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Les Etats-Unis, l’OTAN : bilan de quatre ans de politique étrangère américaine – première partie
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Les Etats-Unis, l’OTAN : bilan de quatre ans de politique étrangère américaine – première partie

Par Salomé Sifaoui et Joana Sureau

 

L’accession à la présidence des Etats-Unis d’Amérique par Donald Trump s’est faite par une campagne politique marquée sous le sceau de l’“America Firsten ce qui concerne la politique étrangère américaine[1] et  l’engagement américain au sein de l’Alliance atlantique. S’il est nécessaire pour nous, Européens, d’étudier l’influence américaine au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), c’est que l’organisation est l’organe principal de notre sécurité collective, et que le leadership américain exercé sur l’OTAN influe considérablement sur notre rapport défensif au monde. Étudier les conséquences du mandat de Donald Trump dans l’OTAN sans y intégrer les conceptions et les actions de sa politique étrangère unilatérale aurait toutefois été vide de sens. Si l’America First menaçait de sonner le glas de l’article V du traité[2], comme l’a évoqué Donald Trump en 2016 pour les alliés dont la contribution ne serait pas suffisante[3], l’engagement atlantiste américain, en 2020, demeure. Nous essaierons d’en expliquer et de détailler ces ressorts.

 

Au National Interest, Donald Trump exposait en 2016 sa vision de la politique étrangère précédente :

(…) Après la Guerre froide, (…) Nous avons échoué à développer une nouvelle vision pour une nouvelle période. (…) Notre politique étrangère a perdu de plus en plus de sens (…) Le pragmatisme fut remplacé par l’arrogance (…) Nous allâmes d’erreurs en erreurs de l’Irak à l’Egypte en passant par la Libye, jusqu’à la Syrie. Chacune de ses actions a conduit à causer le chaos dans la région et donner à Daesh l’espace qu’il avait besoin pour grandir et prospérer.[4]

 

Si les maux dénoncés ont une certaine pertinence, les objectifs politiques du candidat restent cependant obscurs, également à l’égard de l’OTAN : s’il dénonce le multilatéralisme, est-ce pour refonder un équilibre au sein de la défense atlantique ou au contraire, recentrer les positions américaines à l’étranger ? Dès lors, la fin du mandat du 45ème président des Etats-Unis nous renvoie à l’heure du bilan.

 

 

La politique étrangère de Donald Trump : une vision unilatérale assumée

 

La fin de la période post guerre-froide : “America First” !

L’élection de Donald Trump se présente avant tout comme le symptôme d’une rupture au sein des concepts de politique étrangère établis depuis la fin de la guerre froide, voire depuis l’accession des Etats-Unis au statut de superpuissance en 1945. La doctrine du président républicain symbolise l’échec de ses prédécesseurs, écrivent à l’unisson The Atlantic [5] et The Council For Foreign Relations[6]. Le constat est celui de plusieurs décennies de politiques aventureuses. The Atlantic relate, à cet égard, une coïncidence étonnante : lorsque The Art Of The Deal, ouvrage phare de Donald Trump, était numéro 1 des ventes dans la fin des années 1980, le second était celui de Paul Kennedy La naissance et le déclin des grandes puissances (1987),  alertant sur la relative prospérité américaine qui pourrait être concurrencée et soumise au déclin. Il écrivait que le défi américain était de trouver l’équilibre entre ses moyens et ses engagements, qu’au-delà d’être la seule puissance, il fallait devenir la meilleure. Si l’America First remonte à 1829 avec Andrew Jackson et “the rest of the world afterward[7], l’expression reprise par Donald Trump revêt de nouveaux enjeux. En effet, le défi du maintien de la puissance tourne la page d’une période post-Guerre froide.

 

A l’heure de son ascension, Donald Trump connaît cette menace et ce défi. Les années post-Guerre froide sont dénoncées, par de multiples voix, comme celles d’une absence de politique américaine cohérente et réaliste. Selon The Atlantic, toujours, quand G.H.W. Bush n’a pas vu la montée d’une Russie revancharde après lui avoir refusé tout financement américain, Bill Clinton a facilité l’expansion chinoise par l’accession de Pékin au libre-échange qui déboucha sur son intégration à l’OMC en 2001. De succroit, l’hyper-interventionnisme[8] de G.W. Bush a conduit les Etats-Unis dans des guerres sans issues en Afghanistan et en Irak.

