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Au seuil
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Par Naël Madi, Président de Nemrod – Enjeux Contemporains de Défense et de Sécurité.

 

En 2018, la guerre revêtait la même acception depuis 2001 pour les Français : la guerre contre le terrorisme. Seule la guerre en Ukraine de 2014 était venue troubler ce conflit « Huntingtonien ». Or, depuis 2022 nous assistons à un renversement majeur des formes de conflictualité du fait de l’ouverture d’un affrontement conventionnel sur le sol européen. De ce choc, se dessine un nouveau rapport de l’opinion publique aux armées. Les armées françaises rencontrent un niveau de popularité historique nourri tant par la reconnaissance de leur impérieuse nécessité que par une crainte renforcée par les échecs militaires russes et la défaite du renseignement israélien le 7 octobre dernier. La guerre en Ukraine a mis en lumière qu’aucune armée, si grande soit elle, n’est infaillible. Pire, nous nous sommes rendu compte que l’armée russe faisait face aux pires difficultés. L’échec de leur puissance fait trembler notre propre sentiment de puissance. Ainsi un vent de doute s’est déployé sur les capacités militaires de la France. Et une réponse a été communément portée : l’économie de guerre. Cette notion d’économie de guerre est intéressante, car elle sous-entend que l’ensemble de l’économie se met au service de l’outil militaire pour un réarmement massif, rapide et continu. Ainsi les dépenses militaires de la Russie vont bondir de 70% d’ici 2026 en représentant 6% du PIB soit 106 milliards d’euros contre 63 milliards en 2023[1]. Si ces chiffres doivent être pris avec des pincettes, ils démontrent bien les efforts qu’appellent la notion d’économie de guerre.Mais qu’en est-il pour la France ? La Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, largement saluée, va dans le bon sens, à savoir l’augmentation du budget des armées. Les choix stratégiques sont également les bons : modernisation de notre force stratégique, nouveau porte-avions, investissement dans le spatial, pérennisation du renouvellement de nos moyens terrestres … Cependant les moyens alloués permettent-ils de caractériser une économie de guerre ? La réponse est non. Car la LPM, comme le dit très justement Renaud Bellais, s’inscrit « dans une logique de réparation de l’outil de défense et non de réarmement »[2]. Or, la France se donne-t-elle les moyens de rester une grande puissance militaire sans entrer véritablement dans une économie de guerre ? L’une des caractéristiques d’une puissance militaire est d’avoir la capacité de venir en aide à ses alliés. Cela passe nécessairement par un appareil industriel capable autant de répondre à la demande intérieure qu’extérieure. Mais quid quand deux alliés – l’Ukraine et Israël – sont engagés dans une guerre existentielle comme c’est le cas aujourd’hui ? Les livraisons à l’Ukraine ont d’abord été contraintes par les besoins de pérenniser notre outil militaire national. Et l’enlisement du conflit n’est pas une bonne nouvelle pour l’Ukraine qui voit au fur à mesure ses livraisons en armement se réduire. Que faire désormais pour Israël qui aurait besoin de munitions d’artillerie et d’éléments terrestres ? Nous atteignons un point de saturation.Pour que notre outil industriel puisse être à la hauteur de ces multiples enjeux, il aurait fallu que la France comptât des alliés européens fiables. On attend toujours. L’autre option aurait été d’investir massivement pour être capable de proposer des armements sur étagère. Ainsi, prétendre que la France est en régime d’économie de guerre, effort ultime qu’une nation ne consent que lors d’une menace existentielle, est faux. Mais la France fait face à des choix stratégiques majeurs nécessitant de répondre aux déséquilibres stratégiques fondamentaux que nous rencontrons. Notre statut de puissance passe par le respect de nos engagements d’alliés et la défense de nos principes. Et donc par des efforts nouveaux. La France se trouve donc en cette rentrée au seuil de choix stratégiques majeurs.  C’est dans ce cadre que se porte la réflexion de Nemrod, à savoir d’assurer un travail de recherche, de connaissance et de débat en nous interrogeant sur les grands enjeux de défense et la place de la France.

 

[1]  https://www.latribune.fr/economie/international/russie-le-budget-militaire-en-hausse-de-70-en-2024-laissant-craindre-un-enlisement-de-la-guerre -981708.html?amp=1
[1]  https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/17/faire-face-a-la-guerre-industrielle/

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