Nous remercions très chaleureusement Historicoblog
Agrégé d’histoire, l’auteur travaille depuis août 2013 sur le conflit syrien et analyse les vidéos militaires de l’Etat islamique depuis août 2015 (195 analysées à ce jour). Il tient aussi le blog Historicoblog (4), et vous pouvez le suivre sur twitter sous le nom Historicoblog4. Il rédige au reste depuis novembre 2016 une chronique pour France-Soir, qui s’intéresse à l’actualité jihadiste. Vous pourrez retrouver au lien suivant les articles qui la composent : www.francesoir.fr/
En novembre 2017, l’EI perdait son dernier bastion territorial en Irak, avec la reconquête par l’armée irakienne et les milices de l’ouest de la province d’al-Anbar (villes de Rawa, al-Qaïm). Le mois précédent, la poche de Hawija, à l’ouest de Kirkouk, était liquidée. En août, c’était la poche de Tal Afar, à l’ouest de Mossoul, qui disparaissait. Mais en Irak, après la fin de la bataille de Mossoul en juillet 2017, l’EI ne s’est en réalité pas accroché à ses dernières enclaves territoriales. Les combats y ont été plus que limités, voire très épisodiques. Ce constat nous fait comprendre que l’organisation avait, de longue date, anticipé la perte territoriale et préparé le retour à la situation qui était la sienne avec la naissance de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) en avril 2013 : l’insurrection. Toutefois, la situation n’est pas tout à fait la même aujourd’hui qu’en 2013 : les trois ans et demi du califat auront apporté à l’EI une formidable expérience militaire, venant s’ajouter à celles des années précédentes, un outil de propagande renouvelé, mais aussi des adversaires qui soit ont bénéficié, eux aussi, de l’expérience des combats (armée irakienne, division antiterroriste/Golden Division, police fédérale, Emergency Response Division, etc), ou soit qui, nouveaux venus, ont appris à se battre contre l’EI avec plus ou moins de succès (on pense aux miliciens du Hashd al-Chaabi, la mobilisation populaire née en juin 2014).
Les premiers mois de 2018 ont ainsi vu la généralisation de l’insurrection, en Irak, dans les secteurs où l’EI avait préparé son retour à la guérilla, la transition étant annoncée dès octobre 2017, et le groupe encourageant ses cellules clandestines à passer à l’action dans le numéro 125 de son hebdomadaire al-Naba (29 mars 2018). A partir de mars, notamment, l’activité devient de plus en plus intense. Si l’EI n’a pas été capable d’empêcher ou de perturber le déroulement des élections en mai, il n’en demeure pas moins que le retour à l’insurrection lui permet de se maintenir dans plusieurs régions, une situation reconnue par des auteurs irakiens. L’analyse de la propagande de l’EI durant les 15 premiers jours de mai 2018 permet d’établir que l’organisation est plus présente dans 5 secteurs en particulier, et de manière plus limitée dans 6 autres.
Wilayat Kirkouk : un terreau pour l’insurrection renaissante de l’EI en Irak
Dans la province de Kirkouk, l’EI tenait encore, jusqu’en octobre 2017, la poche de Hawija. Après la chute de Mossoul, cette enclave était devenue particulièrement active en termes de propagande, au regard des autres poches encore occupées par le groupe en Irak. L’EI lançait même ponctuellement des attaques nocturnes, à l’été 2017, contre les positions des Kurdes irakiens ou des miliciens encerclant la poche. L’investissement du secteur de Hawija n’a pas donné lieu à beaucoup de combats. L’EI a préféré se dissimuler dans les zones rurales et montagneuses environnantes pour économiser ses effectifs et préparer le retour à l’insurrection. Dissimulé dans les grottes et les tunnels creusés, par exemple, dans les monts Hamrin, l’EI a assisté au conflit entre le gouvernement irakien et les Kurdes, le premier reprenant Kirkouk et le secteur pris par les Kurdes en 2014 à la faveur de la poussée de l’EI en Irak. A partir de novembre 2017 apparaît le mouvement dit des « Drapeaux blancs », dont le moins que l’on puisse dire est qu’on peinait à le cerner, faute de propagande, et des versions contradictoires présentées par ceux qui le combattaient. L’EI, lui, est toujours présent. Descendant des zones montageuses, d’abord de nuit, il réinvestit le secteur autour de la ville de Hawija et se réinstalle dans les zones rurales de la province, profitant du conflit entre Kurdes et gouvernement irakien. Le 18 février, l’EI tend une embuscade à des miliciens stationnés depuis octobre 2017 à al-Riyadh, au sud-est d’Hawija, dans le village d’al-Sadouniyah, au sud-ouest d’al-Riyadh. 27 miliciens sont tués. L’embuscade marque les esprits, et, symboliquement, montre que l’EI a réussi à se réinstaller autour de Hawija et al-Riyadh, près de l’autoroute Kirkouk-Bagdad.