 

La notion d’exceptionnalisme propre aux Américains[9], déclinaison de la Manifest Destiny[10], exprimait la place spéciale des Etats-Unis pour avoir fondé, sous l’impulsion divine, la première démocratie du monde dont les valeurs morales tendent à être diffusées. Cette définition peine à être démontrée et s’éloigne à l’épreuve des échecs des opérations étrangères. Donald Trump est, à cet égard, contemporain de plusieurs tentatives ratées. Né en 1946, il a d’abord connu l’échec de Corée (1950-1953), puis celui du Vietnam (1955-1975), la révolution iranienne (1979) et dernièrement, la déstabilisation du Moyen-Orient après la deuxième guerre en Irak (2003). A ses yeux[11], ces guerres non vitales aux intérêts américains sont coûteuses – 840 milliards de dollars pour l’Afghanistan[12] en 2017-,  longues et nuisent nécessairement à l’administration qui les conduit. De fait, malgré son appétence pour les réponses diplomatiques brutales, Donald Trump reste pour autant frileux à tout déclenchement de conflit ouvert et militarisé sur un sol étranger. Son refus d’intervenir militairement en Iran après les bombardements d’infrastructures pétrolières saoudiennes, et ce, malgré l’avis contraire de son ancien secrétaire à la sécurité nationale, John Bolton, illustre cette pensée. A cet égard, le président Trump a préféré lancer une opération contre le général iranien Qassem Soleimani, conduisant à son assassinat en janvier 2020. Depuis Ronald Reagan, Donald Trump est le seul président américain à ne pas avoir déclenché de guerre. A cet effet, America first trouve son sens quand on le rapproche de sa première occurrence en 1916, qui était celle de Woodrow Wilson comme slogan de campagne vantant son refus d’engager le pays dans la Grande Guerre en Europe.

 

Si les décisions étaient prises en consultation avec la communauté internationale,  le mandat de Barack Obama (2008-2016) s’inscrit paradoxalement dans un courant néo-conservateur[13], et cela, malgré son opposition à G.W. Bush et sa volonté de se désengager des théâtres irakien et afghan. En effet, le président Obama continua de s’engager sur des théâtres extérieurs – Libye, Syrie – en gardant la conviction démocrate, comme sous Bill Clinton, d’une nécessaire démocratisation du monde à travers le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et cela, sous le sceau des organisations internationales. S’il n’y a pas non plus un replis isolationniste complet sous Donald Trump – les Etats-Unis entendent toujours défendre à l’étranger leurs intérêts, notamment contre la Chine – le refus de la permanence des conflits ouverts et éloignés se précise, et par-là, une modification de la coopération multilatérale, jugée nuisible pour les intérêts nationaux. Dès lors, cet éloignement des structures de coopération internationale s’inscrit davantage comme une conséquence de ce recentrement national sur la politique étrangère, plutôt qu’une motivation diplomatique propre.

 

Rejet des alliances multilatérales

Convenant ainsi d’un rejet du multilatéralisme, qui conduit nécessairement  à nuire aux intérêts américains selon Donald Trump, la critique et le rejet, voire le retrait des organisations internationales s’avèrent cohérents, quitte à saper les efforts de longue haleine menés par ses prédécesseurs. La première occurrence a été le retrait du TransPacific Partnership (TPP) le 23 janvier 2017, regroupant douze pays dont le Mexique et le Japon, permettant une réduction significative des tarifs douaniers afin de riposter contre la domination chinoise sur le marché de l’exportation. Si Donald Trump voulait éviter des « alliances contraignantes »[14], celui-ci n’a pas compris la vocation du TPP, qui, initié sous Barack Obama, était l’une des premières mesures pour contrer l’expansion économique chinoise. Le traité de libre échange multilatéral porte principalement sur la réduction des droits de douane – 18 000 suppressions de droits de douane – mais aussi la propriété intellectuelle, le droit de l’environnement, le droit du travail, l’accès aux marchés publics, la protection des investissements.[15]

 

