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Attaque contre des infrastructures pétrolières saoudiennes : quelles implications en matière de défense pour les Etats-Unis ?
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Attaque contre des infrastructures pétrolières saoudiennes : quelles implications en matière de défense pour les Etats-Unis ?

 

Par Clémence Cassé et Xavier Marié

 

Samedi 14 septembre, les sites pétroliers saoudiens de Khurais et Abqaïq  ont fait l’objet d’une attaque d’ampleur, impliquant 25 drones dotés d’une charge explosive et de missiles de croisière, selon un compte-rendu du porte-parole du ministère de la Défense saoudien. Si cette opération est revendiquée par les rebelles Houthis, qui déclarent avoir lancé 10 drones, Riyad a rapidement pointé la responsabilité de Téhéran derrière l’attaque, conduisant à un nouvel épisode de tensions entre les deux principales puissances de la région. Cette frappe, qui pointe les limites des capacités antiaériennes et antimissiles saoudiennes et américaines, s’est traduite par une forte hausse du cours du baril ainsi qu’une baisse de moitié de la production du royaume saoudien (premier producteur mondial de pétrole), ce qui représente une diminution de 5 à 6% de la production mondiale de pétrole.

 

Dans ce contexte, quelles sont les réponses qui semblent se profiler à l’horizon et quels sont les enjeux pour la politique étrangère et de défense américaine dans la région ?

 

Prenant le contrepied d’une partie de son entourage, au premier rang duquel le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, qui a accusé l’Iran d’avoir perpétré un « acte de guerre »,  le président Trump a exprimé sa volonté d’éviter une escalade armée, soulignant la capacité des forces américaines à infliger facilement des dommages majeurs à l’Iran mais déclarant faire preuve de retenue et rechercher des solutions non militaires.

 

Il a ainsi ordonné l’adoption par le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin de nouvelles sanctions économiques à l’encontre de la Banque centrale d’Iran, du Fonds national de développement ainsi que contre une entreprise (Etemad Tejarate Pars Co). Ces entités sont soupçonnées par Washington de participer au financement de différentes forces, comme le Corps des Gardiens de la Révolution islamique et la force al-Qods, ou proxies (le Hezbollah en particulier) iraniennes.

 

Donald Trump s’est également déclaré favorable à la venue du président Hassan Rohani à la session de l’Assemblée générale des Nations-Unies qui doit se tenir la semaine prochaine à New York, prenant à nouveau le contrepied de la ligne de Mike Pompeo. Une présence iranienne à l’ONU permettrait une discussion entre les parties afin de réduire les tensions et d’éviter un nouveau conflit ouvert dans la région ; d’autant que les Nations-Unies ont envoyé des experts aux côtés des enquêteurs américains en Arabie Saoudite pour déterminer la responsabilité de l’attaque des sites pétroliers. Cette volonté apparente d’apaisement du Président américain a été critiquée, notamment par le sénateur républicain Lindsey Graham qui avance que les Iraniens sont sortis enorgueillis de leur destruction d’un drone américain en juin, restée, selon lui, sans réponse de la part des Etats-Unis. Les rebelles Houthis avaient déjà revendiqué cette attaque. Pour Donald Trump, l’absence de réponse par la force constitue au contraire un « signe de puissance » et surtout démontre sa volonté de ne pas engager les Etats-Unis dans un nouveau conflit au Moyen-Orient. Il est notable que ce soit le président Trump qui semble contrebalancer les velléités belliqueuses d’une partie de l’administration américaine.  En tout état de cause, la Constitution américaine empêche le Président d’entraîner les Etats-Unis dans une guerre sans l’aval du Congrès, à moins d’une attaque directe contre le territoire, la population ou les intérêts américains.

 

Parallèlement, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a annoncé qu’il travaillait à rassembler une coalition d’Etats en vue d’atteindre une résolution pacifique des tensions, sans donner davantage de détails. Les Etats-Unis ont d’ores et déjà posé les bases d’une alliance de sécurité maritime, baptisée Operation Sentinel, réunissant l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et le Royaume-Uni, les autres Etats européens se montrant jusqu’ici réticents à la rejoindre. Cette alliance a pour vocation de protéger la liberté de navigation dans la région en renforçant la protection des navires civils à la suite de l’arraisonnement par les forces iraniennes de plusieurs pétroliers étrangers.

