Now Reading:
Les relations russo-autrichiennes : un irritant pour l’Union Européenne ?  
Full Article 9 minutes read

Les relations russo-autrichiennes : un irritant pour l’Union Européenne ?  

Par Lucille Laurent

 

 

Espionnage d’un ancien colonel autrichien pour le compte de la Russie

 

Vendredi 9 novembre 2018, le chancelier autrichien Sebastian Kurz (ÖVP) a révélé lors d’une conférence de presse qu’un colonel retraité de l’armée autrichienne était soupçonné d’avoir espionné son pays pour le compte de la Russie entre 1992 et septembre dernier. C’est un nouveau coup dur pour l’Autriche, dont les relations étroites avec Moscou éveillent depuis quelques mois les soupçons de ses partenaires européens. Le ministre de la défense autrichien, Mario Kunasek (FPÖ), a indiqué que cette affaire avait été découverte quelques semaines auparavant grâce aux informations fournies par une agence de renseignement britannique. « L’espionnage russe en Europe est inacceptable »[1] a martelé Sebastian Kurz alors qu’une enquête judiciaire du parquet de Salzbourg a été ouverte pour « divulgation de secrets d’Etat » et « révélation de secrets militaires ». Selon les informations recueillies lors de l’audition du militaire, le suspect aurait notamment transmis des renseignements sur les armements autrichiens, sur certains profils des membres de l’armée ainsi que sur la situation migratoire actuelle au sein du pays. Il a été placé sous contrôle judiciaire le mercredi 14 novembre et risque jusqu’à dix ans de prison.

 

Les relations entre l’Autriche et la Russie se sont tendues depuis l’annonce du chancelier. La ministre des affaires étrangères autrichienne, Karin Kneissl, a convoqué le chargé d’affaires russe à Vienne et a d’ores et déjà annulé son déplacement en Russie prévu en décembre. A Moscou, si le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré ne rien savoir de cette affaire, l’ambassadeur autrichien a été convoqué au Kremlin.

 

La neutralité autrichienne : un atout pour la Russie ?

 

Les relations entre l’Union Européenne et la Russie ne vont pas s’améliorer, a déclaré le chancelier Kurz. Pourtant, Vienne et Moscou sont des partenaires de longue date ; l’Autriche, qui assure depuis juillet la Présidence du Conseil de l’Union Européenne, s’était d’ailleurs montrée favorable à une reprise du dialogue avec la Russie. Pays situé au cœur de l’Europe, l’Autriche a dû promettre sa neutralité perpétuelle à l’Union Soviétique en 1955 afin de regagner son indépendance et de mettre fin aux dix années de tutelle militaire – mise en place par les alliés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale[2]. De ce fait, l’Autriche n’est pas membre de l’OTAN et le pays a joué durant la Guerre Froide un rôle d’interface entre l’Ouest et l’Est. En outre, son adhésion à l’Union Européenne a posé de réels problèmes juridiques, et si l’Autriche a tenté de se rapprocher de la CEE (Communauté économique européenne) pendant la Guerre Froide, ce n’est qu’en 1995 qu’elle a enfin pu y adhérer. La neutralité autrichienne, inscrite dans la constitution du pays, soulevait notamment des questions relatives à la PESC (Politique Etrangère de Sécurité Commune)[3] qui posait les bases du concept de défense commune en Europe.

 

En effet, le noyau de la neutralité autrichienne est davantage militaire que politique. La loi constitutionnelle de 1955 stipule notamment que « [l]’Autriche n’adhèrera jamais à une alliance militaire » et « ne tolèrera pas l’établissement sur son territoire de bases militaires d’États étrangers »[4]. Cependant, cela ne signifie pas pour les Autrichiens une « neutralisation » totale du pays, qui au fil du temps a transformé son statut en une « neutralité active » grâce à de nombreux ajustements. L’Autriche a notamment adhéré à toutes les organisations internationales, participé à certaines missions de maintien de la paix (Congo, Chypre, ex-Yougoslavie) et joué un rôle de modérateur dans certains conflits (Ukraine). L’Autriche a également signé le document cadre du Partenariat pour la Paix (PPP) de l’OTAN en 1995, ce qui lui permet de coopérer avec l’Alliance à ses propres conditions, sans en devenir membre. Il est important de remarquer que la neutralité est devenue une partie importante de l’identité autrichienne. Le 26 octobre, jour de l’adoption du statut de neutralité, est devenu la fête nationale.

 

La situation géopolitique de l’Autriche pendant la Guerre Froide, à l’intersection des deux blocs politiques et militaires, ainsi que l’attitude hostile de l’URSS envers les projets européens qu’elle considérait comme la base économique de l’OTAN, empêchaient tout rapprochement décisif entre l’Autriche et la CEE[5]. A titre d’exemple, en 1961, alors que Vienne proposait à la CEE un projet d’association partielle, l’URSS a fait savoir qu’elle considérait cette proposition comme incompatible avec le statut de neutralité autrichienne. Ce statut particulier a donc indirectement permis à l’URSS de freiner le rapprochement entre l’Autriche et l’Union Européenne en devenir. En outre, une Autriche neutre, aux côtés de la Suisse voisine, permettait de rompre la continuité géographique de l’OTAN entre l’Allemagne et l’Italie.