La liste des accords multilatéraux détricotés est longue mais s’inscrit sur deux années, le début du mandat, l’année 2017, et la fin du mandat, l’année 2020. Aussitôt élu, Donald Trump se retire, au nom des Etats-Unis, de l’accord sur le nucléaire iranien, puis de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), du Conseil des droits de l’homme (CDH), de l’Unesco et enfin, du traité des Forces nucléaires intermédiaires (FNI) entre 2017 et 2018. Concernant l’accord sur le nucléaire iranien et l’UNRWA, les deux retraits ont été motivés par le renouement des alliances avec Riyad et Tel-Aviv. L’accord sur le nucléaire, pour Donald Trump, aurait légitimé et normalisé la théocratie iranienne, l’ouvrant de nouveau à l’économie mondiale et aux revenus pétroliers, finançant son influence en Syrie et en Irak, son programme de missiles et son soutien aux groupes terroristes[16]. Le retrait de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en octobre 2017, le deuxième dans l’histoire des Etats-Unis[17], est motivé par l’agacement de Washington envers l’orientation pro-palestinienne de l’organisation. En effet, l’Unesco avait reconnu l’existence de la Palestine et critiqué Israël pour sa politique de colonies. Pour le CDH, le retrait a été consécutif au refus de la réforme proposée par les Etats-Unis. Celle-ci appelait à exclure les membres ayant commis de graves violations des droits humains, notamment le Venezuela, la Chine ou encore l’Iran. En 2020, c’est au tour de l’accord de Paris, du traité Ciel Ouvert[18], et de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS). L’administration Trump voit en l’accord de Paris un obstacle à l’exploitation par les États-Unis de leur potentiel énergétique. Quant à l’OMS, Donald Trump dénonce sa réaction tardive face à la pandémie de Covid-19.

 

Le rejet du multilatéralisme s’est exprimé à travers le dédain, voire la critique des organisations internationales – qui ne vont cependant pas jusqu’à l’unilatéralisme effréné de G.W. Bush lors de la deuxième guerre d’Irak – qui s’illustre par ces retraits imprévisibles et massifs. Donald Trump promeut ainsi totalement les relations bilatérales et accorde peu d’importance à l’héritage wilsonien, celui des alliances collectives ayant vocation à responsabiliser et limiter l’action offensive de leurs membres. “L’Amérique d’abord” se comprend également comme un refus d’être subordonné à une instance et à un droit international. Ainsi, la constitution américaine, garante de la liberté du citoyen, est, selon Donald Trump, seule en droit d’exercer cette coercition[19].

 

Centralité du Pacifique

Le mandat de Donald Trump est marqué par un pivot de la politique étrangère vers le Pacifique comme première aire d’influence pour les Etats-Unis[20]. Si le retrait du TPP, animé par le rejet du multilatéralisme, représente une erreur dans leur stratégie d’endiguement de l’influence chinoise[21], la politique étrangère américaine envers la Chine se démarque pour la première fois par son approche offensive ouverte. Si cette attitude fut amorcée sous Barack Obama, elle fut érigée en priorité par Donald Trump. La relation avec la Chine, marquée par un discours cordial et l’axe d’un partenariat entre 2013 et 2016, est devenue une opposition frontale stratégique, d’abord économique, puis militaire et politique. Cette évolution a fait de Pékin le principal adversaire américain. Ajoutons que le rôle du président chinois Xi Jinping a grandement joué dans cette évolution, puisque le ton de l’exécutif chinois s’est durci depuis 2013, avec le virage totalitaire du régime : crédit social, militarisation de la mer de Chine, internement des Ouïghours… Sa diplomatie, en outre, s’est accrue depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi : le budget du ministère des Affaires étrangères a doublé entre 2011 et 2017[22].

 

Ainsi, l’attitude chinoise a permis une prise de conscience américaine, inédite, sous la présidence Trump : depuis 1970, les Américains ont considéré qu’il était nécessaire d’intégrer progressivement la Chine dans les instances internationales pour faire d’elle un partenaire économique et politique dans la région Pacifique. Jusqu’à Barack Obama, cette bienveillance américaine a été de mise. Les mots du vice-président Mike Pence, prononcés le 4 octobre 2018 devant le Hudson Institute, résument ce pied-de-nez chinois aux Américains :

« L’Amérique avait espéré que la libéralisation économique amènerait la Chine à développer un partenariat plus poussé avec nous et avec le monde entier. Au lieu de quoi la Chine a choisi l’agression économique, ce qui a par la suite soutenu son armée en expansion »

Ce discours, prononcé en parallèle de la publication de la National Security Strategy (NSS) de 2018, révèle l’inquiétude américaine : les Etats-Unis ont contribué à l’expansion globale chinoise, et en continuant sur cette lancée, 90% des industries les plus développées seront chinoises en 2025. Les Etats-Unis n’ont jamais connu depuis la fin de la Guerre froide une telle compétition et menace contre leur puissance.