En mars, le groupe monte de faux barrages routiers, capture et exécute des miliciens ou des policiers en permission, incendie les maisons des miliciens ou de ceux qui collaborent avec le gouvernement. En avril, le groupe parvient à faire exploser une voiture piégée à Kirkouk. L’activité pendant la première quinzaine, étudiée à partir de la propagande de l’EI diffusée sur Telegram, est encore très soutenue. Avec pas moins de 40 communiqués concernant le secteur, la wilayat se place en tête de l’activité de guérilla de l’EI en Irak. Géographiquement, l’activité de l’EI se concentre dans certains secteurs : Hawija et ses environs, al-Riyadh et ses environs, soit à proximité de l’autoroute Kirkouk-Bagdad ; toutefois, l’EI rayonne jusqu’à al-Zab, à l’ouest de la province, à Rashad, au sud, dans le district de Daqouq, au sud-est de la province (où l’EI se manifeste en plein jour, début mai), et dans le district de Dibs, au nord. Si l’EI a des cellules dans Kirkouk, elles restent discrètes, et l’organisation ne semble pas implantée dans le nord-est de la province. L’activité de guérilla se révèle assez classique : pose d’IED pour viser des véhicules de passage sur les routes, embuscades contre les véhicules, attaques ou bombardements de maisons d’adversaires (miliciens et autres), bombardement au mortier, etc. Les autorités irakiennes s’inquiètent de l’intense activité de l’EI dans le sud-ouest de la province. L’EI s’en prend également aux lignes électriques, comme lors de cette attaque sur les pylônes dans un village qui prive Hawija et Tikrit d’électricité. La coalition utilise des frappes aériennes pour appuyer les forces de sécurité irakienne locales ; l’aviation irakienne est également engagée. Les forces de sécurité capturent le responsable des exécutions de l’EI sur place et ses assisants, impliqués dans le montage de faux barrages routiers. Dans l’ouest de la province, l’activité de l’EI, réduite, se concentre sur le ciblage des véhicules de chefs de milices avec des IED. 8 combattants de l’EI ont été acculés dans le village d’al-Gharib, au sud d’al-Zab, et ont été obligés de faire sauter leurs ceintures d’explosifs ou ont été abattus. Parmi eux, les 3 hommes qui le 23 mai, revêtus d’uniformes de miliciens, avaient exécuté le chef du village de Dhurban, au sud-ouest de Hawija, Mahjoub Mukhtar. La 2ème brigade de l’ICTS (Golden Division, unité antiterroriste) est toujours déployée dans la province de Kirkouk.
En juin 2018, l’EI cherche manifestement à s’enraciner dans les zones rurales du sud de la province de Kirkouk, après être revenu autour de Hawija. La tendance se confirme dans la seconde semaine de juin : l’EI intimide les paysans, cherche à collecter des taxes et attaque les forces de sécurité. Si les habitants ne plient pas, l’EI incendie les fermes et les champs de culture, kidnappe les récalcitrants. Les forces de sécurité irakiennes, comme ailleurs, restent cantonnées en ville et manquent de renseignement pour opérer efficacement dans les zones rurales. Le niveau de violence dans la province de Kirkouk atteint des niveaux sans précédent depuis 5 ans. En plus du manque de coordination entre le gouvernement irakien et les Kurdes, l’EI bénéficie aussi du climat politique particulièrement tendu. Les élections de mai ont été entâchées de fraudes et d’irrégularités, et le feu couve entre les Kurdes, notamment l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) bien représentée à Kirkouk, et le Front Turkmène qui représente lui la population turkmène locale. L’UPK veut faire revenir Kirkouk sous l’autorité des Kurdes irakiens, ce qui ne convient ni aux Turkmènes, ni aux Arabes locaux.
