Par Salomé Sifaoui
Le 26 janvier 2021, un appel téléphonique entre le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine a permis de convenir oralement de la prolongation du traité New START, pour un délai de cinq ans et sans conditions préalables. Initialement signé en 2010, le New START, nouveau traité de réduction des armements stratégiques, limite le nombre d’ogives nucléaires stratégiques à 1550 par pays et le nombre de vecteurs stratégiques à 700. Il comprend également des mesures de transparence et de confiance dont des inspections sur place et des échanges de données. Dernier traité de contrôle de l’armement entre les Etats-Unis et la Russie, New Start a expiré le 5 février 2021. La Russie a présenté l’extension à la Douma, où elle a été signée le 29 janvier 2021. Le 3 février 2021, les États-Unis ont confirmé l’extension du New START, une décision qui ne nécessitait pas l’approbation du Congrès.
Les mesures de maîtrise des armements et de réduction des risques nucléaires sont une priorité pour l’administration Biden. Elles nécessitent des efforts diplomatiques soutenus qui s’insèrent dans un paysage de politique étrangère chargé, dans lequel les relations avec la Russie sont de plus en plus tendues. L’extension du New START a été précipitée par des contraintes calendaires, empêchant toute négociation : la continuité du New START est donc complète et inconditionnelle alors que le stock stratégique russe a augmenté et ses armes non stratégiques ne sont pas conformes aux réglementations, notamment l’armement hypersonique. Si certains pensent que Joe Biden aurait dû reprendre des négociations autour du plafond vérifiable ou du gel du nombre total de stock l’expiration du traité était trop proche pour relancer des pourparlers. Néanmoins, l’extension du traité New START est un premier pas amorcé par la nouvelle administration en vue de redéfinir les rapports avec la Russie.
Néanmoins, quels sont les axes de négociations autour de la maîtrise des armements ? La principale menace russe est celle du contournement des obligations conventionnelles, qui s’ajoute au non-respect par Moscou des différents accords et aux limites du traité qui ne comprend pas la modernisation des technologies.
D’abord, concernant plusieurs traités, les Russes n’ont pas honoré leur engagement. Le missile russe 9M729 ne respectait pas le Traité des Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (INF). En outre, la transparence n’était pas entière dans le traité Ciel Ouvert, notamment pour le survol de Kaliningrad, et Moscou contournait la Convention sur les armes chimiques avec la production de Novitchok. Ces manquements ont précipité le retrait des Etats-Unis en 2016 et 2020. Depuis 2016, la Russie a continué de moderniser (1) ses forces nucléaires et a mis au point de nouvelles technologies dont les vecteurs hypersoniques (planeur Avangard, équipé de l’ICBM Sarmat) les torpilles nucléaires à longues portée (ICMB Skif basé dans le fond marin et le drone sous-marin Poseidon équipé de torpilles Status–6) et systèmes de frappe ou de défense anti-ICBM (2). Certaines avancées ne sont pas comprises dans les traités, à l’instar de la technologie hypersonique, ou bénéficient de la fin des accords (INF par exemple).
Ainsi, dans le processus de reconstruction d’un cadre légal de l’armement stratégique, les futurs accords doivent tenir compte de la conformité russe lors des mesures de vérification et insérer les nouvelles composantes technologiques de l’armement. Pourtant, l’attitude russe de non-coopération, de modernisation poussée, de contournement et de non-respect des droits de l’Homme est un frein au processus diplomatique. Les derniers faits d’empoisonnement de l’opposant Alexei Navalny, ainsi que leur stratégie d’influence en Europe de l’est, en Afrique et en Amérique du sud et leur partenariat avec Pékin, compliquent les pourparlers diplomatiques autour de la stabilité stratégique, pourtant nécessaires. En plus de la négociation d’un nouveau traité, les États-Unis et la Russie devraient s’engager dans des pourparlers de stabilité stratégique pour résoudre un éventail de problèmes, notamment l’augmentation des activités en zones grises russes (Crimée, Kaliningrad, péninsule de Kola), les campagnes de désinformation et l’ingérence électorale, ainsi que les postures agressives dans l’espace et les cyberattaques généralisées. Les négociations sur la stabilité stratégique offrent un moyen de désamorcer les tensions militaires et d’aborder la gestion des crises. Dans ce nouvel environnement sécuritaire, la maîtrise des armements est une zone grise entre la concurrence et la coopération : la confiance et la coopération sont difficiles, mais des progrès autour d’intérêts communs peuvent être atteints.
Après la Russie, dans le cadre de la concurrence, s’insère la Chine qui ne participe pas aux accords de maîtrise. Les réticences de l’administration Trump, au-delà des doutes sur la transparence russe, s’expliquaient aussi par la perception de la menace chinoise. De même, l’absence de la Chine dans les débats sur l’arms control est une limite essentielle au format bilatéral de ce genre de trait. La nouvelle administration, dans son souhait de coopération, doit inciter la Chine à s’insérer dans les traités notamment pour la maîtrise des armements, la stabilité stratégique et les mesures de confiance. Les Etats-Unis pourraient ainsi proposer à la Chine des vérifications pour promouvoir la transparence et la coopération technique, mais la Chine est réticente à tout processus de négociation. Pourtant, son arsenal stratégique s’est développé qualitativement et quantitativement depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir. La multilatéralisation de la maîtrise des armements pose problème à Pékin notamment pour l’INF, arguant que cela assoirait la supériorité américaine.
Au-delà des composantes nucléaires, la nouvelle administration devra également envisager d’autres structures, modalités et modèles de participation pour la maîtrise des armements afin de tenir compte des technologies en évolution rapide. Les progrès de la technologie – y compris la télédétection, l’intelligence artificielle et les véhicules hypersoniques – transforment la précision, la létalité et la capacité de survie de l’armement conventionnel. Ces évolutions modifient les notions traditionnelles de stabilité et à brouillent les seuils et les coupe-feux entre les conflits conventionnels et stratégiques. Le mélange des forces nucléaires et conventionnelles ainsi que les interactions de plus en plus complexes entre les systèmes spatiaux, cybernétiques et conventionnels transforment le paysage stratégique, qui lui-même, est plongé dans un environnement informationnel de plus en plus rapide et militarisé (3).
Notes:
(1) Baev, Pavel. « La modernisation nucléaire russe et les “supermissiles” de Vladimir Poutine. Vraies questions et fausse posture », IFRI , s. d., 36.
(2) « Désarmement, non-prolifération nucléaires et sécurité de la France ». Consulté le 8 février 2021. https://www.senat.fr/rap/r09-332/r09-3322.html
(3) « Arms Control Strategies for a New Administration ». Consulté le 8 février 2021. https://www.csis.org/analysis/arms-control-strategies-new-administration.