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Manifestations en Iran : quand enjeux locaux et mondiaux s’entremêlent
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Par Adrien Sémon

 

Cela fait maintenant une semaine que l’Iran vit au rythme des manifestations et de la répression qui l’accompagne. L’étincelle à l’origine de ces troubles réside dans la décision soudaine du gouvernement iranien d’augmenter de 50% le prix du pétrole (le litre est passé de 10000 à 15000 rials) et de limiter la consommation par habitant à 60 litres par mois – tout litre supplémentaire se voyant appliquer une taxe de 30000 rials.

 

Cette annonce surprise fut une décision humiliante, d’une part pour l’ensemble de la population qui subit une récession économique, d’autre part pour le parlement islamique qui n’a pas été consulté. 108 villes au total furent cette semaine le théâtre de manifestations dirigées contre la politique économique du régime et contre ses deux figures principales : le Guide de la Révolution Ali Khamenei et le président de la République islamique Hassan Rohani.

Ce soulèvement, par sa nature, rappelle celui de décembre 2017 et janvier 2018 lorsque les classes populaires étaient descendues dans les rues pour manifester contre des mesures d’austérité décidées par le président Rohani, à savoir une réduction des budgets sociaux et une augmentation des prix du carburant et des denrées alimentaires. Toutefois, les événements se démarquent par leur violence, inédite depuis les manifestations contre les tricheries électorales de 2009. Des dizaines de pompes à essence ainsi que des banques et autres bâtiments furent saccagés tandis que les forces de l’ordre, de leur côté, tiraient à balles réelles sur les manifestants. Bien que peu d’informations nous soient parvenues, internet ayant été coupé dans l’ensemble du pays, Amnesty International dénombre entre 100 et 200 victimes et plus d’un millier d’arrestations.

Afin de légitimer son action, au cours d’un discours télévisé le mercredi 20 novembre, Ali Khamenei affirmait que « l’ennemi avait été repoussé au cours des derniers jours », persuadé que les Etats-Unis étaient à la manœuvre derrière les manifestants. La milice iranienne des Bassidji a également affirmé vendredi qu’une guerre mondiale, œuvre des Etats-Unis, d’Israël et de l’Arabie Saoudite, venait d’être empêchée. La thèse complotiste ainsi développée est en réalité un moyen pour le pouvoir d’affirmer sa légitimité, en tant que protecteur du territoire national. La thèse du complot extérieur ainsi qu’intérieur, avec la menace d’une cinquième colonne dont l’OMPI serait le fer de lance, est une constante du discours politique iranien. Cependant les déséquilibres provoqués de l’étranger conservent une certaine réalité dans la mesure où les Etats-Unis entretiennent une politique au Moyen-Orient dirigée contre la République islamique d’Iran. Le président américain Donald Trump, au cours de son mandat, a durci le ton dans le but de faire céder le régime iranien et de briser son influence dans la région afin de l’amener à accepter les conditions d’une nouvelle diplomatie davantage conforme aux souhaits américains. Si les derniers événements dans le Golfe persique témoigne d’une volonté commune d’éviter une guerre de front, la position américaine reste celle de souhaiter un changement de régime à Téhéran à terme. L’arme économique est privilégiée.

 

Ainsi, le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018 et le rétablissement des sanctions américaines sur le commerce avec l’Iran sont largement responsables de la récession économique actuelle qui atteint -9,5% du PI selon le FMI. De même, l’inflation est remontée à 40% pour l’année 2019, niveau non atteint depuis la présidence Ahmadinejad, alors qu’elle variait autour de 10% en 2016 et 2017, avant le rétablissement des sanctions économiques. Enfin, le secteur pétrolier représente 80 % des exportations du pays, et au moins 40 % de ses revenus ; or les exportations de pétrole ont chuté de 2,3 millions de barils par jour avant mai 2018 à 600 000 aujourd’hui. La Chine, principal partenaire commercial de l’Iran a également vu certaines de ses sociétés sanctionnées par le Etats-Unis en septembre dernier pour violation de l’embargo américain sur le pétrole iranien. Toujours selon le FMI, la situation économique que traverse le pays depuis 2018 serait la pire de son histoire récente.