Le 6 juin, la police fédérale accroche des éléments de l’EI dans le village d’al-Hastinah près de Hawija : un homme est tué, 2 sont capturés, les policiers découvrent 3 tunnels et démantèlent 11 IED. Le 8 juin, l’EI brûle les champs de fermiers refusant de collaborer dans le village de Mahawaz, près d’Hawija. Le 9 juin, la police fédérale tue 3 combattants de l’EI dans le secteur de Riyadh. Le 11 juin, un groupe de 20 combattants de l’EI attaque des positions de miliciens et de policiers fédéraux au nord-est de Kirkouk, près du village de Qora Tuba, dans le district de Dibs. 2 hommes sont tués et 10 blessés. Il s’agit peut-être d’ailleurs de l’attaque montrée dans un reportage photo du 13 juin. Ce même jour, une attaque contre un checkpoint d’une milice tribale au sud-ouest de Kirkouk fait 2 morts et 10 blessés. Le 12 juin, des membres de l’EI incendient des maisons du village de Gharh Ghassan, près de Rashad. Le village avait tué 4 hommes de l’EI qui approchaient de nuit ; la population avait ensuite été évacuée à Kirkouk. Le 14 juin, les forces de sécurité irakiennes annoncent avoir tué un chef important de l’EI dans le district de Dibs, surnommé « robe noire », qui se trouvait dans une maison de la ville avec 6 hommes.
Wilayat Diyala : l’insurrection enracinée
Dans le cas de la wilayat Diyala, les choses se présentent un peu différemment. Il y a en effet trois ans que l’EI est repassée en mode insurrectionnel dans la province. Celle-ci est historiquement un bastion djihadiste depuis l’époque d’al-Qaïda en Irak, servant de lieu de repli, et géographiquement de plaque tournante. En juin 2014, après la chute de Mossoul et la poussée de l’EIIL dans le nord de l’Irak, l’organisation cherche, à partir du nord-est de la province, à glisser vers le sud et à se rapprocher de Bagdad. Cependant, la wilayat Diyala n’est la mieux pourvue de l’organisation et affronte encore d’autres groupes insurgés sunnites. Le gouvernement irakien, débordé, doit accepter que l’organisation Badr, sans doute la plus puissante des milices chiites pro-iraniennes d’Irak, prenne en charge la défense de la province : le 13 juin, Hadi al-Ameri, le chef du Badr, devient le chef de la sécurité à Diyala. L’Iran en outre appuie les miliciens chiites dans le nord-est de la province avec des frappes aériennes menées par des F-4E Phantom et des Su-25 Frogfoot. De fait, à la fin 2014, l’EI a été largement contenu et repoussé par les miliciens épaulés par les forces régulières. Dès janvier 2015, le groupe opère en mode insurrectionnel. Ni l’armée irakienne, représentée par la 5ème division stationnée dans la province, ni les miliciens chiites ou autres, qui tiennent les villes, n’arrivent à éradiquer le contrôle de l’EI sur les zones rurales de la province. La wilayat Diyala publie régulièrement des vidéos longues de ses opérations de guérilla, en général un peu décalées dans le temps, mais de manière continue. Avec 21 communiqués pour la première quinzaine de mai 2018, c’est la deuxième zone la plus dynamique de l’EI en Irak. Géographiquement, les cellules de l’EI sont installées au nord-est de Baqubah, autour de la ville de Muqdadiyah, dans le district de Mandali à la frontière avec l’Iran, autour de Qara Tapa, Jalawla et Khanaqin, au nord et au nord-est de la province. Comme dans la wilayat Kirkouk, l’activité de l’EI dans la wilayat Diyala relève typiquement de l’insurrection : IED disposés contre les véhicules, tirs de mortiers et de roquettes, embuscades… ici, l’activité des snipers est notoire, contrairement à Kirkouk. La wilayat Diyala a des liens avec les cellules dans la province voisine de Salahuddine. Les forces de sécurité irakiennes et les miliciens tentent de couper ces connexions qui permettent aux combattants de circuler d’une province à l’autre assez facilement.
