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Editorial – L’Italie, pilier chancelant de la Défense Européenne
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Matteo Salvini, président de la Ligue du Nord, et Beppe Grillo, fondateur du M5S, ont signé le vendredi 18 mai un programme de gouvernement erratique qui fait frémir l’Europe ; la sécurité européenne pourrait se trouver bouleversée par l’avènement à Rome d’un pouvoir eurosceptique.

 

Certes, le programme ne mentionne pas la sortie de l’euro ; il n’en bafoue pas moins les critères de Maastricht, et mise sur une politique économique qui ferait fi de la réduction des déficits publics, au profit d’une relance keynésienne de la croissance économique. Ces proclamations préfigurent un rapport de force entre Rome et Bruxelles.

 

Quelles conséquences un tel rapport de force aurait-il sur la sécurité européenne ?

 

L’Italie fut l’un des principaux chantres de la défense européenne : en octobre 2016, elle fit partie avec l’Allemagne, la France et l’Espagne des quatre signataires d’une lettre d’intention appelant à l’instauration de la Coopération Structurée Permanente (PESCO). Rome avait du reste proposé la création d’une force européenne multinationale un an avant que le président Macron ne promeuve cette idée dans son discours à la Sorbonne, en septembre 2017.

 

Une telle volonté de coopérer avec l’Union Européenne répondait à un double objectif, industriel et sécuritaire : dans le champ industriel, l’Italie s’est par exemple associée au projet Eurodrone, aux discussions sur un avion européen de patrouille maritime ou au Future Combat Air System (FCAS). Elle a au reste souhaité renforcer ses coopérations avec l’Agence Européenne de Défense et avec l’Organisation de Coopération Conjointe en matière d’Armement (OCCAR).

 

Mais outre ce volet industriel, l’Italie est une frontière extérieure de l’Union européenne ; aussi les coopérations lui permettent-elles d’assurer sa propre sécurité. Alors qu’en 2017 le budget italien de la défense a atteint 23 milliards d’euros – soit 1,1% du PIB – l’Italie a reçu 75% des migrants et réfugiés qui avaient franchi la Méditerranée, soit 110 000 personnes, selon le chiffre de l’Organisation Internationale pour les Migrations.

 

Cette mobilisation particulière de l’Italie sur les questions migratoires comporte deux volets qui ne peuvent faire l’économie du multilatéralisme : la protection des frontières, qui bénéficie des coopérations sécuritaires européennes, et les opérations extérieures, qu’il s’agisse de stabilisation ou de Gestion Civile des Crises. Selon l’Istituto Affari Internazionali, l’Italie a mobilisé en 2016 plus de 6000 militaires dans des missions internationales, soit deux fois plus que l’Allemagne ; la majorité de ces soldats ont opéré en Afrique ou au Moyen Orient.

 

Le Livre Blanc de la Défense, publié en avril 2015, définit donc la zone euroméditerranéenne – au sens large l’Union Européenne, les Balkans, le Maghreb, le Moyen-Orient et la mer Noire – comme la première priorité stratégique pour Rome. Pour insister sur les coopérations européennes en matière de défense, ce White Paper n’en néglige toutefois pas l’OTAN : si l’Europe de la défense semble constituer un but diplomatique de long terme, “seule l’alliance entre l’Amérique du Nord et l’Europe est capable de dissuader, de décourager, et de fournir une défense militaire contre toute menace, quelle qu’elle soit“. L’Italie héberge par exemple, sur sa base aérienne d’Aviano, des forces nucléaires américaines. Ces deux axes structurants de la diplomatie italienne, européen et atlantique, pourraient se trouver ébranlés par l’arrivée du gouvernement conjoint du M5S et de la Ligue du Nord.

 

Plus encore que d’une volonté politique, le multilatéralisme italien est donc né d’une analyse stratégique ; il pourrait toutefois se trouver sacrifié sur l’autel des crispations souverainistes et de l’euroscepticisme. Ou bien les coopérations pourraient être remises en cause pour des raisons politiques – notamment sous l’influence de la Ligue – ou bien les ambitions budgétaires du nouveau gouvernement, en instaurant un rapport de force entre Rome et Bruxelles, pourraient marginaliser l’Italie sur la scène diplomatique européenne, alors que la Coopération Structurée Permanente pointe timidement la tête.

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