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Impasse et perspectives d’avenir de l’action internationale au Sahel
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Par Louis Lafaurie

La montée en puissance des groupes djihadistes au Sahel et l’hostilité croissante d’une partie des populations locales à l’encontre de Barkhane et de la MINUSMA interrogent les perspectives d’avenir d’une action internationale qui semble dans l’impasse.

Au Sahel les événements dramatiques s’enchaînent, et ce malgré la présence de la force Barkhane et de la MINUSMA, qui paraît impuissante à enrayer la menace djihadiste. Les deux principaux groupes djihadistes de la région, le GSIM et l’EIGS, semblent avoir pris l’initiative de l’affrontement, cantonnant les forces nationales et internationales à une posture de réaction.

Ainsi plusieurs attaques d’envergure contre des camps militaires ont marqué les derniers mois au Mali, avec la double attaque de Boulikessi et de Mondoro le 30 septembre, et d’Indelimane le 1er novembre. Le bilan pour l’armée malienne est très lourd, avec environ 80 morts au total. La mort de 37 travailleurs de la mine de Semafo au Burkina Faso le 6 novembre et d’un brigadier français le 2 novembre s’ajoute à ce bilan. Ces attaques d’envergures, rendues possibles par la fusion qu’ont opérée les multiples groupes djihadistes de la région au sein des deux groupes précédemment cités, placent les groupes armés terroristes (GAT) en position de force, et se traduisent par une montée de la pression dans la « région des trois frontières », entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

A ces difficultés il faut ajouter la mauvaise perception croissante des forces étrangères au Sahel par les populations locales. En effet, l’action internationale est ressentie comme inefficace, sur fond de décrédibilisation d’une partie de la classe politique, jugée irresponsable et corrompue dans des territoires où la présence régalienne demeure marginale. Plusieurs manifestations réclamant le départ de Barkhane et de la MINUSMA ont eu lieu depuis 2018, la plus récente date du 10 octobre à Sévaré avec près d’un millier de manifestants. En plus d’une remise en question de l’efficacité de cette action internationale, le discours s’appuie sur un fond d’anti-impérialisme, pour lequel le terrorisme serait devenu un prétexte à l’installation de bases militaires étrangères.

Au sein de cette pression populaire, reflet de l’exaspération de populations confrontées à une violence constante et diffuse, deux discours minoritaires émergent. Un premier qui laisse entendre en creux que le départ de Barkhane et de la MINUSMA ferait cesser la violence, devenue inutile après une prise de pouvoir par les groupes djihadistes. Un deuxième qui souhaite la venue de la Russie, jugée plus efficace dans le règlement des conflits. Bien que minoritaires, ces deux discours témoignent de la volatilité et de la complexité de la situation au Sahel.

Un changement de paradigme apparaît nécessaire et se pose alors la question des perspectives envisagées par l’action internationale. Celles-ci semblent s’établir sur un temps long, et par une mise à niveau des pays sahéliens sur les plans politiques, sécuritaire, économique et social.

Sur le plan sécuritaire, plusieurs axes sont envisagés autour des questions de formations, d’équipements, de renseignement, de recherche de nouveaux partenaires stratégiques, et d’une articulation politico-militaire plus prononcée.

Ces différentes thématiques ont été abordées le 5 novembre durant une réunion du G5 Sahel. Il en ressort pour le moment qu’une nouvelle opération conjointe Bourgou IV, conduite avec Barkhane en collaboration avec deux compagnies burkinabè, va renforcer la présence militaire dans la « région des trois frontières ». De plus, de nouvelles troupes spéciales européennes dédiées à la formation et à l’accompagnement des troupes maliennes au combat sont à attendre au sein de Barkhane avec la nouvelle opération Tacouba. Celle-ci devrait donc permettre une montée en puissance de la réponse militaire sans peser davantage sur les moyens humains et matériels déjà engagés par la France. Par ailleurs la reconquête de l’espace sahélien doit également être politique, avec un suivi de l’administration territoriale dans les zones pacifiées. Cette stratégie zonale formulée par François Lecointre, chef d’Etat major des armées, selon laquelle les forces armées resteraient dans une zone pacifiée le temps que l’Etat la réinvestisse, ne peut toutefois s’envisager que sur le long terme.

Parallèlement à ces actions sur le plan sécuritaire, des actions de développement économique et social sont attendues et déjà mises en place pour certaines. Le problème de la corruption d’une partie de la classe politique a ainsi vu l’émergence d’initiatives anti-corruption dont certaines obtiennent de très bons résultats, comme en témoigne la cellule anti-corruption du Mali. Sur le plan économique, une relance d’activités dans la région par des acteurs privés voit le jour, notamment dans le cadre plus global du Plan de soutien des Nations unies, qui cherche à intensifier les efforts pour accélérer la prospérité et la paix durable en mettant en œuvre les priorités des Objectifs de Développement Durable et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. L’idée générale est d’améliorer la coordination et la collaboration entre les organisations bilatérales et multilatérales, le secteur privé et les organisations de la société civile.

Enfin, la question des Peuls est essentielle. Cette communauté transfrontalière d’environ 35 millions d’individus est présente dans toute la zone sahélienne, et constitue le gros des combattants au sein des cellules djihadistes. Cette participation peut s’expliquer par un sentiment de marginalisation et de pauvreté, sur fond de conflits intercommunautaires liés en partie à des conflits d’usage pour la terre et l’eau. Ces conflits sont attisés par les groupes djihadistes, et participent activement à la déstabilisation de la région.

Ces perspectives d’action à différents niveaux ne doivent cependant pas cacher un autre discours montant, celui de la négociation. Ce souhait d’ouverture d’une négociation avec les groupes terroristes est évoqué à Bamako, mais a toujours été refusé par les autorités françaises. Cette troisième voie pourrait cependant être réévaluée à l’avenir.

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