 

Dès lors, de nouveaux leviers ont été établis par les techniciens politiques et militaires pour contrer la menace chinoise durant le mandat Trump. La guerre économique menée par Trump a conduit, entre autres, à la signature du American AI Initiative, le 11 février 2019, pour promouvoir un investissement durable “dans l’intelligence artificielle avec les industries, universités, et partenaires et alliés internationaux (…) faciliter son utilisation (…) et former une nouvelle génération de chercheurs”.[23] De même, en 2018, Washington imposait 250 milliards de dollars de taxes sur les importations chinoises aux Etats-Unis, afin de faciliter l’entrée des Américains sur le marché chinois, réduire sensiblement l’espionnage et le vol de propriété intellectuelle. Encore dernièrement, le 30 septembre, Donald Trump signait un décret déclarant une “situation d’urgence nationale dans l’industrie minière”, dans le but de stimuler la production nationale de terres rares et surtout de réduire la dépendance américaine envers la production chinoise[24].

 

Cependant, au-delà d’une approche purement économique, une autre, globale, apparaît dans la National Defense Strategy de 2018[25]. Face à un accroissement de la présence et de l’influence chinoises en Afrique et en Europe, les Etats-Unis désignent la Chine comme principal compétiteur stratégique face auquel il faut mettre en oeuvre une politique de contre-influence. Les Etats-Unis dénoncent, par exemple, la diplomatie de la dette exercée par les Chinois envers l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine ainsi que le soutien de dirigeants ennemis des Etats-Unis, à l’instar de Nicolas Maduro, par l’octroi de prêts[26].

 

Il est question, en outre, de préserver la position stratégique américaine dans le Pacifique, d’autant plus que l’arsenal de missiles déployé sur les îles militarisées chinoises est désormais capable de menacer les bases de Pearl Harbor, Okinawa, Futenma et Kadena. S’ajoute à cette posture offensive, une stratégie de déni d’accès (A2/AD) en mer de Chine mise en place par Pékin, qui a développé un système de défense aérienne en plaçant des éléments, comme une batterie Hongqi-9/FD 2000, sur des positions avancées de l’île artificielle de Woody Island, dans l’archipel des Paracels.

 

Pour répondre à cette menace stratégique grandissante, l’armée américaine ne cesse d’enrichir ses techniques de combat ainsi que de moderniser son armement. Nous citerons, parmi cette mise à niveau, lAgile Combat Employment (ACE) théorisée par l’US Air Force. S’associant dans son essence au concept du Rapid Raptor (F-22 capables de se déployer en moins de 24 heures sur n’importe quel continent), l’ACE tend à renforcer la résilience de la défense aérienne en obligeant l’ultra-mobilité et l’autonomie dans un environnement hostile. Elle s’inspire de la campagne du Pacifique de 1941 à 1945 et restaure ainsi un réseau d’aérodromes alliés en cas de neutralisation d’une base dans le Pacifique[27]. De même, face à l’émergence de la technologie hypersonique, dans laquelle la Russie et la Chine sont à la pointe, Robert O’Brien, conseiller à la sécurité nationale, a annoncé que tous les destroyers de l’US Navy, à partir de 2023, seraient équipés de missiles hypersoniques. La Chine a déployé, en octobre 2020, des batteries de missiles hypersoniques DF-17 à proximité de Hong-Kong et Taïwan [28].

 

Quant à la Corée du Nord, les débuts de la relation ont été marqués par une escalade de la violence qui pourrait se référer à celle du New Look[29] ou “représailles massives”[30] (Herman Kahn) théorisée sous la présidence Eisenhower (1953-1961). Conscient de l’impossibilité d’une réelle confrontation, Donald Trump décidait le 1er mai 2017 d’apaiser les tensions en organisant deux rencontres[31] entre Washington et Pyongyang. Celles-ci n’ont pas pour autant abouti à un arrêt du programme nucléaire nord-Coréen, qui dévoilait en octobre 2020 un nouveau missile balistique intercontinental lors du 75ème anniversaire du Parti du Travail. Malgré cette absence de résultat, il est cependant nécessaire d’apprécier le caractère inédit de la rencontre et du dialogue bilatéral, survenu après des tensions importantes.