 

Pour autant, Donald Trump a approuvé  le déploiement de moyens militaires supplémentaires dans la région, qui devraient consister en des batteries antimissiles (de type Patriot vraisemblablement) – malgré la question de l’incapacité des défenses saoudiennes à détecter et intercepter les drones et missiles adverses, qui sera évoquée ci-dessous, des avions de combat supplémentaires ainsi que des capacités de surveillance accrues. Serait également en discussion un engagement pour maintenir dans la région un groupe aéronaval durant les prochains mois. Selon le secrétaire à la Défense Mark Esper, ce déploiement poursuit trois objectifs : envoyer le message clair que les Etats-Unis soutiennent leurs alliés, protéger le commerce dans la région et faire respecter les normes internationales. Le général Joseph Dunford, chef d’Etat-major de l’armée américaine, a expliqué que le déploiement devrait être assez modeste en termes d’effectifs mais il n’a pas avancé de chiffres exacts, précisant qu’il ne devrait s’agir que de quelques centaines d’hommes. De leur côté, les Sénateurs républicains ont conseillé à l’administration de ne pas réagir militairement dans l’immédiat, rappelant que les circonstances et responsabilités exactes n’ont pas encore été clarifiées dans cette affaire. Le but affiché est pour l’instant de dissuader l’Iran de prochaines attaques, directes ou indirectes.

 

En termes militaires, selon l’analyse développée par Anthony Cordesman du Center for Strategic and International Studies, cette attaque est symptomatique des nouveaux conflits hybrides s’inscrivant dans ce qu’il qualifie de « zones grises » du domaine de la guerre. Il estime que l’usage de systèmes conventionnels relativement peu coûteux tels que les drones et les missiles de croisière en particulier contre des cibles stratégiques non militaires par des puissances intermédiaires recourant à des acteurs non étatiques, peut se révéler d’une redoutable efficacité, car il est notamment très difficile d’attribuer avec certitude, comme le montrent les débats en cours, la provenance exacte de l’attaque. Or, cette incertitude protège les Etats qui recourent à ce type d’attaques, attaques dont ils peuvent facilement nier être à l’origine ; alors même que la puissance attaquée a le plus grand mal à identifier le bon degré de réponse, toute opération de représailles armées risquant d’enclencher une escalade de la violence susceptible de déstabiliser toute la région. De surcroît, il souligne le fait que cette attaque témoigne de la dynamique de réduction de la supériorité aérienne américaine (les drones et/ou missiles n’ayant pas été détectés) et du quasi-monopole jusqu’ici détenu par les forces américaines dans la région en termes de capacités de frappes de précision.

 

Plus largement, la frappe contre les infrastructures pétrolières de Riyad illustre l’inadéquation, ou du moins, les limites des systèmes de défense antiaérienne et antimissiles actuels face à la menace posée par les drones lents dotés d’une charge explosive et les missiles de croisière. Ainsi, dans le cas de l’Arabie saoudite, les forces saoudiennes disposent selon Jeremy Binnie, qui couvre le Moyen-Orient pour Jane’s Defence Weekly, d’au moins 6 batteries de missiles antiaériens et antimissiles moyenne portée Patriot, qui se sont montrées efficaces contre les missiles balistiques courte portée régulièrement tirés par les rebelles Houthis ces deux dernières années, mais inadéquates pour détecter et engager un essaim de drones lents ou des missiles de croisière volant à très basse altitude, épousant les formes du relief et susceptibles d’emprunter des trajectoires contournant les zones les mieux couvertes par les radars saoudiens et américains. Le positionnement des systèmes et la portée couverte par leurs radars constituent deux autres pans de vulnérabilité. En outre, le recours à la technique de l’essaim de drones permet de saturer facilement les radars des systèmes courte portée, comme cela semble avoir été le cas sur le site d’Abqaïq, qui aurait été défendu par un système antiaérien courte portée Skyguard, conçu pour faire face aux raids conduits par des aéronefs pilotés bien plus faciles à détecter et dont le radar dispose d’une portée très réduite.

 

Or, le développement de drones et de missiles de croisière constitue une tendance lourde de la dynamique de réarmement à l’échelle mondiale, que ce soit au sein des forces étatiques ou parmi les groupes armés non-étatiques (Daech en a largement fait usage au Levant). L’attaque contre les sites pétroliers saoudiens pourrait ainsi donner un avant-goût des nouvelles modalités de conflictualité.

 

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