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Escalade des tensions vénézuélo-colombiennes : le Vénézuéla seul contre tous ? 
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Par Xavier Marié et Salomé Sifaoui

 

 

Le 9 septembre dernier, des manœuvres de l’armée vénézuélienne à la frontière entre le Vénézuéla et la Colombie ont été observées. Elles seraient la réponse de Caracas aux accusations colombiennes selon lesquelles le Vénézuéla aurait apporté son soutien aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARCS). En effet, des milices liées au mouvement insurgé seraient présentes sur le territoire vénézuélien, dont plusieurs détachements de la milice ELN (Armée de Libération Nationale), à hauteur de 1600 hommes selon le chef d’état-major colombien. La Colombie dénonce donc ce qui s’apparente au soutien de Caracas aux guérilleros et le gouvernement d’Ivan Duque demande à ce titre l’inscription du Vénézuéla sur la liste des Etats terroristes. De surcroît,  alors qu’un accord de paix avait été signé entre Bogota et les FARCS en 2016, certains dissidents au sein du mouvement ont annoncé leur volonté de reprendre la lutte armée à l’encontre du gouvernement colombien, ce qui est considéré par Bogota comme une conséquence du soutien vénézuélien aux insurgés.

 

Nicolas Maduro a démenti les accusations, reprochant à la Colombie, soutenue par les Etats-Unis, de chercher une justification à une intervention militaire au Vénézuéla.  Il a annoncé le déclenchement d’une « alerte orange » sur l’ensemble des 2219 km séparant les deux Etats. Ainsi, Caracas se place en posture défensive, comme l’a rappelé le gouvernement chaviste, matérialisant le rejet de la mise en cause colombienne par le déploiement de troupes à la frontière dans le cadre d’une opération baptisée « Paix et Souveraineté ». Quelques 3000 soldats de tous corps seraient déjà présents, sur les 150 000 hommes qui devraient être déployés. En outre, les autorités ont déclaré que ce déploiement faisait office d’exercice militaire temporaire et devrait prendre fin le 28 septembre. Cette manœuvre revêt ainsi deux facettes : un exercice militaire d’ampleur qui constitue simultanément une réponse défensive à l’égard de la Colombie qui atteste de la détermination de Caracas.

 

Le Secrétaire-Général des Nations-Unies, Antonio Guterres, a appelé les deux parties à entamer un dialogue, ce qui a été refusé par Bogota, arguant qu’un rejet total de la dictature de Nicolas Maduro impliquait l’absence d’échanges entre les deux parties. A cet égard, le président colombien Ivan Duque a réitéré ses accusations quant au caractère terroriste du régime vénézuélien, en appelant à  l’Organisations des Etats Américains (OEA), et demandant l’application du traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) signé à Rio en 1947. Ce texte, originellement orienté contre l’influence soviétique, stipule que l’attaque d’un pays signataire constitue une menace pour l’ensemble des parties signataires, appelant une réponse défensive commune. S’il a été invoqué à une vingtaine de reprises depuis sa signature, ce traité, parachevant l’acte de Chapultepec en 1945, n’a pour autant jamais eu d’application empirique. Plusieurs Etats latino-américains s’en sont par ailleurs retirés, parmi lesquels le Vénézuéla, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et le Mexique. Il a été à nouveau invoqué le 12 septembre, par les Etats-Unis et 10 autres Etats, ainsi que par l’opposition vénézuélienne, vraisemblablement en soutien à la Colombie. Néanmoins, l’Uruguay a voté contre l’activation du TIAR tandis que le Costa Rica, Panama, le Pérou et Trinité-et-Tobago se sont abstenus, ce qui fait de cette manœuvre diplomatique une « gesticulation politique et diplomatique » visant surtout à renforcer l’isolement du régime chaviste, selon Guillaume Long, chercheur à l’IRIS, qui y voit davantage un « signal de faiblesse » de la part de Washington en raison de l’ineffectivité historique du texte. A noter que l’Assemblée nationale du Vénézuéla avait voté en juillet en faveur d’une réintégration du TIAR, décision à laquelle s’est opposée la Cour suprême vénézuélienne.

 

Dans ce contexte, s’il convient de demeurer extrêmement prudent quant au risque effectif d’un conflit ouvert entre les deux pays, ce regain de tensions est l’occasion de dresser un bref ordre de bataille. Le Vénézuéla se présente comme davantage militarisé que la Colombie dans ses capacités : selon l’IISS (International Institute for Strategic Studies), les forces vénézuéliennes comptent 123 000 soldats d’active et environ 200 000 paramilitaires (Milice nationale bolivarienne). En termes technologiques, le Vénézuéla dispose notamment d’une force blindée et mécanisée significative pour sa taille, de systèmes avancés de défense antiaérienne  (S-300 notamment) ainsi que d’une réelle force aérienne dotée d’une vingtaine de F-16 et une vingtaine de SU-30.  Rappelons également que Moscou soutient Caracas et, l’hiver dernier, a livré du matériel militaire (des pièces détachées notamment) et déployé une centaine d’hommes qui seraient chargés de missions de formation et de maintien en condition opérationnelle des équipements livrés, la Russie étant l’un des principaux fournisseurs des forces vénézuéliennes.

La Colombie aligne davantage de soldats, environ 300 000 selon l’IISS mais détient moins de moyens militaires que son voisin. Elle ne possède pas de chars, sa force mécanisée est légère, ses capacités d’artillerie et de défense antiaérienne moins avancées que celles de Caracas. Son aviation ne dispose que d’une vingtaine de chasseurs Kfir mais aligne plusieurs dizaines d’avions légers d’attaque au sol en raison de son tropisme contre-insurrectionnel. Pour autant, Bogota bénéficie du soutien appuyé des Etats-Unis, le régime vénézuélien figurant comme ennemi affiché de Washington, a fortiori depuis la crise politique de janvier dernier. Les Etats-Unis se sont, à cet égard, prononcés sur ces manœuvres, Donald Trump estimant qu’ « Il [Maduro] est allé trop loin ». Toutefois, le Président américain doit déjà faire face aux tensions avec Téhéran dans le golfe Persique et à son bras de fer commercial avec Pékin, et semble donc bien loin de vouloir initier un conflit armé sur le continent américain. D’autant plus qu’après le limogeage de l’ancien conseiller  à la sécurité nationale John Bolton, qui avait plusieurs fois soutenu l’idée  d’une intervention au Vénézuéla, les Colombiens perdent un allié de taille au sein de la Maison-Blanche.

 

Peut-on toutefois envisager, qu’en raison du relatif désengagement militaire américain à l’échelle mondiale, sous couvert d’isolationnisme, la doctrine Monroe puisse, à moyen-terme, revenir au goût du jour ? Dans cette mesure, l’éventualité d’une intervention américaine sur le continent ne peut être totalement écartée, même si elle demeure fort peu probable, des actions diplomatiques et économiques étant bien plus réalistes. De surcroît, ce regain de tensions entre la Colombie et le Vénézuéla s’inscrit dans une dynamique plus large de fracture du continent sud-américain se traduisant par le rapprochement avec les Etats-Unis des États récemment passés à droite de l’échiquier politique, qui renforce l’isolement de Caracas.

 

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