  

Entre continuum et rupture au Moyen-Orient

Aire géographique centrale pour les néo-conservateurs, le Moyen-Orient a occupé une place prépondérante dans la politique étrangère trumpienne. Si la menace est moindre que celle chinoise, l’action des Etats-Unis y est constante, par le simple fait de l’engagement de ses forces dans la région. La politique moyen-orientale fut guidée, sous le mandat, par l’emploi d’une coercition agressive dont la temporalité est néanmoins courte et la frappe, toujours à distance, reprend cette présence en “light footprint” voulue sous Barack Obama[32]. Le Moyen-Orient est un puzzle d’alliés et d’ennemis pour Donald Trump, dans lequel il faut continuer d’exercer une influence, mais duquel il faut se retirer physiquement. Le désengagement des troupes en Irak, Syrie et Afghanistan s’inscrit dans le prolongement du mandat de son prédécesseur, même s’il demeure différent dans son essence : il y a ici une vision isolationniste, qui n’était pas partagée par Barack Obama. Si la politique chinoise fait consensus, celle au Moyen-Orient illustre une cacophonie institutionnelle entre les conseillers, à l’instar du désaccord présidentiel avec l’ancien secrétaire à la défense Jim Mattis[33], qui a conduit à sa démission. L’imprévisibilité présidentielle se reflète ainsi dans la politique régionale : le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, motivé par son électorat évangéliste [34], le retrait américain dans le nord de la Syrie le 6 octobre 2019 afin de laisser le champ libre à la Turquie, abandonnant ainsi les alliés kurdes, l’assassinat du général Soleimani, etc…

 

En rupture avec la précédente présidence, Israël a été l’une des priorités du gouvernement Trump, poussé par son électorat évangéliste qui attendait ce rapprochement et qui influença le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem. Les relations avec l’Arabie saoudite se sont améliorées depuis la présidence précédente. Le cautionnement par Donald Trump de multiples agissements de Ryad, notamment l’assassinat de Jamal Khashoggi, de même que l’opposition du président américain à la restriction de ventes d’armes à l’Arabie saoudite pour tenter d’enrayer le conflit yéménite jouèrent en ce sens. Au contraire,  cette fois-ci dans la continuité des affaires menées, l’Iran a été le principal rival américain au Moyen-Orient, et ce, même au-delà de ses frontières, comme en témoignent les violences contre l’ambassade américaine en Irak menées par des milices à la solde de Téhéran. Après le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, une politique de pression maximale, c’est-à-dire de sanctions économiques lourdes, contre Téhéran a pu être appliquée grâce à la sortie du traité, qui empêchait toute sanction.

 

En ce qui concerne l’Afghanistan, Donald Trump demeure plus enclin aux négociations sous l’égide des Etats-Unis entre le gouvernement afghan et les talibans, dont le dernier volet s’est déroulé au Qatar en présence de Mike Pompeo en septembre 2020. Malgré son souhait de désengagement dans la région, raison pour laquelle son administration tente d’établir un accord de paix, le président républicain a renforcé les effectifs des troupes en Afghanistan, le 21 août 2017.

 

Repenser la puissance américaine

« J’appelle puissance sur la scène internationale la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine. » Raymond Aron. [35]

 

La doctrine Trump ou celle de l’America First, si l’on reprend le terme de relation humaine d’Aron, aurait donc pour vocation d’instaurer un recentrement sur la puissance nationale, afin de la régénérer et de permettre un nouveau dialogue où l’Amérique ne se perd plus dans ses multiples relations. L’America First se concentre sur l’aspiration à retrouver une prospérité nationale, bien avant de s’intéresser à l’extérieur. Donald Trump dénonce l’expansion à outrance de la mondialisation causant un éparpillement des capitaux, dépossédant les Américains de leur souveraineté. Dès lors, la puissance américaine se veut protectrice à l’égard de ses citoyens  – leur évite donc la guerre-  tout en les défendant à l’extérieur de ses frontières [36]. Bien que Donald Trump ne croit pas à l’exceptionnalisme américain[37], cela ne l’empêche paradoxalement pas de maintenir l’influence américaine à l’étranger à travers le retour de la force coercitive. Ce pouvoir de contrainte est autant économique – les sanctions à l’égard de la Chine, de l’Iran, du Venezuela par exemple – que militaire – l’assassinat de Qassem Soleimani. L’utilisation de cette force de coercition se révèle surtout à travers la militarisation de la politique étrangère : les budgets de la Défense ont de nouveau augmenté pour atteindre 718 milliards de dollars en 2020 après une baisse à 600 milliards de dollars entre 2013 et 2016. La Défense représente néanmoins une part moindre dans le Produit intérieur brut (PIB) que durant la Guerre froide : 6% en 1988 contre 3,4 % en 2019[38]. La rivalité sino-américaine a pris le dessus sur toutes les autres politiques étrangères américaines de la fin du XXème et début XXIème siècle comme la lutte contre le terrorisme et la volonté d’étendre la démocratie à l’étranger, d’après leur « destinée manifeste »[39] ou du moins d’après une certaine conception morale. L’Amérique tourne le chapitre d’incarnation du modèle de la démocratie et de sa diffusion à l’étranger,  prenant ainsi le parti d’éviter toute « alliance contraignante»[40].

