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Editorial – Guerre juridique après la sortie du JCPOA
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Par François Gaüzère-Mazauric et Jean Galvé

 

 

Le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne ouvre une période d’incertitudes pour l’ensemble des entreprises européennes : alors que les échanges entre l’Iran et l’UE retrouvent progressivement leur niveau de 2007 avec près de 21 milliards d’euros contre un peu plus de 5 milliards en 2013, voici que les sanctions américaines redeviennent une menace. Pour ne pas perdre la bataille juridique dans un contexte de guerre économique latente, il appartient à l’Europe de se doter des outils et de la doctrine capables de garantir sa souveraineté économique.

 

Entre « impérialisme » et vision très « souverainiste » de l’ordre international, l’extraterritorialité du droit américain repose sur un paradoxe ancien : la première puissance du monde, si elle refuse tout abandon de souveraineté dans le domaine juridique, impose ses lois urbi et orbi. Pour ce faire, l’arsenal juridique américain repose principalement sur trois piliers : le Foreign Corrupt Practice Act (FCPA) de 1977, le régime des sanctions internationales, et l’imposition d’une fiscalité attachée à la détention de la citoyenneté américaine pour les non-résidents sur le territoire des Etats-Unis. Au sein du département du trésor américain, l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) veille à l’application des sanctions économiques internationales et au respect du FCPA.

 

En 2002, John Bolton, alors sous-secrétaire d’Etat, justifiait le refus américain de ratifier le statut de Rome, instituant la Cour Pénale Internationale (en anglais ICC), précisément au nom de la défense souveraineté juridique : « The ICC is an organization whose percepts go against fundamental American notions of sovereignty, checks and balances, and national independence». Ce principe n’empêcha pas qu’une diplomatie des sanctions prospérât : en 2015, BNP Paribas était condamnée par la justice américaine à verser une amende de près de 9 milliards d’euros pour avoir réalisé des transactions en dollars avec des ressortissants de pays faisant l’objet d’un embargo américain.

 

De fait, les autorités américaines justifient l’application extraterritoriale de leur législation non pas au nom d’une « extraterritorialité revendiquée » mais d’une interprétation extensive de la notion de « compétence territoriale », couplée à la défense stricte de leur souveraineté nationale.

 

Face à cet usage politique du droit, et alors qu’on constate, parmi les entreprises ciblées par les sanctions américaines, une surreprésentation des entreprises européennes, la réponse de l’Union s’organise lentement. L’arsenal juridique européen n’est toutefois pas en reste : le règlement n° 2271/96 du Conseil adopté le 22 novembre 1996 « portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant » instaurait les premières mesures de blocage pour contourner les sanctions américaines contre Cuba et l’Iran (lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy). Il prévoyait notamment :

– l’obligation pour les entreprises européennes affectées, directement ou indirectement, par les lois américaines susmentionnées d’en aviser la Commission ;

– l’interdiction de reconnaître et de rendre exécutoires les décisions donnant effet à ces lois ;

– l’interdiction pour les citoyens et entreprises communautaires de se conformer aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères ;

– un droit à indemnisation des citoyens et entreprises communautaires lésés.

 

Le règlement de 1996, assorti d’une saisine de l’organisme de règlement des différends de l’OMC, avait permis l’établissement d’un rapport de force salutaire avec les Etats-Unis ; en 1998, au terme d’une guerre juridique larvée et de négociations politiques, la levée des sanctions américaines contre les entreprises européennes avait été obtenue.

 

La réactivation et le renforcement de telles lois fait partie des outils dont l’Union Européenne doit se doter pour défendre efficacement sa souveraineté économique. L’UE doit du reste se montrer capable d’assurer techniquement son indépendance financière, notamment en développant un système de garantie de financement qui ne passerait pas par les principales institutions bancaires ayant des intérêts aux Etats-Unis. Une autre piste est le renforcement de l’usage de l’euro comme monnaie d’échange internationale, ou encore la création d’un équivalent européen à l’OFAC afin de veiller à l’application homogène et cohérente des sanctions internationales qui relèvent jusqu’ici de la seule compétence des Etats membres.

 

Gageons, face à l’allié américain qui utilise plus que jamais son droit comme une arme politico-économique au service de ses propres intérêts nationaux, que les déclarations de Jean-Yves Le Drian se traduiront en actes : « nous disons aux Américains que les mesures de sanction qu’ils vont prendre les concernent, eux. Mais nous considérons que l’extraterritorialité de leurs mesures de sanctions est inacceptable. Les Européens n’ont pas à payer pour le retrait d’un accord par les Etats-Unis, auxquels ils avaient eux-mêmes contribué. Entre Européens, nous devons mettre en place les mesures nécessaires pour protéger les intérêts de nos entreprises et entamer des négociations avec Washington sur ce sujet ».

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