kadhafi pour s’emparer du pétrole au sud de la Libye. Alors chef du corps expéditionnaire libyen, Haftar avait été capturé avec ses hommes par le Tchad lors d’un raid à la frontière tchado-libyenne et avait fait allégeance à Habré. Il avait même planifié une covert action avec l’aide de la CIA. Les 2000 soldats libyens détenus avaient été « retournés » contre le régime de Kadhafi, soutenu par la France. Ce projet ne verra pas le jour : Claude Silberzahn parvient à convaincre les services français de s’appuyer sur Idriss Déby, qui quitte le Soudan à la tête des Zaghawas afin de prendre d’assaut le régime d’Habré qui s’écroule. Le président Déby devient un précieux affidé, tandis qu’Haftar symbolise l’instrument d’une trahison à l’encontre des intérêts de la diplomatie française.
Aujourd’hui, le maréchal est courtisé par l’ensemble des forces médiatrices présentes dans le dossier de la crise sécuritaire libyenne, dont Paris. Selon Maghreb Confidentiel, les trois principaux parrains étrangers, à savoir, la France, les Émirats arabes unis et l’Égypte se sont réunis le 22 janvier. Les discussions se seraient concentrées sur la possibilité de soutenir et de faciliter la progression de l’auto-proclamée Armée Nationale Libyenne (ANL) au sud de la Libye, dans le Fezzan. L’ANL opère selon trois lignes directrices. D’abord, la lutte antiterroriste, à l’instar de la prise de Derna aux mains des brigades salafistes en juin 2017. Puis, la volonté d’éliminer les « rebelles » tchadiens identifiés par le régime de Déby, allié du maréchal. Enfin et surtout, la prise de contrôle des champs de pétrole de la région, dont celui de Sharara, le plus grand du pays, qui alimente la principale raffinerie de l’ouest située à Zawiya. Le site est régulièrement mis à l’arrêt par les milices Touaregs sensées le protéger, qui réclament des hausses de leur rémunération. Si Haftar parvenait à prendre le contrôle du sud, il pourrait sécuriser puis pérenniser la production pétrolière de la région pour finalement décider à qui en céder l’usage, renforçant une fois encore son autorité.
Après la victoire de Derna, Haftar avait appliqué sa propre politique de l’or noir, qui consistait à confier la gestion et les revenus des principaux terminaux (Ras Lanouf et Al Sedra) à une compagnie dépendante des autorités de l’est libyen, aux dépens du gouvernement El Sarraj. Par ce geste, Haftar avait démontré sa réticence vis-à-vis du gouvernement d’union nationale soutenu par Paris, mais aussi prouvé sa position cardinale dans la recomposition des rapports de force en Cyrénaïque. Ainsi, la conférence de Palerme, qui devait signer le retour de la diplomatie italienne dans ce dossier, est davantage restée marquée par l’absence du général autour de la table des négociations. Le maréchal, après avoir entretenu le mystère sur sa présence, a jugé préférable de prendre part à une « réunion informelle », où il a notamment rencontré des émissaires français, qui semblent avoir posé les jalons de cette nouvelle alliance stratégique.