Récemment les snipers de l’EI s’y sont montrés particulièrement actifs, d’où aussi les opérations de râtissage dans le secteur de Mutaybijah, frontalier entre Salahuddine et Diyala. Via Baqubah, l’EI parvient aussi à frapper Bagdad. Le renseignement kurde irakien prétend que dans le seul district de Jalawla, qui comme on l’a vu est l’un des secteurs où l’EI est actif dans la province, le groupe disposerait de plus d’un millier de combattants, qui mènent des opérations rapides avec un effectif limité (50 au maximum). Les miliciens contrôlent le secteur le jour, mais l’EI y règne la nuit. Le propos est démenti par les Irakiens. C’est toutefois dans ce secteur que l’EI mène un assaut nocturne, le 3 mai, contre un poste de police. Le 1er mai, c’est le responsable de l’armement de la wilayat qui avait été appréhendé, avec pas moins de 41 AK-47 en sa possession. Le 15 mai, le ministère de l’Intérieur irakien annonce avoir arrêté le chef des finances de la wilayat. L’implantation de l’EI dans les zones rurales de la province est très nette quand on regarde l’activité du mois de mai. Dans la deuxième semaine de mai, la moitié des incidents armés a lieu dans le secteur de Khanaqin, au nord-est de la province. C’est ici aussi qu’a lieu un attentat kamikaze dans la dernière semaine de mai.
En juin, l’EI s’attaque à 3 reprises à des villes durant la première semaine du mois. Durant la deuxième semaine, un IED explose sur un marché de Khalis, tuant une personne et en blessant 23 autres. L’EI circule, depuis sa base de Diyala, jusque dans la province de Salahuddine. Le 1er juin, l’armée repousse une attaque de l’EI sur un village à l’est de Baquba. Le 6 juin, la 5ème division irakienne, la police, appuyées par l’armée de l’air, lancent une opération de râtissage dans les monts Hamrin, au nord de la province. Le 7 juin, les peshmergas repoussent deux attaques de l’EI sur deux villages près de la ville de Jabara, disputée entre le gouvernement irakien et les Kurdes ; l’EI réplique en tirant au mortier. Le 10 juin, les forces de sécurité irakiennes mènent un raid dans le bassin de Mukhaiseh au nord-est de la province et arrêtent 3 hommes de l’EI ; ici le groupe opère par groupes de 2 ou 3 pour cibler les forces de sécurité et les collaborateurs du gouvernement. Le 15 juin, une attaque de l’EI sur des miliciens au nord-est de Baquba fait un mort et un blessé. Le 18 juin, dans le district de Khalis, au nord de la province, l’EI abat deux personnes et en enlève 7 autres sur l’autoroute Bagdad-Kirkouk.
La wilayat Diyala réapparaît aussi en images dans la propagande de l’EI : le 5 juin, une vidéo Amaq montre une attaque à l’IED contre 2 soldats au nord-est de Baquba ; le 28 mai, un reportage photo montrait déjà un tir de roquettes. Le 19 avril, un autre reportage montrait une attaque dans le secteur de Khanaqin.
