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SCAF : de la voie thébaine au bal tragique ?
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Par Naël Madi, 

 

Il y a un an, face au piège de Thucydide tant redouté, nous rappelions à la France l’existence de la « voie thébaine »[1]. Cette troisième voie, alliance de la raison et de l’ambition, permettrait à notre nation de recouvrer sa puissance grâce à une alliance solide avec l’Allemagne. De cette union naîtrait un géant. En seulement une année, ce rêve a été fortement ébranlé, non pas du fait de la partie française mais de celui d’un allié bien fragile, devenu un partenaire trop peu fiable.

 

La politique de défense de la France est dans une dynamique que l’on ne peut que saluer. La loi de programmation militaire a permis l’augmentation conséquente de notre budget de la défense et certains fonds de France Relance profitent à notre base industrielle et technologique de défense (BITD). La volonté politique de l’exécutif est ferme : moderniser notre armée pour la préparer au combat à haute intensité. Et, on peut s’en féliciter, la France semble enfin se rassembler autour de cette politique.

 

Si notre armée fait notre fierté, c’est que la Vème République scelle depuis ses débuts une alliance forte entre le politique, le militaire et l’industriel. Le succès du Rafale en est l’exemple : il surpasse largement l’Eurofighter auquel la France avait initialement lié son destin et dont elle est sortie par courage politique. L’excellence de notre BITD a ensuite fait le reste.

 

Cependant, c’est aujourd’hui comme hier notre allié allemand qui nous fait défaut.

La conception du successeur du Rafale doit être lancée maintenant pour une entrée en service progressive en 2040. Un choix ambitieux a été fait, celui de sauter une génération pour arriver directement à la 6ème génération d’avion de combat. Ainsi a été initié le projet SCAF (système de combat aérien du futur) lancé en 2017 en partenariat avec l’Allemagne pour développer un « système de systèmes », c’est-à-dire un avion de combat habité associé à des drones, à un cloud de combat, à des liaisons satellitaires grâce à l’intelligence artificielle.

 

Face à ce défi capacitaire, la France a cédé aux demandes allemandes d’association. Une volonté berlinoise de renforcer la coopération bilatérale ? Nullement. Le choix allemand a été uniquement nourri par le cavalier seul américain, le F-35 ayant une architecture fermée sans aucune interopérabilité. Or, les élites françaises et allemandes ont camouflé cette réalité sous celle de l’intégration et de la liaison de nos destinées pour une Europe de la défense. Ainsi selon les termes de la ministre des Armées, cette alliance doit « conduire l’Europe à faire un pas irréversible vers une véritable Europe de la défense »[2]. Après les grandes annonces et les joies est venu le temps lourd des déconvenues. Avec l’Allemagne, dont nous sommes l’allié politique mais le concurrent industriel, il y a rarement de mariage heureux.

 

Pourtant, l’ensemble des acteurs français du secteur de la défense en était déjà bien conscient. Les pas de retrait allemands sur l’A400M et l’abandon de sa participation au Missile MAST-F en 2018 étaient déjà des signaux sérieux de faiblesse de la parole donnée. Il faut désormais y ajouter le jeu trouble berlinois quant au programme de Tigre Mk3, au patrouilleur maritime MAWS et au SCAF.

 

Éludons les questions techniques qui posent problème. Nous pouvons aisément résumer la situation ainsi : Berlin a trop d’appétit. Son intérêt industriel prime sur les capacités du SCAF. Berlin n’a pas la philosophie du « meilleur athlète » qui est la nôtre, peut-être d’abord à cause de la faiblesse de la pensée militaire allemande. Malheureusement, et c’est là le drame, si ce divorce pour faute devait être prononcé, il le serait à la demande de l’Allemagne.

 

Alors comment ne pas saluer les mots du PDG de Dassault Aviation, Éric Trappier, qui défend les intérêts du savoir-faire unique de son entreprise et plus largement de la souveraineté industrielle de la France[3]. L’Allemagne doit savoir que, comme pour le Rafale, la France est capable de réaliser elle-même l’avion du futur. A l’instar de la dissuasion nucléaire ou du porte-avions, la défense de la France est toujours portée par une volonté politique inébranlable.

 

Cependant, la construction en commun de ce projet serait un atout essentiel pour la défense de nos deux nations et assurerait une forte attractivité à la vente.

 

Les mots de la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, Françoise Dumas, sont forts justes : « S’il est une illusion dont il faut se défaire, c’est celle que les deux nations ont encore le temps de tergiverser »[4]. Ainsi, la coopération capacitaire est un des piliers vers la voie thébaine, à défaut le bal franco-allemand pourrait s’avérer tragique. Un mort : l’Europe de la défense.

 

 

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