Par Alexandre Glaser
Le 8 juin 2017 le Conseil Européen a décidé la création au sein de l’État-major de l’Union Européenne (EMUE) de la capacité militaire de planification et de conduite (MPCC). Cette structure statique de commandement et de contrôle au niveau stratégique militaire a pour vocation de permettre au personnel déployé dans le cadre des missions non-exécutives (conseil, formation, entraînements) de se concentrer sur les activités opérationnelles sur leur terrain d’intervention.
La mise en place progressive de dispositifs opérationnels dans le cadre d’une coordination européenne des politiques européennes de défense
Plus encore même que la politique étrangère, la coordination à l’échelle européenne de l’emploi des forces armées et de la politique de défense est difficile à accomplir : ils constituent le cœur de la souveraineté des états. Avec les traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997) et de Lisbonne (2007), l’Union Européenne s’est progressivement dotée d’une compétence de plein droit en matière de sécurité et de défense, tout en restant relativement vague quant aux modalités concrètes de l’exercice de cette compétence dans le cadre de la Politique Etrangère de Sécurité Commune.
L’article 24 du Traité de l’Union Européenne (ex-art 11 du TUE) énonce à cet effet : « La compétence de l’Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune. »[1] Si la formulation reste prudente, distinguant « politique de défense commune » et « défense commune » tout en insistant sur la dimension évolutive du projet, il demeure qu’ont été mis en place depuis Nice un certain nombre d’organes politico-militaire indispensables à la gestion de crise, notamment le COPS[2] et l’EMUE[3].
C’est dans le cadre de l’EMUE qu’a été créée, en juin 2017 la Capacité militaire de planification et de conduite (MPCC), qui assure le commandement et le contrôle militaire, hors de la zone, des missions militaires à mandat non exécutif de l’UE, c’est-à-dire sans déploiement de forces combattantes soit les missions de conseil, d’entraînement et de formation (EUTM Somalia depuis 2010, EUTM Mali depuis 2012 et EUTM RCA depuis 2016). Elle compte aujourd’hui autour de 25 personnes. Il s’agit bien d’une intensification de la politique européenne de défense: « La mise en place de la MPCC est une décision opérationnelle très importante qui renforce la défense européenne. Cela contribuera à rendre les missions non-exécutives européennes plus efficaces et améliorera la formation des soldats des pays partenaires, pour garantir la paix et la sécurité »[4], (Federica Mogherini, haute représentante haut pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est une fonction de l’Union européenne, en juin 2017).
Le projet d’un approfondissement des capacités opérationnelles de l’Union Européenne avait été adopté par le Conseil le 6 mars 2017[5] (« le Conseil approuve la note conceptuelle relative aux capacités de planification et de conduite opérationnelles pour les missions et opérations PSDC ») avant de faire l’objet d’une traduction concrète dans le MPCC.
Une structure de commandement des missions militaires à mandat non-exécutif : le fonctionnement institutionnel du MPCC
Le MPCC a donc pour fonction d’assurer le commandement des missions militaires à mandat non-exécutif, avec pour objectif d’accroître leur efficacité. La réalisation du projet est due en partie au Brexit; le Royaume-Uni était en effet pour le moins réticent à un tel projet (il avait exercé son droit de véto pendant 15 ans, rappelle Nicolas Gros-Verheyde[6]). Dans un entretien accordé à Toute l’Europe[7] Stéphane Rodrigues[8], note que le Royaume-Uni a longtemps « freiné toute velléité de passer à une étape supérieure dans l’Europe de la défense. Le détonateur Brexit est donc incontestable ».
Le MPCC répond tout à la fois d’un sens symbolique et d’une nécessité opérationnelle : symbolique en tant qu’il constitue un premier pas vers une plus grande mise en commun des moyens de défense européens (dans le cadre de la PSCD[9]) – ce qui n’est donc pas synonyme d’une défense commune au sens propre, et d’une nécessité opérationnelle puisque jusqu’alors, les chefs de missions non-exécutives doivent jouer un rôle politique, rendant des comptes aux autorités compétentes. Ce qui était « aberrant » selon les mots de divers spécialistes de la PSCD, interrogés par Bruxelles2 : « Demander à un militaire national d’appréhender ces structures, d’être en même temps à Mogadiscio ou Bamako et à Bruxelles, de commander la force sur le terrain et de connaître tous les recoins de Bruxelles, c’est impossible. »[10] Le MPCC, en ajoutant un échelon tactique dans la chaine de commande, vient combler cette lacune. Il s’agit à cet égard d’un pas important vers la constitution d’un quartier général « pleinement intégré, un objectif qui répond au souhait français d’une autonomie stratégique de l’UE et à la propension allemande de poursuivre l’approfondissement institutionnel »[11] . Concrètement, au niveau opérationnel et tactique, les « mission commanders » de missions non-exécutives dialoguent avec le niveau stratégique et militaire (le MPCC), dans le cadre de l’EMUE, remontant in fine au niveau politique au CMPD (Direction de la planification et de la gestion des crises, intégrée à la PSCD)[12], avec à sa tête un directeur général.
L’état des missions non-exécutives engagées
Les missions non-exécutives de l’UE s’intègrent à la Politique Commune de Défense et de Sécurité, dans le cadre des dispositions prévues par l’article 43 du TUE : « Les missions (…) dans lesquelles l’Union peut avoir recours à des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de conseil et d’assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. » Si les opérations militaires dites exécutives[13] sortent du périmètre d’action du MPCC, l’importance des missions non-exécutives demeure réelle – au nombre de 3 aujourd’hui, la moitié des opérations militaires de l’UE. Selon le rapport de l’Institut Jacques Delors[14], l’UE a acquis une certaine reconnaissance internationale du fait de ses missions militaires de formation[15].
