Par Clémence CASSE et Xavier MARIÉ
Dans un entretien publié jeudi 7 novembre dans The Economist, le Président français a dressé un constat très sombre du système de défense collective européen et otanien, mettant en doute l’effectivité de l’article 5 et exhortant les Etats européens à œuvrer résolument à la construction d’une Europe de la défense, selon lui seule apte à préserver l’autonomie stratégique européenne au vu de l’évolution des dynamiques internationales.
Sa critique virulente de l’OTAN s’est fondée tout spécialement sur le déficit de leadership américain, son imprévisibilité et son unilatéralisme croissants, ainsi que le manque de coordination stratégique entre les Alliés. Ses propos renvoyaient en particulier à l’épisode du retrait unilatéral des forces américaines de Syrie, alors que la France et le Royaume-Uni y avaient également déployé des forces spéciales, ouvrant la voie à l’offensive d’Ankara, membre de l’Alliance, en Syrie contre les combattants kurdes des Forces démocratiques syriennes, alliés des États membres participant à la coalition contre Daech au Levant (opération Inherent Resolve). Selon le chef de l’Etat, ces développements illustrent les difficultés qui le conduisent à diagnostiquer l’état de « mort cérébrale » de l’OTAN. Si Emmanuel Macron reconnaît que l’OTAN constitue un outil militaire efficace en termes de capacités (très largement américaines), il déplore que son action ne soit guidée par aucune stratégie ou politique commune. La chancelière Angela Merkel s’est très rapidement détachée des propos de M. Macron en expliquant qu’elle ne partageait pas son point de vue. Elle a tout de même relevé que l’OTAN traversait une période de troubles et que les Alliés devaient se rassembler pour travailler ensemble. Le Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg a également pris la défense de l’Alliance atlantique. Le seul écho positif est venu, sans surprise, de Moscou.
Dans ce contexte, à l’occasion du 30ème anniversaire de la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a réaffirmé à la fois l’étroitesse du lien germano-américain et la pertinence de l’Alliance atlantique lors d’un déplacement en Allemagne au cours duquel il a rencontré son homologue Heiko Maas et rendu visite aux forces américaines déployées en Allemagne. Il a alors présenté l’OTAN comme l’un des partenariats stratégiques les plus importants de l’histoire, soulignant son rôle dans la défense du modèle démocratique libéral au cours de la Guerre froide, ayant abouti à l’effondrement du bloc de l’Est, symbolisé par les événements du 9 novembre 1989. Il a également défendu le respect des 2% de PIB à allouer à la défense au sein des budgets alliés, conformément aux demandes réitérées par toutes les administrations américaines, avec une virulence particulière sous l’administration Trump.
Pour rappel, en janvier 2019, le président Trump avait réagi à un article du New York Times laissant entendre qu’il aurait envisagé en retrait des États-Unis de l’Alliance atlantique. S’il est vrai que Donald Trump, conformément à sa méthode de négociation musclée et impulsive, a régulièrement soufflé le chaud et le froid sur l’engagement américain dans l’OTAN afin de contraindre les autres États membres à s’impliquer davantage, il avait à cette occasion réaffirmé sans ambiguïté son soutien à l’OTAN tout en exhortant ses partenaires européens à accroître la part de leur budget alloué à la défense, ce qui a été suivi d’effets dans plusieurs Etats. Les législateurs américains de la Chambre avaient par la suite adopté, avec une large majorité bipartisane, une proposition de loi (Nato Support Act) visant à prévenir toute utilisation du budget fédéral en vue d’un retrait américain de l’Alliance. Ce texte réaffirmait également le soutien des États-Unis à l’OTAN et à la clause de défense mutuelle, au financement « solide » de l’Initiative de dissuasion européenne (European Deterrence Initiative, lancée suite à l’annexion de la Crimée par Moscou) ainsi qu’à l’objectif de 2% du PIB consacré par chaque Etat-membre à la défense d’ici 2024. Si le Sénat n’a pour l’instant pas donné suite à ce texte, une résolution de soutien à l’OTAN y avait été adoptée en juillet 2018.
Alors que les dirigeants des pays membres de l’OTAN se réunissent à Londres les 3 et 4 décembre pour célébrer les 70 ans de l’Alliance, les ambiguïtés de Donald Trump et désormais les propos d’Emmanuel Macron sur fond d’offensive d’Ankara contre les Kurdes en Syrie risquent de faire de l’ombre à cette rencontre dont l’ambiance s’annonce électrique.