Dans un tel contexte, la baisse des subventions allouées au pétrole, et donc l’augmentation de son prix, paraissait une solution adéquate afin de redresser la balance budgétaire de l’Etat. Il s’agit d’éviter la surconsommation ainsi que la contrebande effectuée avec les pays frontaliers. La baisse des subventions allouées au pétrole n’est pas une question nouvelle. Ahmadinejad les avait déjà baissées en 2010 mais, les avait compensées par de l’argent liquide versé à la population iranienne. Cette solution n’est toutefois pas praticable à cause de l’inflation actuelle. Le pouvoir s’attendait au mécontentement suscité par de telles décisions, aussi n’en n’a-t-il parlé qu’au dernier moment, en annonçant qu’une partie des recettes engendrées par cette hausse des prix à la pompe serait reversée aux plus démunis.

 

Il ne faut toutefois pas surestimer le rôle des Etats-Unis, qui est bien plus celui d’un catalyseur du mécontentement populaire que celui d’un initiateur. Au cours des manifestations, les slogans les plus fréquemment affichés étaient « A bas les dictateurs » et « Ni Gaza, ni Liban, je donne ma vie pour l’Iran », slogan déjà présent lors des précédentes manifestations de fin 2017 et même 2009. Derrière ces propos, le mal-être socio-économique de la population est imputé à la politique extérieure menée par le régime des mollahs. L’incapacité du gouvernement à proposer des solutions économiques au pays pousse des pans entiers de la population à exprimer l’idée que le gouvernement ne représente plus les intérêts nationaux. Alors que les recettes de l’Etat se réduisent, celui-ci continue de financer ses réseaux extérieurs : les milices chiites en Irak, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen. L’Iran a construit depuis la guerre Iran-Irak une politique sécuritaire basée sur la promotion du chiisme, le désenclavement et de prendre la tête de la lutte contre les ingérences occidentales. La chute du régime de Saddam Hussein en 2003 a ouvert la voie à la formation d’un « croissant chiite », aujourd’hui fortement contesté par les populations civiles alors que presque entièrement réalisé par les leaders politiques pro-iraniens au pouvoir.

Bien plus que le régime, c’est cette politique sécuritaire qui se trouve aujourd’hui menacée, à l’intérieur des frontières comme à l’extérieur, par le rejet, en Irak et au Liban, de l’ingérence iranienne. Il semble improbable, cependant, que le gouvernant iranien choisisse de mettre de côté cette politique. Le général iranien Qassem Soleymani s’est ainsi rendu à Bagdad le 30 octobre dernier pour prendre en main la gestion des manifestations.

La conséquence de la politique de pression maximale exercée par les Etats-Unis est surtout le renforcement de l’appareil sécuritaire au sein de l’Etat avec une affirmation des conservateurs et une marginalisation des modérés dont fait partie le président Hassan Rohani. Ce dernier, qui avait été l’artisan de l’accord sur le nucléaire à Vienne, voit son influence décroitre dans les milieux politiques. Sa politique d’ouverture s’étant brisée sur la présidence de Donald Trump, son rôle aujourd’hui se résume de plus en plus à une gestion de survie économique.

 

Voir dans les événements de ces derniers jours un prélude à la chute du régime serait largement les sur-interpréter. Au contraire, la répression musclée qui les a accompagnés est la marque d’un Etat essoufflé par l’étau économique mais qui bénéficie encore d’un soutien populaire et de l’allégeance de ses services de sécurité.

Le risque créé par la politique de pression économique maximale de l’administration Trump est surtout de radicaliser la politique iranienne, d’accroître les tensions diplomatiques existantes, avec une potentielle tentation par la fuite en avant. Le 7 novembre dernier, l’Iran a annoncé la reprise de l’enrichissement de l’uranium sur le site de Fordo, tandis que le 9 novembre Behrouz Kamalvandi, porte-parole de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, a déclaré que l’Iran enrichira désormais l’uranium à hauteur de 4,5% au lieu des 3,67% prévus par l’accord de Vienne. Ces dernières nouvelles repoussent encore davantage les espoirs d’apaisement des relations avec l’Iran entretenus par le président français, ainsi que l’éventualité d’entamer, à terme, un nouveau cycle de négociations pour la paix au Moyen-Orient.

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