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Regards sud-américains : géopolitique et implication des Armées 
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Par Salomé Sifaoui

 

La construction socio-politique et géopolitique des pays sud-américains s’est faite en partie au cours du XXe siècle à l’épreuve des dictatures où l’armée a joué un rôle central. Cette histoire a façonné les comportements du monde civil à l’égard des institutions militaires mais également  les militaires eux-mêmes dans leur perspective géopolitique sur le monde. Désormais, la crise sanitaire liée au Covid-19 met en exergue ces tendances sociales et ces préférences géopolitiques, jaillissant des tensions auxquelles sont confrontées les sociétés sud-américaines et de l’histoire de leurs institutions militaires.

 

En Argentine, l’armée redore son blason

 

L’armée argentine au XXe siècle occupe une place centrale tant comme acteur politique que comme figure de l’ordre social. Dès 1919, l’armée assure la répression des grèves ouvrières socialistes durant les guerres civiles successives. Les cinq coups d’État de 1930 à 1966, jusqu’à celui réussi en 1976 font de l’armée le protagoniste majeur de l’histoire politique argentine. Le général Jorge Rafael Videla a gouverné le pays pendant sept ans.

 

Depuis la fin de la dictature militaire (1976-1983), l’armée argentine a été rétrogradée à un rôle secondaire, voire inexistant au sein de la société. Les années post-dictature font place à une forte démilitarisation, où la classe militaire est honnie des sphères progressistes. A partir de 1983, les forces et leurs dépenses budgétaires sont réduites tout en se professionnalisant, la fin de la conscription est votée en 1985. En 2017, le budget des Forces Armées Argentines (FAA) est le plus faible de toute l’Amérique Latine, avec 0,9% de son PIB. 90% de l’équipement des Armées n’a pas été renouvelé depuis trente, voire cinquante ans.

 

Néanmoins, dès le début de la crise du coronavirus, l’armée a été l’une des premières institutions appelées à lutter contre l’épidémie. 90 000 des 500 000 militaires sont opérationnels sur le territoire depuis trois semaines, construisant des structures hospitalières, des centres de santé, des réseaux de communications. Ils assurent le transport des ressortissants étrangers et le transfert des malades. Le président Alberto Fernandez a également confié à l’Armée la distribution d’aide alimentaire. Le regard de la société argentine et de la classe politique s’est modifié à l’égard de leurs forces armées depuis le début de l’épidémie. Enfin, la crise sanitaire a exposé ses lacunes en termes de moyens, de budget, d’infrastructures et d’équipements.

 

La vision géopolitique des Armées chiliennes sur la crise du coronavirus

 

La crise du coronavirus s’appréhende différemment dans chaque région du monde. Quand les sociétés européennes commencent prudemment à évoquer des concepts de réinvention ou de retour aux fondamentaux, les sociétés sud-américaines optent pour des visions plus négatives et des interprétations inquiètes. Il est intéressant d’observer la perception géopolitique chilienne opposée à nos schémas européens, en se fondant sur le rapport 2020 du CEEAG – l’Académie de Guerre du Chili.

 

Considérant une situation antérieure marquée par plusieurs foyers de tensions, entre la Chine et les Etats-Unis, l’Iran et l’Arabie Saoudite ou encore la Russie, les Armées chiliennes exposent un tableau d’avenir en accord avec les alliances internationales du pays.

 

La crise du Covid-19 met en exergue les tensions persistantes entre Pékin et Washington. L’Académie de Guerre chilienne manifeste son soutien à la Chine pour avoir su gérer rapidement la crise, contrairement à une Europe qui n’aurait pas su gérer la crise. Pour la CEEAG, Pékin possède trois atouts : une capacité technologique ainsi qu’un système politique mobilisant rapidement les ressources, enfin une rigueur citoyenne qui a permis des quarantaines strictes. Sur la scène internationale, la Chine se distingue en acteur global qui a su pallier par l’envoi d’équipements de protection (masques) les lacunes des autres puissances. Au contraire, les Etats-Unis ont tardé à prendre les mesures sanitaires nécessaires à contenir la diffusion de l’épidémie.

 

Les Forces Armées chiliennes estiment que les conséquences du Covid-19 seront socialement négatives. A cause de la distanciation sociale, le tissu social risquerait d’être rompu par la fin de la solidarité et de la cohésion. Elles craignent ainsi une recrudescence de la criminalité : vols, pillages et homicides. L’épidémie pourrait exacerber les tensions sociales et politiques déjà présentes sur le continent, comme en témoignent les protestations populaires de 2019. Les tensions seraient alimentées par la peur du chômage et de la pauvreté.

 

Elles appellent enfin à une coopération internationale forte, de peur que le constat précédent s’applique aussi entre les pays eux-mêmes suite aux déstabilisation des pouvoirs politiques. L’épidémie œuvrera, selon la CEEAG, au renforcement de certaines puissances, en particulier la Chine au détriment d’autres.

 

Il est donc éclairant de considérer le succès de la diplomatie sanitaire et de l’offensive informationnelle conduite par Pékin en Amérique latine.

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