Wilayat Salahuddine : l’insurrection s’étend
Avec 17 communiqués pour la première quinzaine de mai, la wilayat Salahuddine de l’EI est la troisième zone la plus active du groupe en Irak. Le développement de l’insurrection dans ce secteur est plus récent et remonte à quelques mois. L’EI a tenu jusqu’en octobre 2017, pour partie, le district de Shirqat, au nord de la province. La dernière vidéo longue de la wilayat publiée en novembre montrait déjà que l’organisation était repassée à l’insurrection. Géographiquement, les cellules de l’EI restent implantées à l’ouest et à l’est de Baiji, à l’est de Tikrit, dans et autour de Samarra, où elles pratiquent des assassinats ciblés au cœur même de la ville. Au sud, la wilayat Salahuddine touche la wilayat Shamal Bagdad (Nord-Bagdad) et il y a sans doute circulation de combattants. L’EI s’est replié dans les monts Hamrin et dans la zone de Mutaybijah, qui borde la province de Diyala. Le 25 mai, l’EI montre en photos l’attaque d’un poste de l’armée, de nuit, près de Tikrit. Le 27 mai, la police reconnaît la perte de deux officiers, le général de brigade Mohammed al-Hammash et le colonel Sameer Saleh, sans doute tués dans une embuscade de l’EI à l’est de Tikrit. L’activité de la première quinzaine de mai réside surtout dans la pose d’IED, des embuscades, des tirs de snipers et des bombardements de maisons. Toutefois l’assaut nocturne montré récemment prouve que l’EI conserve des capacités de combat au-delà du simple harcèlement. Le 2 juin, un groupe investit un village près de Dhuluiya, à l’est de Samarra, et tue une douzaine de personnes. Une voiture piégée explose à Tikrit le même jour. Le 5 juin, l’armée irakienne et la milice chiite Saraya al-Salam lancent une opération à l’ouest de Samarra ; la veille, 2 miliciens ont été tués et 4 blessés lors d’un accrochage avec l’EI au sud-ouest de Samarra. Le 7 juin, le ministère de l’Intérieur annonce la découverte d’un atelier de fabrication de roquettes et d’IED dans la province de Salahuddine.
Wilayat Shamal Bagdad : l’EI toujours présent au nord de Bagdad
Comme à Diyala, l’EI est repassée de longue date en mode insurrectionnel au sein de la province Shamal Bagdad (Nord Bagdad). Le groupe reste très actif dans certains secteurs en termes de guérilla. Comme à Diyala, l’EI publie régulièrement des vidéos longues sur les opérations insurrectionnelles, souvent décalées dans le temps. La dernière remonte maintenant à septembre 2017. Avec 12 communiqués dans la première quinzaine de mai 2018, le secteur est la quatrième zone la plus active de l’EI. Géographiquement, les cellules de l’EI se concentrent autour de Tarmiyah, non loin de la province de Diyala (zone de transit possible, donc, entre les deux secteurs), d’Abayji, de Taji, et, plus au nord, d’Ishaqi, au contact de la wilayat Salahuddine. La wilayat Shamal Bagdad opère avec des IED, des bombardements, des embuscades et davantage d’assassinats ciblés que d’autres wilayats, en raison du contexte urbain. L’EI a été capable, début mai, de réaliser une attaque sur un village, exécutant de nombreuses personnes pour intimider les habitants locaux qui ne lui sont pas favorables. L’explosion d’une voiture piégée à Taiji prouve par ailleurs que la wilayat contrôle toujours le corridor qui permet l’accès à Bagdad.
