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Limogeage de John Bolton : enjeux et perspectives
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Par Lucie Haigneré et Xavier Marié

 

Mardi 10 septembre, le président américain Donald Trump a annoncé par une série de tweets le limogeage de son conseiller à la sécurité nationale (National Security Advisor), John Bolton, qui lui aurait présenté sa démission la veille. Le bras droit du conseiller sortant, Charles Kupperman, qui a servi sous l’administration Reagan et travaillé dans l’industrie de défense, assure l’intérim ; néanmoins, il ne devrait occuper le poste que durant le court laps de temps nécessaire pour lui trouver un remplaçant titulaire. Ce divorce entre le Président et un partisan intransigeant d’une ligne néoconservatrice dure pourrait en tout cas signer le retour vers une politique étrangère faisant davantage de place au dialogue et à la recherche de compromis, tout en privilégiant un fonctionnement plus traditionnel du conseil de sécurité nationale. En tout état de cause, il convient d’analyser les ressorts et implications de cette décision significative, ce qui est l’occasion de dresser un bilan de l’influence de John Bolton dans l’orientation de la politique étrangère et de défense américaine, avant d’esquisser quelques perspectives d’évolution.

 

En mars 2018, le général H.R. McMaster, alors conseiller à la sécurité nationale du président Trump, présentait sa démission et se voyait remplacé par John Bolton. McMaster avait lui-même remplacé de façon précipitée un Michael Flynn plongé dans le scandale des ingérences russes, et qui avait même avoué avoir menti au FBI. Des tensions avaient rapidement émergé entre Donald Trump et son conseiller, ce dernier préconisant en particulier de ne pas remettre en cause l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé par l’ancien président Barack Obama. Le remplacement de McMaster par John Bolton, considéré comme un « faucon » néoconservateur, tenant de la défense des valeurs et intérêts américains par l’interventionnisme armé (« wilsonisme botté » pour reprendre la savoureuse expression de Pierre Hassner), marquait assurément un virage vers une ligne très dure, rompant avec le positionnement modéré du général McMaster. De fait, John Bolton, qui a servi comme conseiller diplomatique sous les administrations Reagan et Bush (père) avant d’être ambassadeur des Etats-Unis aux Nations-Unies entre 2005 et 2006, est connu pour être un partisan résolu du changement de régime par le recours à la force contre les Etats considérés comme « voyous », relevant selon lui de  « l’axe du mal » (Iran, Corée du Nord, Irak sous le régime de Saddam Hussein), pour emprunter la terminologie bushienne.

 

Pour autant, la relation entre Donald Trump et John Bolton a été plus complexe qu’elle n’aurait pu le sembler de prime abord, les deux hommes n’ayant pas exactement la même approche de la conduite de la politique étrangère américaine, malgré de significatives convergences. Ils partagent une méfiance affichée à l’égard du multilatéralisme auquel ils préfèrent la voie bilatérale, plus propice au rapport de force plus favorable à la défense des intérêts américains. Les deux hommes sont également des partisans affirmés d’un renforcement capacitaire et financier de l’appareil militaire. Néanmoins, malgré ce tropisme martial en commun, une divergence majeure existe entre les deux hommes quant à l’usage de la force armée. En effet, John Bolton considère l’intervention armée comme étant l’unique voie de résolution des tensions entre les Etats-Unis et certains Etats soupçonnés d’en menacer les intérêts de sécurité. Ce positionnement « faucon » s’est notamment traduit par le lancement de la guerre de 2003 contre l’Irak de Saddam Hussein puis par un engagement en faveur de frappes préemptives contre l’Iran et la Corée du Nord dans une stratégie de « regime change ». Or, si Donald Trump déploie une rhétorique souvent teintée de bellicisme et s’est engagé dans une dynamique de remontée en puissance du budget consacré au Pentagone, il demeure fondamentalement méfiant à l’idée de déployer des forces américaines sur des théâtres étrangers et dénonce régulièrement les engagements militaires extérieurs des Etats-Unis, en particulier en Afghanistan et en Syrie, ce qui l’a conduit à annoncer le retrait de l’essentiel du contingent américain de ce dernier pays. Cette approche peut être rattachée à la dimension proprement jacksonienne de la politique étrangère du président Trump, selon laquelle le recours à la force armée doit seulement répondre à une menace directe et majeure contre les intérêts américains, excluant toute utilisation en vue de modifier la donne politico-institutionnelle dans la sphère de souveraineté d’un autre Etat.

