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Le bureau du procureur: organe politique de la Cour Pénale Internationale
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Par Jérémie Ezerzer

Vendredi 5 février, après un vote de la chambre préliminaire, la Cour Pénale Internationale (CPI) s’est déclarée compétente sur les faits survenus dans les territoires palestiniens au cours de l’été 2014. La chambre des procureurs est donc désormais autorisée à ouvrir une enquête sur de possibles crimes de guerre commis par des Israéliens sur le sol palestinien.

Cette prise de position dans des événements aussi politiques peut surprendre. La portée de la CPI étant uniquement juridique, elle ne doit pas agir comme une institution diplomatique. Cependant, cette déclaration s’inscrit dans la logique de la gestion de la question palestinienne par cette institution et met en exergue l’influence de l’organisation interne de la Cour dans ses prises de positions.

Fondée sur le statut de Rome en juillet 2002, la CPI est chargée de juger les cas de génocide, les crimes contre l’humanité, de guerre ou d’agression lorsque les États membres ne peuvent pas ou ne souhaitent pas les juger. Son but est donc de compléter l’action juridique nationale des États ayant ratifié le statut de Rome. En ratifiant ce statut, chaque État  accepte de se soumettre à la juridiction de la Cour. L’État membre ne peut refuser qu’un de ses ressortissants soit jugé par la Cour. En échange de ce pouvoir, il peut se voir partiellement protégé par la CPI puisque la Cour peut juger un crime commis sur le sol d’un État signataire, même si celui-ci est commis par un ressortissant étranger (1).

Ne pouvant juger que des individus et non des États, le rôle de la CPI se limite au champ juridique. Cependant, agir sur des affaires internationales sans devenir un organe politique ou diplomatique est un exercice périlleux. Souvent critiquée et discréditée pour son inefficacité, la CPI fait face au même paradoxe que de nombreuses autres organisations internationales. Son pouvoir est limité à celui que les États acceptent de lui reconnaître. Étant habilitée à agir uniquement si les États concernés par un crime relevant de la compétence de la CPI ne peuvent ou ne souhaitent le faire, la Cour n’a pas vocation à jouer un rôle d’arbitre ou de médiateur. (2)

Alors que la majorité des chambres au sein de l’institution ont un rôle simplement juridique, le bureau du procureur a une fonction hybride. Cet organe indépendant au sein de la Cour a pour  rôle d’examiner les renseignements, de mener les enquêtes et de poursuivre les personnes responsables de crimes relevant de la compétence de la Cour. Tandis que l’action des autres chambres de l’institution se concentre sur des individus, le bureau du procureur doit composer avec des États. Par nature, cet organe est celui dont la fonction est la plus politique.

Il est précisé dans le statut de Rome que “Ses membres ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucune source extérieure.” (3) Le fait que ce bureau soit séparé du reste de l’institution témoigne de cette différence de fonction. Il est reproché à la Cour dans son ensemble d’avoir vu son action se politiser alors que ce qui relève des enquêtes est tout à fait séparé du reste de la CPI.

Alors que l’autorisation de l’enquête fait grand bruit, il est important de rappeler que la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, n’était pas tenue de demander cette autorisation à la chambre préliminaire et aurait pu démarrer l’enquête dès décembre 2019 (4). En demandant cette autorisation, la procureure force la CPI à prendre une décision politique. Quelle que soit la réponse de la Cour, elle est en effet forcée de se prononcer sur le statut de la Palestine. Bien qu’elle affirme statuer uniquement sur sa juridiction territoriale (5), cette autorisation figure finalement comme la suite logique de la ratification du statut de Rome par la Palestine en janvier 2015. Permettre cette ratification avait été jugé comme hautement politique par de nombreux acteurs. De fait, pour la seconde fois en six ans, la CPI reconnaît l’existence de la Palestine et va cette fois plus loin en définissant les frontières.

Bien que hautement symbolique, les conséquences de cette décision sont limitées. En effet, malgré son autorisation, il est peu probable qu’une enquête ait lieu. Le mandat de Fatou Bensouda comme procureure arrive à son terme et rien ne laisse supposer que Karim Khan, son successeur, souhaitera agir dans la même voie. De plus, si l’enquête est menée à bien et qu’un citoyen israélien est accusé par la Cour, il sera alors difficile de donner lieu à un procès. En effet, alors qu’un pays signataire du statut de Rome est tenu de prendre en charge l’arrestation de l’accusé et de le mener jusqu’à la Cour aux Pays-Bas, un État n’ayant pas ratifié le statut, comme c’est le cas pour l’État d’Israël, n’a aucune obligation envers la Cour (6).

En définitive, alors que la décision d’autoriser une enquête est éminemment politique, cela ne constitue pas un changement de cap soudain de la CPI,  mais plutôt la suite des décisions prises il y a six ans. De plus, l’organisation interne de la CPI permet d’observer que la politisation apparente de la Cour n’est pas le fruit d’une volonté générale, mais bien du seul bureau du procureur. Les actions menées à l’avenir par Karim Khan permettront d’évaluer le rôle de Fatou Bensouda dans les critiques formulées à l’égard de l’institution.


Notes 

(1) Cour Pénale Internationale, Statut de Rome, entré en vigueur le 2 Juillet 2002, art. 12.
(2) Ferlet, Philippe, et Patrice Sartre. « La Cour pénale internationale. à la lumière des positions américaine et française », Études, vol. tome 406, no. 2, 2007, pp. 165-174.
(3)  Cour Pénale Internationale, Statut de Rome, entré en vigueur le 2 Juillet 2002, art. 42.
(4)  Maupas, S., 2019. La CPI veut enquêter sur d’éventuels « crimes de guerre » dans les territoires palestiniens. [online] Le Monde.fr. Available at: <https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/20/la-cpi-veut-enqueter-sur-d-eventuels-crimes-de-guerre-dans-les-territoires-palestiniens_6023652_3210.html> [Accessed 13 February 2021].
(5)  Icc-cpi.int. 2021. La Chambre préliminaire I de la CPI rend sa décision sur la demande du Procureur relative à la compétence territoriale concernant la Palestine. [online] Available at: <https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1566&ln=fr> [Accessed 13 February 2021].
(6)   Cour Pénale Internationale, Statut de Rome, entré en vigueur le 2 Juillet 2002, art. 12.

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