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Soudan : entre sécurité et démocratie
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Voilà plus de deux mois maintenant que le régime du président soudanais Omar El-Béchir a été renversé. Le 11 avril passé, l’armée soudanaise déposait ce dernier, quelques jours après l’occupation de la place centrale de Khartoum par sa population, laissant espérer une union militaro-civile pour une transition démocratique.

 

Ces espoirs semblent désormais bien loin, suite aux violences du 3 juin dernier et la dispersion violente du sit-in de la place de Khartoum par les forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Dagalo dit « Hemetti ». Le bilan de cette journée est particulièrement lourd, avec plus d’une centaine de morts parmi les civils, et de nombreux blessés. Ces forces d’intervention rapides avaient déjà été employées face aux manifestants mais c’est surtout dans les massacres perpétrés au Darfour dans les années 2000 qu’elles ont fait leurs armes, sous la férule du général Hemetti et de son maître de l’époque, le président déchu El-Béchir.

 

L’emploi de ces forces et l’ampleur de la répression illustre le nouveau climat qui s’est installé au Soudan. Le conseil militaire de transition du général Abdel Fattah Abdelrahman Bourhan avait annoncé au lendemain du massacre la fin des discussions avant de se rétracter dès le jour suivant se déclarant ouvert à des négociations sans restrictions. De l’autre côté, les civils par la voix de l’association des professionnels soudanais s’opposaient à toute négociation avec les militaires, désormais hors de propos tant que les responsables de la tuerie n’auront pas été écroué.

 

Un nouveau bras de fer s’est engagé entre les militaires et les civils dans la condamnation de cette répression qui conditionne désormais l’avenir de la transition. Si les premiers ont regretté que des « erreurs se soient produites » les seconds demandent l’ouverture d’une enquête internationale pour juger les responsables du massacre, ce que les militaires dénoncent comme une ingérence. Face au blocage, une médiation extérieure semble devenir le seul recours. Le 7 juin dernier, le président éthiopien Abiy Ahmed qui bénéficie d’une image de pacifiste depuis la réconciliation entre l’Ethiopie et l’Erythrée l’année passée s’est rendu à Khartoum pour rencontrer les opposants et tenter de trouver une solution à la crise.

 

Seul, il apparaît toutefois peu probable qu’il parvienne à conduire les deux camps à une solution pacifique. Le 6 juin dernier, l’union africaine avait annoncé suspendre la participation du Soudan au sein de l’organisation jusqu’à l’établissement d’une autorité civile de transition, mais ces mesures semblent d’ores et déjà insuffisantes. Les civils sont soutenus par les Etats Unis, le département américain a en effet dépêché sur place mercredi dernier un émissaire spécial, l’ancien diplomate Donald Booth pour rencontrer les deux camps. Depuis lors, le mouvement de désobéissance civile mis en place suite aux répressions a été levé par les civils, mais l’issue du bras de fer reste encore incertaine, au regard des soutiens du conseil militaire de transition.

 

Nombre d’acteurs internationaux s’agitent dans cette crise, si les Etats Unis sont en faveur des civils, son poids est à nuancer au regard de l’intervention des Emirats, de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte en faveur des militaires au nom de la « stabilité ». Le général Hemetti avait notamment rencontré le 24 mai dernier le prince saoudien Mohammed ben Salman. La marge de manœuvre de la diplomatie américaine risque donc d’être limitée, alors que son allié saoudien se trouve engagé au Yémen contre les rebelles houtistes.

 

De la même manière, une médiation onusienne semble peu probable. Le 5 juin dernier une initiative du conseil de sécurité portée par le Royaume-Uni et l’Allemagne visant à condamner les violences avait été bloquée par Moscou et Pékin. Si les puissances occidentales et notamment la France se sont montrées « préoccupées » par les agissements du conseil militaire, la portée de leurs déclarations demeure faible.

 

Le pays semble clivé entre d’un côté, un conseil militaire représentant aux yeux de certaines puissances la stabilité dans le pays, et par extension dans la région et d’un autre, les civils incarnant une issue démocratique pour les puissances occidentales. Les espoirs des premiers jours se sont bels et bien évanouis.

 

 

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