« La violence des armes est toujours la conséquence d’un désordre social et politique. Une fois que la violence a éclaté, pour résoudre le désordre, il faut en effet d’abord faire taire les armes, ce qui est le rôle du militaire. Ensuite, et ensuite seulement, l’homme politique doit intervenir pour construire la paix »
Général de Malaussène,Une guerre juste ?, 2019
A l’origine, les forces de maintien de la paix de l’ONU, officiellement créées en 1956 mais déployées dès 1948 au Moyen-Orient, se composent d’observateurs militaires qui interviennent après l’accord de paix. La mission de ces derniers est de superviser le cessez-le-feu entre Israël, les Palestiniens et leurs voisins Arabes (mission UNTSO). Depuis, 71 opérations de maintien de la paix (OMP) se sont tenues à travers le monde parmi lesquelles douze sont encore en cours, soit plus de 95 000 personnels onusiens (1). Malgré quelques succès au début du siècle (en Namibie avec GANUPT en 1990, au Sierra Leone, la MINUSIL jusqu’en 2005, au Liberia avec l’opération MINUL créée en 2003), les critiques s’accumulent et remettent en cause les capacités de l’ONU à préserver la paix. Des pertes régulières et quelques saillies médiatiques scandaleuses laissent dubitatif quant à la pertinence des opérations de maintien de la paix comme sortie de crise.
Force est de constater l’impuissance de l’ONU face à l’avènement de la paix, particulièrement sur le continent africain où les missions se multiplient sans fin. Cet échec tient en partie à la conception, ou la déformation, du maintien de la paix tel qu’il est conçu par les Nations Unies, qui n’interviennent plus pour résoudre un conflit mais pour le stabiliser. Certains déploiements, parfois sans l’accord des deux belligérants, font figure d’interventionnisme militaire et rendent d’autant plus illusoire et stérile l’imposition d’une paix qui ne peut remplacer le règlement réel d’un conflit. Les opérations de maintien de la paix sont alors presque une finalité en soi, comme un prétexte pour éviter toute action. On se contente de limiter les symptômes du mal, dont les civils sont souvent les premières victimes, sans s’attaquer aux causes profondes d’un conflit. De l’impassibilité des casques bleus découlent une passivité et un enlisement militaire qui dissimulent mal l’absence de politique.
Ce manque de stratégie se traduit par l’usage d’une unique méthodologie qui, d’une mission à l’autre, ne tient pas compte des particularités propres à chaque acteur et pays. Les mandats des interventions sont sensiblement tous les mêmes et, faute de convergence, l’accumulation de « bonnes volontés internationales » (2) ne permet ni priorisation ni coordination des interventions. Il en résulte une dissolution de la responsabilité et une infantilisation des États en difficulté qui consentent pleinement à un nouveau type de domination, financière. Finalement, les difficultés que rencontre la communauté internationale dans le maintien de la paix sont révélatrices d’une crise plus profonde, celle du multilatéralisme onusien. L’ONU se contente d’être un forum d’idées ne produisant qu’un discours collectif et trop souvent consensuel.
Il serait temps que les multiples tentatives de réformes aboutissent et qu’elles soient soutenues par les Etats membres. Des orientations claires et des délais précis permettront de combler les écarts entre objectifs sur le papier et réalité. Une approche plus régionale de la conflictualité offrirait une meilleure efficacité et prise en main des États concernés. La désignation d’une nation pilote aux côtés des Nations Unies (comme la Force Licorne en Côte d’Ivoire), doit permettre de reprendre l’avantage sur le terrain. Sinon, l’ONU ne parviendra à résoudre de conflits qu’à la condition de renouer avec sa mission originelle. Il ne s’agit pas d’imposer la paix, mais de faire taire la violence pour créer les conditions de sa négociation et de son respect. Ainsi, cela passe par une victoire sur le terrain.
Dans cette optique, l’approche sécuritaire doit être renforcée et renouvelée, ce qui induit nécessairement une adaptation de l’emploi des casques bleus et de leurs effectifs militaires. A l’heure actuelle, l’ONU est impuissante militairement. Ses principes, trop centrés sur une approche étatique, ne sont plus en accord avec les réalités des conflits contemporains. Hétéroclites et en manque de moyens, les casques bleus n’ont d’armée que le nom. Outre le fait de geler des situations de crise sans les résoudre, il va à l’encontre du principe du soldat.
Déployer en zone de crise une unité qui, peu ou prou, ne peut faire usage de la force qu’en cas de légitime défense dénature la finalité du militaire : exposés à des risques croissants, les casques bleus n’en viennent plus qu’à se protéger eux-mêmes au lieu de défendre les populations civiles. Ils ne peuvent que constater les dégâts faute de pouvoir les prévenir, alors qu’ils devraient parvenir à inverser le rapport de force sur le terrain et à sévir contre ceux qui transgressent les accords de paix. En outre, en voulant restaurer un état de droit qui n’a parfois jamais existé, l’armée de la paix en est réduite à servir d’assurance vie à des régimes corrompus et en manque de légitimité. Cette perte de sens est dramatique sur le plan individuel et collectif, surtout lorsqu’elle s’accompagne de défaillances et de scandales comme l’actualité récente a pu le montrer. (3)
Notes
(1) Infographie ONU.
(2) Thierry Vircoulon, « Conflits : derrière l’échec des interventions internationales, la crise du multilatéralisme », janvier 2021, Conflits : l’urgence d’inventer un nouveau modèle (consultation le 26/01/2021)
(3) Avec cinq nouveaux décès en janvier, la MINUSMA dépasse largement le seuil des 200 pertes depuis son lancement en 2013, dont 145 en raison d’actes hostiles ; corruption au sein des missions, abus sexuels en Centrafrique et au Congo, choléra en Haïti etc.