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Vers un rapprochement Israélo-Saoudien?
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 (…) Nec imbellem feroces

Progenerant aquilae columbam

 

Horace, Odes, IV

 

Par François Gaüzère-Mazauric et Jean Galvé

 

Le lundi 2 avril, dans un entretien accordé à la revue américaine The Atlantic, Mohammed Ben Salmane, prince héritier et vice-premier ministre d’Arabie Saoudite, reconnaissait que “Palestiniens et Israéliens avaient le droit à leur propre territoire” ; si cette déclaration ne témoigne pas d’une palinodie déstabilisatrice, c’est la première fois qu’un dirigeant saoudien reconnaît publiquement une légitimité, fût-elle indéfinie, à l’Etat d’Israël.

 

Le roi Salmane, tempérant dès le lendemain les déclarations de son fils, a réaffirmé “la position inébranlable du royaume sur la question palestinienne et les droits légitimes du peuple palestinien à un Etat indépendant avec Jérusalem comme capitale”. Pour autant, les propos de MBS marquent davantage que l’humeur passagère d’un dirigeant audacieux : ils ouvrent la voie à un rapprochement public entre Israël et l’Arabie Saoudite.

 

Est-ce à dire qu’avec l’émergence publique, face à un ennemi commun iranien, d’un axe Saoudo-israélien, la Realpolitik triomphe sur la rhétorique de la solidarité avec la communauté des croyants ?

 

Longtemps, la position saoudienne sur le conflit israélo-palestinien a été des plus ambivalentes. Une telle ambivalence est directement liée à l’histoire récente d’un royaume jeune et de ses deux piliers : l’alliance avec le grand frère américain, et la protection des lieux les plus saints de l’Islam. « Gardiens des Deux Saintes Mosquées » depuis 1986, les monarques Saoud ont fait de l’exercice du pouvoir temporel sur le cœur de la spiritualité islamique un instrument redoutable d’influence au service d’une politique étrangère panislamiste qu’incarne notamment la ligue islamique mondiale depuis sa création en 1962.

 

Cette politique étrangère de constitution d’un leadership mondial sur l’islam, élaborée avec le soutien bienveillant de l’allié américain en réaction au panarabisme républicain, s’est toutefois heurtée à l’émergence de la République Islamique d’Iran en 1979.

 

La confessionnalisation du conflit israélo-palestinien depuis la fin des années 1970 s’est par ailleurs traduite par le renforcement d’acteurs politico-religieux, Hamas proche des frères musulmans et Hezbollah chiite, dont l’influence grandissante a été acquise au détriment du royaume wahabbite.

 

Contrainte par le parrainage américain, qui lui donne certes une puissance financière et des capacités militaires inégalées dans la région, l’Arabie Saoudite voit la cohérence de sa rhétorique panislamique ébranlée par son alliance avec les démocraties occidentales, en particulier depuis la seconde guerre du Golfe et le lancement de la guerre contre la terreur. De cette fragilisation diplomatique du discours wahabbite pourrait naître un penchant vers la Realpolitik, et une alliance avec Israël.

 

Le rapprochement Israélo-Saoudien a récemment été appuyé par les Israéliens, qui, éprouvés par la menace hezbollahi, craignent la constitution d’un axe chiite autour du régime de Téhéran : Gadi Eizenkot, chef d’Etat-Major de l’armée israélienne, avait d’ailleurs en novembre 2017 accordé une interview au journal saoudien Elaph, et y avait déclaré que pour contenir l’Iran, “la plus grande menace de la région“, Israël était “prêt à échanger des informations avec les pays arabes modérés, y compris l’Arabie Saoudite“.

 

Après la démission passagère de Saad Hariri, très probablement orchestrée depuis Riyad pour dénoncer l’influence du Hezbollah au Liban, les Saoudiens pourraient du reste être tentés de contester par des moyens nouveaux l’influence iranienne dans le pays du Cèdre : une guerre entre Israël et le Hezbollah servirait en ce sens leurs intérêts. En février, le Hezbollah, suite à des tensions sur un gisement de gaz offshore, a menacé Israël d’affrontements.

 

Mohammed Ben Salmane, dans l’entretien qu’il a accordé à The Atlantic, divisait le Moyen Orient en deux camps rivaux : un “triangle du mal“, dont l’Iran serait le sommet, complété par les Frères Musulmans, et les Groupes terroristes sunnites, ferait face à une alliance d’Etats décrits comme modérés : la Jordanie, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, le Bahrein, Oman, et l’Arabie Saoudite.

 

Dans le rééquilibrage stratégique auquel ce nouvel axe donnerait lieu, Israël pourrait être tenté de se rapprocher du “camp modéré” décrit par Mohammed Ben Salmane. Au reste, les relations de l’Etat hébreu avec l’Egypte s’améliorent : le 19 février dernier, un contrat gazier était conclu entre les deux Etats, alors que des coopérations informelles en matière de sécurité dans le Sinaï ont été confirmées le 11 janvier par des officiels de Tsahal.

 

Les alliances nées de la convergence des menaces avaient longtemps éprouvé Israël ; il semble qu’elles soient aujourd’hui à l’aube de favoriser son intégration diplomatique dans la région avec un risque majeur cependant pour l’Arabie Saoudite : l’abandon de son leadership panislamiste. Pour les nombreux musulmans qui font du conflit israélo-palestinien un combat en faveur de l’unité de la communauté des croyants, le revirement saoudien apparaitrait au mieux comme un abandon, au pire comme une trahison…

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