Par Cyrille Bricout
La mission sénatoriale chargée de contrôler l’exécution de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme[1] (dite « loi SILT ») a déposé un rapport le 26 février dernier[2]. Cette loi intégrait en particulier au Code de la sécurité intérieure, c’est-à-dire au droit commun, des dispositions inspirées de l’état d’urgence : l’institution, décidée par le préfet, de périmètres de protection dont l’accès peut être conditionné à l’application de fouilles ou de palpations de sécurité (article 1) ; la fermeture temporaire de lieux de culte par arrêté préfectoral (article 2) ; la mise en œuvre de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance par décision du ministre de l’Intérieur (article 3) ; et la conduite de visites domiciliaires et de saisies sur ordonnance du juge des libertés et de la détention saisi par le préfet (article 4). Ces mesures, dont l’articulation avec les libertés fondamentales est particulièrement délicate, avaient été intégrées au droit commun par la loi SILT à titre provisoire jusqu’au 31 décembre 2020 ; un contrôle parlementaire accru avait en outre été prévu à leur égard (article 5).
Le contrôle constitutionnel
Saisi par plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de certaines dispositions issues de chacun des quatre articles. Dans la décision n° 2017-691 QPC[3], il a jugé conforme à la Constitution les dispositions de l’article 3 permettant au ministre de l’Intérieur de restreindre les déplacements de certaines personnes à un périmètre géographique donné, et de les obliger à se présenter régulièrement aux services de police ou aux unités de gendarmerie ainsi qu’à déclarer leur lieu d’habitation et tout changement afférent. Le Conseil a néanmoins assorti cette décision d’une réserve d’interprétation limitant l’application de ces mesures à une durée de 12 mois cumulés. Il a en outre censuré les dispositions concernant le délai de recours imposé aux personnes visées par ces mesures devant le juge administratif, jugé trop bref, et celles ne permettant la contestation du renouvellement de ces mesures que par la voie du référé-liberté[4].
Dans la décision n° 2017-695 QPC[5], le Conseil a jugé conformes les dispositions de l’article 1 relatives à l’instauration de périmètres de protection, sous trois réserves d’interprétations : (i) il appartient aux autorités publiques de garantir le contrôle effectif par un officier de police judiciaire des personnes privées participant le cas échéant aux opérations d’inspection visuelle, de fouilles et de palpations de sécurité ; (ii) les critères en fonction desquels sont effectuées ces opérations doivent être exclusifs de toute discrimination ; (iii) le préfet doit établir la persistance du risque d’acte terroriste afin de procéder au renouvellement d’un périmètre de protection. Il a également jugé conformes les dispositions concernant la fermeture temporaire de lieux de culte ; il a en revanche censuré la possibilité ouverte par l’article 4 de saisir des « documents » et des « objets » dans le cadre de saisies domiciliaires administratives, jugeant qu’en l’absence de régime encadrant l’exploitation, la conservation et la restitution des documents et objets saisis, cette disposition était incompatible avec le respect du droit de propriété.
L’aménagement du dispositif
Plusieurs correctifs ont été apportés par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice[6]pour tenir compte des décisions du Conseil constitutionnel. Le délai de formation d’un recours en excès de pouvoir pour contester l’application de mesures individuelles de contrôle administratif a été porté à deux mois, contre un mois auparavant, et le juge administratif doit désormais statuer dans un délai de 15 jours contre 30 auparavant. Le renouvellement de telles mesures peut désormais être contesté, non plus par la seule procédure du référé-liberté, mais par celle du recours pour excès de pouvoir (cf. note n° 4). Dans le cadre des visites et saisies domiciliaires, cette loi a également intégré les « documents » au régime d’exploitation, de conservation et de restitution prévu initialement pour les données et systèmes informatiques.
L’application des mesures prévues par les quatre premiers articles de la loi SILT
Le rapport du Sénat recense, entre l’entrée en vigueur de la loi SILT le 1er novembre 2017 et le 31 décembre 2019, l’instauration de 504 périmètres de sécurité, la fermeture de sept lieux de culte, la mise en œuvre de 229 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance à l’encontre de 205 personnes, et la réalisation de 149 visites domiciliaires. Ces décisions administratives ont fait l’objet de recours à la fréquence variable selon les catégories, mais la justice administrative n’a prononcé que peu de décisions de suspension ou d’annulation. A titre illustratif, les sept recours formés à l’encontre des arrêtés de fermeture de lieux de culte ont tous été rejetés.
La commission préconise la pérennisation de ces mesures sous réserve de certains ajustements, estimant qu’à l’issue de la période d’expérimentation de trois ans prévue par la loi SILT, elles ont prouvé leur opportunité dans la lutte antiterroriste et leur bonne articulation avec la protection des libertés publiques.
SOURCES ET REFERENCES :
[1] Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, JORF, n°0255, 31 octobre 2017 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000035932811&categorieLien=id
[2] Marc-Philippe DAUBRESSE, Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le contrôle et le suivi de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, Sénat, n° 348, 26 février 2020 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-348-notice.html
[3] Conseil constitutionnel, 16 février 2018, n° 2017-691 QPC : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2017691QPC.htm
[4] Le référé-liberté est une procédure d’urgence qui permet uniquement de sanctionner une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En principe, il ne peut aboutir qu’à des mesures provisoires. Par comparaison, le recours pour excès de pouvoir permet d’annuler un acte administratif, définitivement et rétroactivement, sur le fondement de critères bien plus larges : vice de forme ou de procédure, erreur matérielle sur les faits, erreur de qualification juridique…
[5] Conseil constitutionnel, 29 mars 2018, n° 2017-695 QPC : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2017695QPC.htm
[6] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF, n°0071, 24 mars 2019 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038261631&categorieLien=id