 

Cependant, les Etats-Unis sont dans une posture particulière qui ne s’aligne sur aucune doctrine spécifique, mais qui puise dans plusieurs courants de politique étrangère. Par exemple, on assiste au retour d’un endiguement en 2018, d’après le vice-président Mike Pence[41], de l’influence chinoise en Afrique, en Amérique latine, dans une moindre mesure en Europe, à travers les mesures de sanctions économiques. S’il y a un certain désintérêt pour l’Amérique latine, Washington refuse clairement l’influence d’une puissance étrangère, contraire à ses intérêts. Au Venezuela, Nicolas Maduro, héritier d’Hugo Chavez, est soutenu par Moscou et Pékin. Il est contesté dans sa légitimité par l’opposition menée par Juan Guaido et soutenue par Washington. En outre, la volonté de désengagement au Moyen-Orient avant Noël 2020, réitérée durant la campagne présidentielle actuelle, se confronte aux actions militaires disséminées, par exemple, dans la lutte contre Daech avec la neutralisation d’Abu Bakr al-Baghdadi en octobre 2019, ou les frappes régulières de l’US Air Force en Syrie. L’héritage du précédent mandat s’inscrit au travers d’une implication continue mais légère utilisant entre autres frappes aériennes, drones, renseignements, et contre-terrorisme digital.

 

Si l’endiguement est perçu comme nécessaire par la présidence[42], le refus des accords multilatéraux persiste à mesure que la polarisation de la politique étrangère entre les Etats-Unis et la Chine progresse. Donald Trump et son équipe ne considèrent pas que les coopérations multilatérales freineront l’expansion chinoise : au regard des décennies antérieures, il est vrai qu’aucune gouvernance internationale n’a permis la protection des intérêts nationaux américains contre ceux de la Chine. Au contraire, l’invitation et l’entrée de la Chine dans les organisations internationales n’ont fait que faciliter la posture expansive actuelle chinoise. Pékin n’étant pas elle-même respectueuse du droit international, les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à le respecter dans l’objectif de contenir l’influence chinoise. Néanmoins, cette fin du multilatéralisme ne rime pas avec de l’isolationnisme[43], mais davantage à du bilatéralisme – c’est-à-dire la création par les Etats-Unis d’un système d’alliances, servant leurs intérêts, d’Etat à Etat, sans passer par des instances internationales. En témoignent les derniers rapprochements et normalisations des rapports diplomatiques, sous l’égide de Donald Trump, de l’Etat hébreu avec le Bahreïn et les Emirats arabes unis[44] et le Soudan en octobre 2020 ainsi que l’appel à l’Arabie saoudite[45] à se rapprocher de Tel Aviv.

 

La fin de la coopération multilatérale est donc davantage une conséquence d’un resserrement des politiques autour des intérêts nationaux et directs : les alliés sont ceux qui profitent directement à la vitalité économique américaine et à la protection de ses intérêts comme de ses citoyens. Dans ce cadre, l’OTAN tient une place ambivalente. Si l’organisation représente un poids financier certain pour Washington, elle est pour autant vecteur de son influence extérieure, autant dans l’exportation d’armement américain, que dans l’élaboration d’une culture de sécurité commune au sein de laquelle l’Amérique est leader.

 


[1] Ambassade et consulats des Etats-Unis d’Amérique en France. « Le programme « America First » du président Donald J. Trump aide à réaliser la paix par la puissance », 26 septembre 2018. https://fr.usembassy.gov/fr/pr-09252018-afp-fr/ .

