Jeudi 10 mars a eu lieu le « grand oral » des conseillers de défense de 5 des 12 candidats à l’élection présidentielle : Éric Zemmour, Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel. Organisé par la fédération Atlas, il était structuré autour de 5 grands thèmes : la guerre en Ukraine, l’Europe de la Défense, la Base industrielle et technologique de défense (BITD), les opérations extérieures, l’opération Sentinelle ainsi que la dissuasion nucléaire.
La guerre en Ukraine a beaucoup renforcé l’importance des enjeux de la défense nationale, dont la campagne présidentielle s’est particulièrement saisie.
Les critiques émises à l’encontre de la politique du président Emmanuel Macron et de sa majorité n’ont pas concerné le suivi de la trajectoire budgétaire fixée par le Parlement : pour cause, la loi de programmation militaire (LPM) fixant la trajectoire du budget de l’armée sur la période 2019-2025 a jusqu’ici été suivie à la lettre durant le quinquennat actuel. Si le budget du ministère des armées est aujourd’hui de 41 milliards d’euros, il devrait atteindre les 50 milliards en 2025 si la trajectoire prévue par la LPM est respectée. Il est donc difficile pour les candidats d’émettre des critiques ou des propositions de rupture sur ce sujet. Par ailleurs, la guerre en Ukraine dissuade les candidats de proposer une baisse des crédits alloués au ministère des Armées. Seuls Éric Zemmour, Marine Le Pen et Valérie Pécresse se sont risqués à donner des propositions chiffrées de budget. Si Éric Zemmour et Valérie Pécresse proposent des augmentations substantielles avec respectivement 70 et 65 milliards d’euros à l’horizon 2030 – soit une augmentation respective de 70 et 58 % en 2030 par rapport au budget actuel – Marine Le Pen s’inscrit dans la pleine continuité de la LPM avec une trajectoire financière portant le budget de la défense à 55 milliards d’euros d’ici 2027. Sa proposition pourrait même être inférieure à celle d’Emmanuel Macron, le chef de l’État ayant assuré que la France « amplifiera l’investissement dans sa défense. »
Avant de pouvoir développer des propositions novatrices sur les sujets de défense, certains candidats et leurs conseillers défense ont dû rétablir leur crédibilité sur les enjeux de sécurité. Pour défendre les positions développées par le passé en faveur de la Russie, Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont eu à condamner fermement l’écrasante responsabilité de Vladimir Poutine tout en insistant sur le rôle de l’OTAN dans le déclenchement de cette guerre ; ce afin de jeter l’opprobre sur la politique du gouvernement. Ainsi, Bastien Lachaud, conseiller défense de Jean-Luc Mélenchon a rappelé lors du grand oral que Kissinger lui-même avait alerté sur le risque que présentait une extension de l’OTAN.
C’est donc naturellement que l’alliance atlantique est devenue un axe central des programmes de défense des candidats. Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon font valoir une position de rupture. En effet, ces trois candidats proposent le retrait immédiat de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Le candidat communiste Fabien Roussel va jusqu’à proposer que la France quitte cette organisation internationale dans son ensemble et demande sa dissolution. Si l’objectif est commun, les justifications diffèrent. Alors que Marine Le Pen et Éric Zemmour avancent l’argument d’une indépendance militaire retrouvée, Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon accusent l’OTAN d’être une alliance « agressive ». Ainsi, Fabien Roussel souhaite créer un cadre européen de coopération et de sécurité collective pour remplacer l’Alliance Atlantique tandis Jean-Luc Mélenchon propose de se tourner vers l’ONU.
Ce « grand oral » a permis de mettre en lumière le fait que sur les autres grandes questions de la défense, les candidats d’opposition tenaient des positions relativement proches de celles du gouvernement. Sur le thème de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD), tous les conseillers défense se sont accordés sur l’importance de ce tissu industriel et sur la nécessité de le préserver. M. Lachaud et M. Devers-Dreyfus, le conseiller politique de Fabien Roussel, se sont néanmoins positionnés contre la politique d’exportation d’armes vers certains pays, comme l’Arabie saoudite, qui selon eux rend la France complice de crimes de guerre. Ils ont par ailleurs tous les deux affirmé que si leurs candidats étaient élus, ils nationaliseraient les grands groupes de défense. Concernant les opérations extérieures, les conseillers défense ont tenu des positions similaires en reconnaissant que ces opérations avaient été des réussites militaires, mais des échecs politiques. M. Devers-Dreyfus a néanmoins rapproché les opérations extérieures françaises d’une certaine forme de néocolonialisme. Il a donc avancé que si Fabien Roussel était élu Président de la République, la France ne déploierait ses troupes que dans le cadre des opérations de maintien de la paix décrétées par l’ONU. On retrouve une position similaire dans le programme de Jean-Luc Mélenchon.
Les programmes de défense des candidats et le grand oral organisé par la fédération Atlas permettent donc de mettre en lumière plusieurs éléments. Après un exercice périlleux durant lequel certains d’entre eux ont dû éclaircir leur position vis-à-vis de la Russie, les candidats d’opposition ont concentré leurs critiques sur l’adhésion à l’OTAN. Les questions de défense, dans la mesure où elles touchent à la sauvegarde de l’État, avaient parfois noué des consensus par-delà les dissensions partisanes : la campagne de 2022 semble signer, de ce point de vue, la fin d’une telle époque. Dans un contexte d’augmentation tendancielle des dépenses militaires comme des menaces conventionnelles, la question de l’intégration de la défense française dans le cadre de l’OTAN ou dans le cadre européen polarisera en effet les candidats à l’élection présidentielle, et dessine, dans le débat public, des lignes de fracture plus nettes que jamais.