La mission de formation militaire EUTM Somalie engagée en 2010 (et dont le mandat a été prorogé en 2016), vise à « contribuer au renforcement du gouvernement fédéral de transition (GFT) et des institutions de ce pays » : plus concrètement il s’agit pour l’UE d’accompagner le renforcement des institutions somaliennes en charge de la sécurité et le renforcement des capacités militaires locales – notamment en ce qui concerne la police côtière. Le MPCC a assoupli et fluidifié la communication entre le niveau tactique – en l’espèce le Brigadier Général Pietro Addis[16] et le niveau stratégique – représenté dans le cadre de la mission somalienne par le colonel Joachim Bruns, comme en témoigne la rencontre entre les deux hommes les 17 et 18 octobre 2017 à Mogadiscio.
Similairement, la mission EUTM Mali, lancée en 2013 dans le contexte des luttes armées entre le mouvement touareg MNLA[17] et le gouvernement malien, vise à appuyer la formation des troupes maliennes[18] : elle regroupe 569 soldats européens, encadrés dans la structure du MPCC. Enfin, la mission EUTM en République Centre Africaine, initiée en 2015 et dont l’effectif compte 170 hommes, vise à « rendre les forces armées centrafricaines (FACA) modernes, efficaces et démocratiquement responsables »[19]. Le Général Garcia Blazquez, à la veille de la troisième rotation, se dit satisfait du travail accompli par l’UE, dans le cadre d’un mandat bien délimité : «Il est important que les nations qui participent à la mission (…) se sentent fières de notre travail.
Notre mandat est de former trois bataillons, de donner un conseil stratégique afin d’accompagner les états-majors pour leur réforme et de conseiller les Centrafricains pour qu’ils atteignent leurs objectifs. De chez nous, ils sortiront formés. »[20]
Le MPCC et l’OTAN, un dispositif surnuméraire ?
Il ne semble pas y avoir de raison de se préoccuper outre mesure d’un double emploi éventuel avec l’OTAN, rendant un dispositif ou l’autre surnuméraire : en l’état le MPCC ne s’occupant que de missions non-exécutives, son projet demeure modeste, ce qui « fait taire tous les soupçons (largement fantasmés) d’une éventuelle rivalité avec le quartier-général de l’OTAN (le Shape) »[21]. A voir si l’extension du mandat du MPCC à des opérations militaires per se, exécutives – ce qui n’est pas pour l’heure au calendrier de l’UE, modifierait la donne : « L’OTAN continuera à assurer la sécurité, au sens militaire, de la plupart des pays de l’UE, mais l’Europe ne peut pas faire preuve de naïveté et doit prendre en charge sa propre sécurité. » (Livre Blanc de l’UE[22]).
Sources :
[1] https://www.upr.fr/wp-content/uploads/2012/02/TUE.pdf,
[2] Comité Politique et de Sécurité, décision du conseil du 22 janvier 2001, structure permanente du comité politique, et qui en cas de crise devrait assurer le contrôle politique et la direction stratégique de toute opération
[3] Etat-major militaire de l’Union Européenne, qui a pour objectif la planification stratégique des opérations.
[4] Communiqué de presse 338/17 du 08/06/2017
[5] « Conclusions du Conseil concernant les progrès de la mise en œuvre de la stratégie globale de l’UE dans le domaine de la sécurité et de la défense », Communiqué de presse 110/17, 06/03/2017
[6] Dans le papier du Bruxelles2, cité en note 10
[7] https://www.touteleurope.eu/actualite/l-europe-peut-elle-se-relancer-par-la-defense.html
[8] Maitre de conférence en droit de l’Union européenne à la Sorbonne
[9] PSCD, voir article traité
[10] https://www.bruxelles2.eu/2017/03/05/et-un-demi-qg-fut/
[11] « France et Allemagne, fers de lance d’une union de la sécurité et de la défense », Policy paper 202, 26 juillet 2017, Institut Jacques Delors, http://www.delorsinstitut.de/2015/wp-content/uploads/2017/07/20170719_FR-D-EU-Security_Koenig-Walter_franz.pdf
[12] Un excellent schéma présente cette armature complexe, Thierry Tardy, « MPCC : towards an EU command ? », EUISS, juin 2017
[13] Comme l’opération Sophia, au large des côtes libyennes
[14] Institut Jacques Delors « Eu External Action And Brexit: Relaunch And Reconnect » Berlin, Policy paper n°178, 22 novembre 2016, p. 12
[15] http://www.delorsinstitut.de/2015/wp-content/uploads/2017/07/20170719_FR-D-EU-Security_Koenig-Walter_franz.pdf
[16] https://eeas.europa.eu/csdp-missions-operations/eutm-somalia/34280/eutm-somalia-visit-military-planning-and-conduct-capability-mpcc-delegation_fr
[17] Mouvement National pour la libération de l’Azawad
[18] Mais pas seulement : il s’agit de « former les troupes au droit international humanitaire », en accord avec les valeurs européennes.
[19] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016D0610&qid=1494579176870&from=FR
[20] https://www.bruxelles2.eu/2017/06/07/nous-devons-etre-fiers-du-travail-europeen-pour-reconstruire-la-rca-garcia-blazquez/
[21] https://www.bruxelles2.eu/2017/06/08/le-mini-qg-militaire-europeen-voit-le-jour/
[22] Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, Réflexions et scénarios pour l’EU-27 à l’horizon 2025, mars 2017