[2] L’article 5 stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. NATO. « Collective Defence – Article 5 ». NATO. Consulté le 10 novembre 2020. http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm .

[3] NBC News. « Trump’s NATO Rethink “Would Endanger the Whole Alliance” ». Consulté le 4 novembre 2020. https://www.nbcnews.com/politics/2016-election/donald-trump-remarks-nato-trigger-alarm-bells-europe-n613911 .

[4]    Trump, Donald J. « Trump on Foreign Policy ». Text. The National Interest. The Center for the National Interest, 27 avril 2016. https://nationalinterest.org/feature/trump-foreign-policy-15960 .

[5] The World Order That Donald Trump Revealed, The Atlantic, 20 octobre 2020 (Consulté le 1er novembre 2020) – https://www.theatlantic.com/international/archive/2020/10/donald-trump-foreign-policy/616773/

[6] Blackwill, Robert D. « Trump’s Foreign Policies Are Better Than They Seem », s. d., 112. CFR

[7] Washington Post. « Bannon Calls Trump’s Speech ‘Jacksonian’ ». Consulté le 10 novembre 2020. https://www.washingtonpost.com/local/2017/live-updates/politics/live-coverage-of-trumps-inauguration/bannon-calls-trumps-speech-jacksonian/ .

[8] “Cette notion n’est pas le contraire de l’isolationnisme puisque ce type d’ « engagement » dans les affaires internationales sous-entend une pratique d’ingérence (non-respect de la souveraineté d’un autre Etat) et non d’un engagement vertueux dans le fonctionnement de la communauté internationale” http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usadefinitions.htm

[9] Exemple de vision exceptionnaliste “It was as if in the Providence of God a continent had been kept unused and waiting for a peaceful people who loved liberty and the rights of men more than they loved anything else, to come and set up an unselfish commonwealth.” Woodrow Wilson, Address at the Military Academy, West Point, 13 juin 1916.

[10]  L’idée d’une mission civilisatrice des Etats-Unis, justifiée par leur modèle de développement infaillible basé sur la démocratie libérale et la foi chrétienne se formant autour des années 1845. (http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usadefinitions.htm)

[11]  “I am the only person who can fight for the safety of our troops & bring them home from the ridiculous & costly Endless Wars, and be scorned.” Tweet de Donald Trump, 17 octobre 2019.

[12] « 2 400 morts, 20 000 blessés, 840 milliards de dollars : le lourd bilan américain en Afghanistan ». Le Monde.fr, 22 août 2017. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/22/2-400-morts-20-000-blesses-840-milliards-de-dollars-le-lourd-bilan-americain-en-afghanistan_5175241_4355770.html.

[13] “Les néoconservateurs, comme les wilsoniens, croient en la supériorité du modèle américain et militent pour un « prosélytisme démocratique dans le monde ». Mais cette mission se combine avec l’idée de puissance : la puissance militaire américaine doit assurer sa domination et sa pérennité.” http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usadefinitions.htm

[14] « Paix, commerce, amitié avec les nations, ; alliances contraignantes avec aucune! » Thomas Jefferson, Message d’investiture, 1801

[15]« Trans-Pacific Partnership ». Consulté le 2 novembre 2020. https://www.tpp.mfat.govt.nz/text .

[16] « Behind Trump’s Termination of Iran Deal Is a Risky Bet – The New York Times ». Consulté le 2 novembre 2020.

[17] Les Etats-Unis l’ont déjà quitté en 1984 car l’Unesco était jugée “trop communiste”.

[18] CF. II. Les Etats-Unis et l’OTAN

[19] “We will never surrender America’s sovereignty to an unelected, unaccountable, global bureaucracy” Donald J. Trump https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/president-donald-j-trump-is-defending-our-sovereignty-and-constitutional-rights-from-the-united-nations-arms-trade-treaty/

[20] The White House. « President Trump on China: Putting America First ». Consulté le 3 novembre 2020. https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/president-trump-china-putting-america-first/ .

[21] Blackwill, Robert D. « Trump’s Foreign Policies Are Better Than They Seem », s. d., 112. CFR

[22] Blog Politique étrangère. « Diplomaties étrangères en mutation », 30 septembre 2019. http://politique-etrangere.com/2019/09/30/diplomaties-etrangeres-en-mutation/ .

[23] Le Grand Continent. « La doctrine Pence, pour une nouvelle Guerre froide », 9 décembre 2018. https://legrandcontinent.eu/fr/2018/12/09/la-grande-peur/ .

