Par Xavier MARIÉ
L’US Air Force a annoncé dimanche 2 juin que le groupe aéronaval du porte-avions USS Abraham Lincoln (F/A-18 Super Hornets, MH-60 Sea Hawk et E-2D Growlers) avait procédé à un exercice avec un bombardier stratégique B-52 (vraisemblablement l’un des quatre appareils récemment déployés sur la base d’al-Udeid au Qatar) en mer d’Arabie. Cet exercice a impliqué des simulations de frappes.
De manière significative, l’US Navy a mis en exergue le fait que, de manière à réduire le risque d’escalade, le porte-avions USS Lincoln n’avait pas franchi le détroit d’Ormuz pour entrer dans le golfe Persique mais demeurait en retrait au large de la
côte omanaise, en mer d’Arabie. Le Pentagone envoie donc à l’Iran un message de fermeté sans pour autant risquer de déclencher un engrenage périlleux.
Par ailleurs, au plan diplomatique, dans un effort de réduction des tensions et dans une tentative de renouer le dialogue, le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo s’est dit prêt à des négociations sans préconditions avec Téhéran, tout en réitérant les critiques de l’administration américaine envers le comportement déstabilisateur de l’Iran dans la région, assurant que les efforts de Washington pour contrer cette dynamique se poursuivraient. De son côté, le général Kenneth McKenzie, commandant du Central Command a estimé que le déploiement de forces américaines au Moyen-Orient avait conduit l’Iran à revenir sur ses présumés préparatifs d’attaque, sans pour autant considérer que la menace avait disparu et appelant à une grande vigilance.
En parallèle, la presse américaine spécialisée s’est fait l’écho des réflexions de spécialistes autour des enjeux et scénarios d’un potentiel conflit armé entre Téhéran et Washington. Dans le domaine conventionnel, les forces iraniennes disposent de plusieurs atouts susceptibles de rendre coûteuse une offensive américaine. Ces derniers s’articulent avant tout en capacités de déni d’accès (A2/AD) et en capacités balistiques.
Ainsi, en cas de frappe aérienne américaine, les avions de l’Air Force devront faire face aux systèmes de missiles sol-air S-300 et à leur copie iranienne Bavar-373, requérant à la fois un recours aux aéronefs furtifs (F-22 et F-35) et à des opérations de guerre électronique visant à perturber le fonctionnement des radars et systèmes de détection avancée en amont des frappes.
Dans le domaine maritime, l’Iran, outre le recours aux mines navales, drones armés et essaims de vedettes lance-missiles, qui pourraient maintenir une pression sur les task forces de la Navy, dispose d’une force sous-marine non négligeable, comportant notamment trois sous-marins d’attaque de classe Kilo, un sous-marin de classe Fateh susceptible d’être armé de missiles de croisière anti-surface d’une portée de 2000 km (un deuxième est en phase de tests) ainsi qu’une flotte de 23 petits sous-marins de poche de classe Ghadir efficaces pour des attaques de harcèlement. A noter que les bâtiments américains se trouveraient assez vulnérables lors du franchissement de points stratégiques tels que le détroit d’Ormuz. Enfin, les capacités A2/AD iraniennes s’appuient également sur une force de défense côtière équipée de batteries mobiles de missiles antinavires et de pièces d’artillerie.
Dans le domaine terrestre, les experts n’envisagent pas une invasion de l’Iran sur le modèle des opérations de 2003 en Irak mais plutôt des frappes de longue portée au
moyen de lance-roquettes multiples de type HIMARS et d’hélicoptères de combat. D’autres enjeux importants seraient la protection des emprises (diplomatiques et militaires) et forces américaines au Moyen-Orient, à la fois contre les frappes balistiques iraniennes et contre les actions de milices et groupes armés chiites affiliés à Téhéran. Cette menace asymétrique que font peser les proxies iraniens s’étend notamment au Levant et au Yémen.
Enfin, un aspect majeur des capacités de défense iraniennes réside dans l’arsenal balistique de Téhéran. Ce dernier, selon le think-tank CSIS, aligne une gamme importante de missiles disposant d’une portée allant de 300km (Shahab-1) à 2000km (Shahab-3/Ghadr-1/Sejjil) voire 2500km (Soumar, qui est le dernier missile de croisière dévoilé par l’Iran et non un missile balistique). Ces capacités permettent à l’Iran de faire peser une menace permanente sur l’ensemble du Moyen-Orient, incluant les forces américaines qui y sont déjà déployées ou seraient amenées à l’être, ainsi que sur les alliés de Washington, tant Israël que les différents États sunnites de la région, l’Arabie saoudite en premier lieu. Dès lors, la mise hors de combat de ces systèmes balistiques serait une priorité pour les forces américaines. Plus généralement, selon certains experts, en cas d’offensive, le Pentagone conduirait avant tout des combinaisons de frappes aériennes, de cyberattaques et d’opérations spéciales ciblant les infrastructures les plus critiques : centres de commandement, sites balistiques et nucléaires, lignes d’approvisionnement.
Au-delà de l’aspect purement militaire et opérationnel se pose la question des objectifs et conséquences stratégiques d’un conflit armé entre Washington et Téhéran. Nombre d’experts soulignent le risque qu’au lieu de conduire à un changement de régime, une offensive américaine puisse plutôt souder la population autour de son gouvernement, opposant la cohérence d’ensemble de la société iranienne à l’éclatement de la société irakienne qui avait facilité l’écroulement du régime baasiste en 2003. En outre, ils soulignent que le rayonnement idéologique et religieux de l’Iran ne peut faire l’objet d’une réponse strictement militaire, qui serait susceptible d’avoir un contre-effet mobilisateur. Dès lors, les experts interrogés estiment qu’aucune des parties n’aurait d’intérêt à un conflit qui pourrait s’avérer très coûteux en vies humaines mais mettent en exergue le risque d’escalade fondé sur une incompréhension, ou sur une initiative unilatérale relevant d’un groupe affilié à Téhéran.