Vendredi 6 mai, le président des États-Unis, Joe Biden, a annoncé une aide militaire supplémentaire de 150 millions de dollars à l’Ukraine. Cette nouvelle aide confirme la volonté des Etats-Unis de jouer un rôle actif dans ce conflit aux portes de l’Europe. Par cette implication outre-atlantique, le président américain semble marquer une rupture avec la politique de recentrage sur les intérêts nationaux menée par son prédécesseur. Néanmoins, la politique étrangère pré-Trump était-elle réellement celle d’un engagement profond dans les relations transatlantiques ? Cela soulève la question de ce que l’on attend, peut-être injustement, de ce retour à la normale.
[1], confirmant l’amélioration de la relation transatlantique portée par l’administration du nouveau président.
Le 24 novembre 2020, Joe Biden déclarait que son pays était « prêt à diriger le monde, pas à s’en éloigner, prêt à affronter nos adversaires, pas à rejeter nos alliés, et prêt à défendre nos valeurs ». Suite à cette annonce, les leaders européens nourrissaient de grandes ambitions pour la relation transatlantique. Alexandra de Hoop Scheffer, directrice en France du groupe de réflexion German Marshall Fund of the United States, déclarait en octobre 2021 que « le ton du dialogue transatlantique a vraiment changé »[2].
Ces éléments ne laissaient pas présager le retrait soudain et désordonné des troupes américaines d’Afghanistan quelques mois plus tard, signant ainsi le premier camouflet du président Biden en matière de politique étrangère. Par ailleurs, alors que Donald Trump avait mis à mal la relation transatlantique, en proférant des critiques répétées à l’égard de l’OTAN, répétant à l’envi que les Alliés devaient participer davantage aux dépenses militaires, l’Europe pouvait espérer que l’élection d’une personnalité moins clivante à la tête de la première puissance mondiale signe le renouveau d’une relation apaisée. La crise des sous-marins tend à montrer que cette espérance était vaine. Le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire déclarait alors « l’épisode afghan, l’épisode des sous-marins, montrent que nous ne pouvons plus compter sur les Etats-Unis d’Amérique pour garantir notre protection stratégique »Si l’Europe a tant été déçue de la position adoptée par les États-Unis en matière de politique étrangère, cela lui est également imputable. En effet, attendre du président nouvellement élu qu’il mène sa politique étrangère de concert avec l’Europe tout en se détournant des intérêts nationaux revient à fantasmer la relation transatlantique, troublée par plusieurs événements bien avant l’élection de Donald Trump. Le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966 ou le choix de ne pas soutenir l’intervention militaire en Irak en 2003 en sont autant d’exemples. Les deux mandats de Barack Obama avaient déjà été marqués par la fin de l’interventionnisme militaire et par un désengagement des troupes américaines de plusieurs théâtres d’opérations, notamment l’Irak. Après une décennie d’engagement dans des guerres considérées par beaucoup comme injustifiées, l’opinion publique américaine témoignait d’une certaine war fatigue. Le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, qui était déjà une promesse de campagne de Barack Obama en 2008, s’inscrit donc pleinement dans cette dynamique. Il apparaît donc que la personnalité fantasque de Donald Trump et sa diplomatie des tweets a obscurci le constat pourtant déjà clair sous Obama du recentrage des États-Unis sur leurs intérêts nationaux.
Par ailleurs, considérer la politique étrangère des États-Unis sous le seul prisme du rôle du président revient à omettre la place du Congrès américain dans la politique étrangère. Durant l’annonce de la nouvelle aide militaire apportée à l’Ukraine, Joe Biden a déclaré que « le Congrès doit rapidement débloquer l’enveloppe requise pour renforcer l’Ukraine sur le champ de bataille et à la table des négociations ». Cette déclaration rappelle que le Congrès peut trancher les choix affectant aussi bien le budget du Pentagone qu’une opération militaire en cours. Cet encadrement de la politique extérieure par le Congrès explique en partie la continuité de la politique de désengagement menée par les trois derniers présidents.
[3]: « Détenir le meilleur marteau ne signifie pas que chaque problème est un clou ». Les avantages d’une telle approche sont nombreux et notamment financiers. Si les 33,5 milliards de dollars qui pourraient être débloqués par le Congrès représentent une somme conséquente, cela est en réalité bien moins onéreux qu’une intervention militaire directe : en 2008, Linda Bilmes et Joseph Stiglitz ont estimé à 3 000 milliards de dollars le coût global de la guerre en Irak incluant les dépenses budgétaires, y compris les dépenses futures, au titre des pensions, et les coûts économiques. Par ailleurs, en agissant via des aides économiques, les Etats-Unis évitent l’escalade du conflit qu’aurait pu provoquer le déploiement de troupes américaines en Ukraine.
L’aide militaire couplée aux mesures de rétorsion économiques coûteuses pour les Etats-Unis confirment cette politique de désengagement ainsi que les grandes lignes de la redéfinition démocrate de la politique étrangère : une réponse diplomatique et économique plutôt que par l’usage de la force militaire. Cette politique étrangère correspond à la déclaration faite par Barack Obama lors de son discours à l’académie militaire de West Point en 2014Après le mandat de Donald Trump, la politique des affaires étrangères de Joe Biden marque donc un retour à la normale sur la forme. Pour autant, sur le fond, le président, comme ses deux prédécesseurs, semble avoir à cœur de mener à bien le désengagement des troupes et de ne développer la relation transatlantique que lorsque cela ne contrevient pas aux intérêts nationaux.