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La neutralisation de Abdelmalek Droukdel : quelles implications pour Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) ?
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La neutralisation de Abdelmalek Droukdel : quelles implications pour Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) ?

La ministre des Armées Florence Parly a annoncé vendredi 5 juin la neutralisation de Abdelmalek Droukdel, l’émir de Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). L’opération a été menée le 3 juin par la task force Sabre dans le nord-est du Mali, au nord de l’adrar des Ifoghas près de la frontière algérienne. L’intervention a nécessité l’emploi d’une quinzaine d’opérateurs des forces spéciales françaises appuyés par deux hélicoptères d’attaque, deux hélicoptères de transport et un drone Reaper. Le partage du renseignement en amont avec le partenaire américain a également joué un rôle essentiel. D’après le colonel Frédéric Barbry, le porte-parole de l’État-major des armées, le corps a été « formellement identifié »[1]. Trois autres membres de son escorte ont été éliminés, et un dernier capturé : parmi les membres neutralisés se trouvait Toufik Chaïb, un haut cadre d’AQMI, chargé de la propagande et de la coordination du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

 

Abdelmalek Droukdel, également connu sous le nom de guerre Abou Moussab Abd Al-Wadoud, était une figure importante et symbolique du djihadisme régional. Lorsque la guerre civile éclate en Algérie au début des années 1990 il rejoint le Groupe islamique armé (GIA). En 1998, il intègre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, l’héritier du GIA) dont il prend la tête en 2004. Dans une déclaration, datée du 13 septembre 2006, il annonce l’allégeance du GSPC à Al-Qaida : le 24 janvier 2007, le GSPC change officiellement de nom et devient AQMI[2].

 

Son influence sur le djihadisme régional a historiquement tantôt suivi, tantôt entraîné, les dynamiques récentes de ces groupes dans leur modus operandi et dans l’extension de leur zone d’influence. Ainsi, après avoir pris le commandement du GSPC en 2004, le groupe commence déjà à s’étendre en Mauritanie par des attaques contre des camps de l’armée mauritanienne. L’allégeance à Al-Qaida en 2006 participe, quant à elle, à la nouvelle temporalité et à la nouvelle vision des échelles de combat qui mêle le local et l’international[3]. Le rattachement du GSPC à Al-Qaida a, de fait, marqué une rupture symbolique avec les techniques et les méthodes qui avaient pu être utilisées pendant la guerre civile algérienne. Ainsi, tout comme Al-Qaida central, AQMI s’inscrit dans le temps long pour la construction d’un “émirat” et considère que des bonnes relations avec les populations locales sont absolument indispensables à la réalisation de ce projet politique. Les ancrages locaux de AQMI sont donc importants au Sahel, et en particulier au nord du Mali. L’élargissement des activité de AQMI dans cette zone s’accélère à partir de octobre 2011, avec la création du mouvement officiellement indépendant Ansar Eddine, qui a bénéficié depuis du soutien constant de AQMI[4]. Ces ancrages locaux, qui servent la perspective d’un djihadisme régional, étaient déjà présents avec le GIA et le GSPC qui luttaient contre le pouvoir algérien, mais l’articulation avec le réseau de Al-Qaida a permis une internationalisation du combat en visant des intérêts occidentaux.

 

Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact qu’aura la disparition de Abdelmalek Droukdel sur AQMI. Toutefois, celle-ci peut entraîner des changements dans les coalitions et les rapports de force en présence au Mali selon la nouvelle gouvernance qui sera choisie. La rivalité avec l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS)[5] pourrait être ravivée, et la composition diverse du GSIM, qui est né d’une alliance entre le groupe Ansar Dine, AQMI et Al-Mourabitoune[6], pourrait être amenée à varier dans les mois à venir. Par ailleurs, sa disparition pourrait renforcer la tendance actuelle de ces dernières années de prise de contrôle des postes clefs de AQMI, historiquement mené par des figures algériennes, par des “locaux”, tels que les maliens Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa du GSIM7. À ce sujet, la présence de Abdelmalek Droukdel au Mali s’expliquerait, selon certaines sources, par une réunion avec Iyad Ag Ghaly sur la rivalité avec l’EIGS[7]. Pour le moment, la neutralisation de Abdelmalek Droukdel est surtout symbolique étant donné son poids historique.

 

 

 

[1] « Le chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, tué par l’armée française au Mali », Cyril Bensimon, Matteo Maillard, Madjid Zerrouky, in Le Monde, Publié le 6 juin 2020

[2] « Abdelmalek Droukdal, le chef d’Aqmi, tué par les forces françaises », in Huffingtonpost, Publié le 5 juin 2020

[3] « Menace terroriste : pour une République juste mais plus ferme », Rapport n°639 ( 2017-2018) de Mme Sylvie Goy-Chavent, Sénat

[4] Abdelmalek Droukdel, Conseil de sécurité des Nations unies

[5] « Les violences armées au Sahara. Du djihadisme aux insurrections ? », Mathieu Pellerin, in Etudes de l’Ifri, novembre 2019

[6] « Qu’est-ce que le GSIM, qui a revendiqué l’attentat de Ouagadougou ? », Célian Macé, in Libération, Publié le 4 mars 2018

[7] « Faut-il négocier avec Iyad Ag Ghaly pour ramener la paix au Mali ? », Mohamed Ag Assory, in Jeuneafrique, Publié le 24 septembre 2019

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