Wilayat Ninive : l’EI présent dans et autour de Mossoul
Comme à Salahuddine, il aura fallu un certain temps pour que l’EI se réorganise et ouvre la phase insurrectionnelle dans la wilayat Ninive, celle couvrant la ville de Mossoul. L’activité de guérilla reprend à partir de février-mars 2018. Avec 9 communiqués, la wilayat figure au cinquième rang des secteurs où l’EI est le plus actif. Géographiquement, l’EI conserve des cellules actives dans Mossoul-Est et Mossoul-Ouest ; il est très présent au sud de la ville, autour de Hammam al-Alil, mais aussi au nord-ouest, vers Badoush. Des attaques ont lieu aussi près du barrage de Mossoul, beaucoup plus loin au nord-ouest, et également à proximité immédiate au nord de Mossoul (Tel Kayf). Toutes ces attaques ou presque sont réalisées au moyen d’IED. Le 22 mai, l’EI sonde le dispositif irakien au niveau du village de Sheikh Yunis, au sud de Mossoul ; il laisse 7 morts et 3 véhicules, tuant un soldat irakien et en blessant 3. Le groupe prélève du pétrole sur les puits du secteur et voulait probablement tester la réactivité de la défense. Ce même jour, la 20ème division irakienne découvre un tunnel à Hussainiya, au cœur de Mossoul, où une cellule de 10 hommes de l’EI était basée. Le tunnel, trop grand pour être exploré complètement, est finalement détruit. Le 24 mai, le ministère de l’Intérieur annonce l’arrestation du chef des cellules d’assassins de l’EI à Mossoul, dans le quartier de Noor (Mossoul-Est). Le 27 mai, une milice chiite s’installe dans la vieille ville de Mossoul, probablement pour en renforcer la sécurité. Ce même jour, d’autres miliciens repoussent 3 attaques de l’EI dans un village du sud de Mossoul, en moins de 24 heures. Le 28 mai, 22 membres de l’EI sont arrêtés à Badoush, preuve que le groupe maintient encore des cellules dans ce secteur. Cette cellule avait 5 ceintures d’explosifs, plus d’une cinquantaine de grenades et préparait des attaques à Mossoul. Le 31 mai, c’est une femme de l’EI qui est arrêtée par les policiers de l’ERD dans le quartier al-Mamoun de Mossoul-ouest : elle avait assassiné deux veuves d’officiers de police.
Les autres secteurs où l’EI mène une activité de guérilla
A Bagdad, la wilayat de l’EI conserve encore une certaine activité. 4 communiqués sont diffusés dans la première quinzaine de mai. Le groupe opère aussi bien à l’intérieur de la ville qu’en périphérie, près d’Abou Ghraib (ouest) par exemple, pratiquant surtout les assassinats ciblés et les attaques à l’IED. Le 23 mai, un kamikaze se fait exploser dans un quartier à l’ouest de Bagdad. Le mois de mai aura été particulièrement sanglant à Bagdad et ses environs.
La wilayat al-Anbar n’a que peu d’activité, puisque 4 communiqués seulement apparaissent dans la première quinzaine de mai. Le groupe opère à l’ouest et au nord-ouest de Ramadi, et près d’al-Rutbah, avec des tirs de roquettes et une attaque. Le secteur semble avoir perdu en capacité du côté de l’EI, probablement suite aux coups portés par les forces de sécurité irakiennes et les miliciens ; il faut dire aussi que de l’autre côté de la frontière, en Syrie, les deux poches restantes du groupe mobilisent sans doute des effectifs. Par ailleurs la zone a été la dernière à être reprise à l’EI, en novembre dernier.
La wilayat Dijlah (Tigre) est réapparue en images dans la propagande de l’EI ces dernières semaines, après un long moment d’absence. Suite à la chute de Mossoul, cette wilayat, qui couvrait le sud de la ville de Mossoul et le nord de la province de Salahuddine, ainsi que l’ouest de la province de Kirkouk, s’était repliée dans la poche de Hawija. Elle avait lancé l’opération amenant à la capture du village d’Imam al-Gharbi, non loin de la base aérienne de Qayyarah, dans les derniers jours de la bataille de Mossoul (juillet 2017), opérant déjà depuis la poche de Hawija. Les forces irakiennes avaient dû engager des moyens conséquents pour reprendre le village. La wilayat est active désormais dans le secteur au sud de Mossoul (nord de Qayyarah, district de Shirqat) et à l’ouest de la province de Kirkouk (autour de Zab). Le premier reportage photo de la wilayat Dijlah depuis l’an passé date du 14 mai : deux bourreaux égorgent deux miliciens capturés dans la région d’al-Zab, soit à la frontière de la wilayat Kirkouk de l’EI qui opère non loin (la frontière reste floue, et non tracée dans le sol…). Le 2 juin, 4 soldats irakiens sont tués par un IED près du village de Hanqah, dans le district de Shirqat, ce qui correspond à une revendication de l’EI quelques heures plus tôt. Le 3 juin, deux policiers sont tués dans le district de Hadar, à 90 km au sud de Mossoul, et leurs armes volées. Ce même jour, un groupe de 12 policiers fédéraux s’escarmouche avec des combattants de l’EI et libère 2 otages détenus depuis trois mois. L’opération a lieu vers le mont Qara Jawg, à 40 km au nord-est de Shirqat, près de Makhmour. Les 2 otages libérés sont Hamad Hilal et Mohammed Dakhil. Ils avaient été enlevés par l’EI en février ; 2 autres otages, Mahmoud Al-Hadi et Awad Al-Hadi, sont ceux dont l’exécution est montrée le 14 mai dans le premier reportage photo de l’année de la wilayat Dijlah. Il reste un otage dont le sort est inconnu. Le 4 juin, le ministère de l’Intérieur annonce l’arrestation d’un chef de l’EI dans le district de Qayyarah ; son fils avait été tué par l’armée irakienne, son frère est mort pendant la bataille de Mossoul.