 

Le parti FPÖ, au pouvoir en vertu de la coalition scellée fin 2016 par le chancelier Sebastian Kurz, entretient d’excellentes relations avec le parti de Vladimir Poutine. Dès décembre 2016 – tout juste un mois après l’accession du FPÖ au pouvoir – un contrat de coopération stratégique fut signé avec le parti Russie Unie[6]. L’accord en question, valable pour les cinq prochaines années, prévoit notamment une coopération dans le domaine de l’échange d’informations. Au sein de l’UE, le FPÖ est l’une des formations dont les rapports amicaux avec Moscou comptent parmi les plus solides et les plus constants. L’extrême-droite autrichienne a notamment approuvé l’annexion russe de la Crimée, plaidé pour l’abrogation des sanctions économiques à l’égard de la Russie et loué le rôle de Moscou dans le conflit syrien[7].

 

L’Autriche suscite de plus en plus de méfiance de la part de ses partenaires européens

 

Récemment, de nombreux évènements ont entaché la réputation de l’Autriche en tant que partenaire fiable au sein de l’Union Européenne. Alors que l’extrême-droite est à la tête de plusieurs ministères régaliens, dont celui de l’Intérieur, les pays européens ont commencé à remettre en question la confiance accordée au pays concernant l’échange de renseignements stratégiques. En effet, en février, le siège viennois du Bureau pour la protection de la Constitution et la lutte contre le terrorisme (BVT), en charge de la sécurité intérieure et du contre-espionnage, a fait l’objet d’une perquisition très controversée au cours de laquelle des documents sensibles ont été saisis par le FPÖ. Dans la foulée, le chef du BVT, Peter Gridling, a été suspendu et remplacé par un proche du parti[8].

 

Le parti d’extrême-droite contrôle en effet les services de renseignement intérieur, extérieur et militaire du pays. Plusieurs services occidentaux ont depuis limité leurs échanges d’informations avec l’Autriche de peur que celles-ci ne soient partagées avec Moscou. L’Autriche s’était d’ailleurs retirée temporairement du Club de Berne, la plateforme d’échanges des services européens de renseignement intérieur, afin de prévenir une exclusion[9]. Elle a réintégré l’organisation en octobre 2018. Les médias d’opposition autrichiens ont alimenté la psychose en évoquant une « mainmise russe » sur les services secrets du pays[10] et en diffusant des images de la présence très controversée de Vladimir Poutine au mariage de la ministre des affaires étrangères Karin Kneissl en août[11].

 

Bien que ces craintes aient été officiellement balayées par le gouvernement autrichien, la récente découverte d’une affaire d’espionnage de longue date au sein de l’armée porte à nouveau atteinte à la crédibilité autrichienne en tant que partenaire fiable. Siège de nombreuses organisations internationales comme l’ONU, l’OPEP ou encore l’OSCE, Vienne a traditionnellement été le théâtre de nombreux échanges d’informations entre les grandes puissances. Mais ces derniers temps, la persistance des relations étroites entre Vienne et Moscou suscitent des interrogations de la part des pays européens, en particulier à l’heure où la Russie est accusée de cyber-attaques aux Pays-Bas ou encore en Lettonie. En mars, l’Autriche s’était également distinguée des autres pays européens en refusant d’expulser des diplomates russes suite à l’affaire Skripal, se disant favorable « au maintien de canaux de communication » avec Moscou. Par ailleurs, c’est à l’Autriche que Vladimir Poutine a consacré son premier déplacement en tant que président fraîchement réélu en juin 2018.

 

Ces divers événements et incidents peuvent avoir une réelle incidence sur les relations intra-européennes. Mais la récente découverte d’une affaire d’espionnage peut également remettre en question les bonnes relations entre Vienne et Moscou. Si les soupçons pesant sur l’ex-colonel de l’armée de terre venaient à être confirmés, cette affaire pourrait engendrer une véritable crise diplomatique entre la Russie et l’Autriche. Cependant, le président autrichien Alexander Van den Bellen, soucieux de minimiser la gravité de l’affaire, a affirmé que ce dossier ne troublerait pas durablement les relations entre les deux pays.

 

 

SOURCES : 

 

[1] Un colonel autrichien soupçonné d’espionnage, L’Obs, publié le 9/11/2018, consulté le 10/11/18. Disponible : https://www.nouvelobs.com/topnews/20181109.AFP8559/un-colonel-autrichien-soupconne-d-espionnage-au-profit-de-la-russie.html

 

[2] Informations sur la neutralité autrichienne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_autrichienne

 

[3] Hafner Gehrard, Schulz Patrick. La neutralité de l’Autriche après son adhésion à l’Union européenne.   In: Annuaire français de droit international, volume 40, 1994. pp. 287-325 https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1994_num_40_1_3194

 

[4] Informations sur la neutralité autrichienne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_autrichienne

 

[5] Ibid.

 

[6] Blaise Gauquelin, L’extrême-droite autrichienne s’allie avec Russie Unie, Le Monde, publié le 20/12/16, consulté le 10/11/18. Disponible : https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/12/20/l-extreme-droite-autrichienne-s-allie-a-russie-unie-le-parti-de-vladimir-poutine_5051746_3214.html

 

[7] Ibid.

 

[8] Luc André, En Autriche, la crainte d’un noyautage du renseignement par l’extrême-droite, L’Opinion, publié le 12/11/18 consulté le 13/11/18. Disponible : https://www.pressreader.com/france/lopinion/20181112/281608126457266

 

[9] Ibid.

 

[10] Russia ties cast doubt on reliability of Austria’s secret services, The Local, publié le 24/08/18, consulté le 10/11/18. Disponible : https://www.thelocal.at/20180824/fps-russia-ties-cast-doubt-on-reliability-of-austrias-secret-services

 

[11] Les services autrichiens sous influence russe?, Le Matin, publié le 23/08/18, consulté le 10/10/18. Disponible : https://www.lematin.ch/monde/services-autrichiens-influence-russe/story/18053964

Input your search keywords and press Enter.