 

Cette fracture conceptuelle entre Donald Trump et John Bolton s’est rapidement cristallisée autour de plusieurs dossiers sensibles. Ainsi, l’ouverture diplomatique historique initiée par le Président américain avec la Corée du Nord (rencontres de Singapour et de Hanoi puis poignée de main surprise dans la zone démilitarisée) s’inscrit directement à rebours du positionnement de John Bolton. De même, la décision de Donald Trump d’annuler in extremis les frappes prévues contre Téhéran suite à la destruction d’un drone de surveillance américain par la défense antiaérienne iranienne en juin peut se lire, parmi d’autres interprétations, comme un revirement instinctif face au risque d’engrenage dans un conflit armé avec la République islamique appelé de ses vœux par John Bolton. A la différence de ce dernier pour qui l’enjeu est le renversement du régime des mollahs, Donald Trump donne la priorité à la protection de la liberté de navigation dans le golfe d’Ormuz afin de sauvegarder les intérêts stratégiques, économiques et commerciaux des Etats-Unis et de leurs alliés (approvisionnement en pétrole notamment). Enfin l’ouverture de négociations avec les Talibans en vue d’un désengagement américain et surtout l’organisation, finalement annulée, d’une rencontre entre Donald Trump et les leaders du mouvement taleb à Camp David, aurait achevé d’exacerber l’opposition entre Donald Trump et son ancien conseiller.

 

A cette vision divergente de l’emploi de la force s’ajoute un ensemble de facteurs qui incluent l’approche transactionnelle du Président américain ; sa volonté de réaliser un coup d’éclat diplomatique (par exemple la conclusion d’un accord effectif de dénucléarisation avec Pyongyang ou un accord de paix avec les Talibans) et enfin le contexte de politique intérieure américaine marqué par la perspective des élections présidentielles de 2020, peu propice à l’engagement très incertain de forces dans un conflit lointain.

Le départ de John Bolton laisse désormais pendante la question de son successeur, l’intérim étant assuré par Charles Kupperman, l’adjoint du conseiller sortant. Voici la liste des remplaçants potentiels selon Foreign Policy, le choix revenant de manière totalement discrétionnaire au président Trump :

– Richard Grenell : actuel ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne, il serait le choix favori du président Trump. Adepte d’un style diplomatique très direct, il a notamment critiqué Berlin pour son manque d’investissement en matière de défense et les entreprises allemandes pour avoir commercé avec l’Iran.

– Stephen Biegun : actuel envoyé de la Maison-Blanche pour la Corée du Nord et expert chevronné des relations internationales, il est décrit comme susceptible de rétablir un fonctionnement régulier du Conseil de sécurité nationale, mis à mal par John Bolton. Néanmoins, son nom revient pour différents postes de haut niveau.

– Keith Kellogg : très apprécié de Donald Trump, il sert comme conseiller à la sécurité nationale pour le Vice-Président Mike Pence. Général de l’US Army  en retraite, son influence réelle en matière de politique étrangère sous l’administration Trump est peu claire.

– Matthew Pottinger : vétéran du Marine Corps en charge de l’Asie au conseil de sécurité nationale, il est considéré comme un technocrate compétent et l’un des architectes de la politique musclée de l’administration Trump à l’égard de Pékin.

– Brian Hook : expert de politique étrangère ayant servi sous l’administration George W. Bush, il était en charge de la planification au Département d’Etat sous Rex Tillerson. Depuis le départ de ce dernier, il est en charge des questions iraniennes et s’est rapproché de Jared Kushner.

– Robert O’Brien : avocat et envoyé présidentiel spécial pour les questions de négociation d’otages.

– Rob Blair : en charge des questions de sécurité nationale au profit du chef de cabinet par intérim Mick Mulvaney, sa nomination traduirait la montée en puissance de l’influence de ce dernier au sein de l’administration Trump.

– Douglas MacGregor : ancien colonel de l’US Army devenu analyste des questions de défense, il est extérieur à l’establishment washingtonien mais a fait connaître son intérêt pour le poste de conseiller à la sécurité nationale lors d’une apparition sur Fox News, lors de l’émission de Tucker Carlson, ce qui pourrait attirer l’attention de Donald Trump.

 

Au-delà de l’identité du prochain conseiller à la sécurité nationale, le départ de John Bolton pourrait laisser entrevoir de nouvelles perspectives dans le processus décisionnel et la conduite de la politique étrangère américaine. Au plan intérieur, le nouveau titulaire pourrait revenir à des pratiques plus collégiales de prise de décision en matière de sécurité nationale qui étaient régulièrement court-circuitées par John Bolton. Au plan extérieur, Donald Trump pourrait choisir un conseiller plus favorable à sa stratégie transactionnelle faisant davantage de place à la négociation et à la recherche de compromis, comme en témoigne la volonté exprimée par le Président américain de renouer le dialogue avec son homologue iranien, sans condition préalable, à l’occasion d’une réunion de l’Assemblée générale des Nations-Unies qui doit se tenir fin septembre.

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