La wilayat al-Jazirah, au nord-ouest de l’Irak, qui avait été semble-t-il remplacée à partir de septembre 2017 par la wilayat Badiyah, réapparaît également avec 2 communiqués. Elle pose des IED à l’est de Tal Afar, en direction de Mossoul. Le 15 mai, le renseignement de la 15ème division irakienne arrête 5 membres de l’EI à Tal Afar.
Enfin, la wilayat Falloujah brûle des fermes au nord de la ville du même nom ; la wilayat al-Janub (sud de l’Irak) bombarde la maison d’un candidat aux élections, probablement dans le secteur de Jurf al-Sakhr, où l’EI s’est installé à partir de la wilayat al-Anbar depuis presque un an maintenant. Récemment, le tribunal de Falloujah a entendu le témoignage d’un membre de l’EI, arrêté il y a peu, qui a fui la ville caché dans le flot d’habitants quittant les lieux, s’installant un temps dans un camp de déplacés, avant de revenir dans Falloujah et de pratiquer l’extorsion sur les commerçants en compagnie de deux comparses.
Conclusion
L’analyse de la propagande de l’EI sur la première quinzaine de mai permet d’établir que l’organisation s’enracine dans l’insurrection, en Irak, à travers 5 secteurs principaux. A côté de zones où la guérilla est pratiquée de longue date, comme la province de Diyala où le secteur au nord de Bagdad, on trouve des régions où l’EI se réimplante à la faveur d’opportunités ouvertes par les conflits politiques (Kirkouk), et/ou de par sa réorganisation et en profitant des failles de sécurité (Salahuddine, Mossoul). L’arc ainsi tracé sur la carte couvre une zone qui, du nord-est de Bagdad, s’étend au nord/nord-est du pays jusqu’à Mossoul, et qui constitue pour l’instant le noyau de l’insurrection EI. A cela s’ajoutent d’autres secteurs où l’EI, bien que plus faible, reste présent : Bagdad et sa périphérie ouest et sud, al-Anbar, Tal Afar, l’ouest de la province de Kirkouk. L’EI s’est donc remis en ordre de marche dans l’insurrection. Les trois premiers mois de 2018 ont vu une augmentation sensible de son activité dans ce domaine, suivis d’une pause en avril. Le mois de mai par contre, élections obligent notamment, a connu un regain d’activité. La troisième semaine du mois de mai a ainsi été caractérisée par de nombreuses attaques kamikazes, ce qui ne s’était pas vu depuis septembre 2017. L’EI est donc loin d’être vaincu en Irak : la transition relativement aisée vers l’insurrection en moins de 6 mois en est la preuve. Au mois de mai, l’EI s’est montré particulièrement actif dans les provinces de Kirkouk, de Salahuddine (où il réinvestit les zones rurales) et à Bagdad. En juin, l’activité se concentre dans les provinces de Kirkouk et Diyala, mais l’EI revient aussi dans le secteur de Jurf al-Sakhr au sud de Bagdad.