[24] « Etats-Unis – Chine : Décret Pour l’indépendance Du Secteur de La Défense En Terres Rares – Nemrod ECDS ». Consulté le 2 novembre 2020. https://nemrod-ecds.com/?p=5025 .

[25] Mattis, Jim. « Summary of the 2018 National Defense Strategy », s. d., 14.

[26] Staff, Reuters. « Maduro en Chine à la recherche d’argent frais ». Reuters, 12 septembre 2018. https://lta.reuters.com/article/venezuela-chine-maduro-idFRL5N1VY69O .

[27] Le Concept de L’Agile Combat Employment, Note du CERPA n°284, avril 2020

[28] « Pékin déploie des missiles hypersoniques DF-17 pour accentuer la pression sur Taïwan – Meta-Defense.fr ». Consulté le 2 novembre 2020. https://www.meta-defense.fr/2020/10/19/pekin-deploie-des-missiles-hypersoniques-df-17-pour-accentuer-la-pression-sur-taiwan/

[29] Le New Look, sous Eisenhower, consistait à répliquer à toute attaque soviétique par l’emploi de l’arme nucléaire.

[30] Hermann Kahn, On Thermonuclear War, 1960, Princeton University Press

[31] Le 12 juin 2018 à Singapour et le 30 juin 2019 à la frontière coréenne.

[32] Luján, Fernando M. « Light Footprints: The Future of American Military Intervention ». Center for a New American Security, 2013. https://www.jstor.org/stable/resrep06176.

[33] Le secrétaire à la Défense Jim Mattis a démissionné à l’annonce du retrait des troupes souhaité par Trump en Afghanistan (décembre 2018).

[34] « Jérusalem, Trump influencé par une droite évangélique très attachée à Israël ». La Croix, 6 décembrewww.la-croix.com/Monde/Ameriques/Linfluence-dune-droite-evangelique-tres-attachee-Israel-2017-12-06-1200897529.

[35]  Raymond Aron, Paix et Guerre entre les nations, Calmann-Lévy, Paris, 1962, p. 58

[36] Jérôme Viala-Gaudefroy, « President Trump and the Virtue of Power », Revue LISA/LISA e-journal [En ligne], vol. XVI-n°2 | 2018, mis en ligne le 24 septembre 2018, consulté le 04 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/lisa/9861 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lisa.9861

[37] « Trump in 2015 on American exceptionalism: “I never liked the term” | TheHill ». Consulté le 4 novembre 2020. https://thehill.com/blogs/blog-briefing-room/news/282449-trump-on-american-exceptionalism-i-never-liked-the-term .

[38] « Dépenses militaires (% du PIB) | Data ». Consulté le 2 novembre 2020. https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/MS.MIL.XPND.GD.ZS.

[39]  L’expression Manifest Destiny est apparue pour la première fois en 18452 dans un article du journaliste new-yorkais John O’Sullivan, paru dans le United States Magazine and Democratic Review. O’Sullivan utilisa cette expression pour décrire le caractère « de droit divin » de l’irréversible colonisation du continent nord-américain par les Anglo-saxons de la côte Est

[40] « Paix, commerce, amitié avec les nations, ; alliances contraignantes avec aucune! » Thomas Jefferson, Message d’investiture, 1801

[41]  Le Grand Continent. « La doctrine Pence, pour une nouvelle Guerre froide », 9 décembre 2018. https://legrandcontinent.eu/fr/2018/12/09/la-grande-peur/. Consulté le 1er novembre 2020

[42] Le Grand Continent. « La doctrine Pence, pour une nouvelle Guerre froide », 9 décembre 2018. https://legrandcontinent.eu/fr/2018/12/09/la-grande-peur/. Consulté le 1er novembre 2020

[43] Tendance d’un Etat à éviter tout engagement dans les affaires mondiales. S’entend davantage de la coopération et la participation politique et militaire, plus qu’économique et commercial. http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usadefinitions.htm

[44] 15 septembre 2020, Accords d’Abraham

[45] AFP, Le Figaro avec. « Les États-Unis appellent l’Arabie saoudite à «normaliser» ses relations avec Israël ». Le Figaro.fr, 14 octobre 2020. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/les-etats-unis-appellent-l-arabie-saoudite-a-normaliser-ses-relations-avec-israel-20201014 .

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