Par Naël Madi
La bipolarisation des puissances nucléaires s’est affirmée avec éclat lors de cette première semaine du mois de juin. Alors que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France étaient réunis sur les plages de Normandie pour commémorer le D-Day, Vladimir Poutine recevait Xi Jinping à Moscou pour fêter les 70 ans de la reconnaissance de la République populaire de Chine par Moscou en 1949. Cette première semaine a rappelé à chacun les tensions encore vives provoquées par l’histoire récente des nations victorieuses en 1945. Les autorités chinoises face à la censure des événements de Tiananmen ; le rôle de la Russie dans la victoire en 1945 ; la place de la France durant la guerre : acteur ou spectateur de la victoire ?
Alors que les yeux du monde étaient rivés sur les souvenirs du débarquement, un important incident militaire s’est produit en mer de Chine orientale. En l’espèce, au matin du 7 juin près des îles japonaises de Senkaku, revendiquées par la Chine, navires russe et américain se sont approchés à moins de 30 mètres dans une manœuvre d’intimidation inédite sur cette mer. L’incident a été révélé par la Flotte du Pacifique russe dans un communiqué déclarant : « Aujourd’hui, à 6h35, heure de Moscou (3h35 GMT), dans la partie sud-est de la mer de Chine méridionale, alors que le détachement maritime russe de la Flotte du Pacifique se déplaçait parallèlement à un groupe d’attaque américain, l’USS Chancellorsville a soudainement changé de cap et a coupé la route du destroyer russe Amiral Vinogradov à seulement 50 mètres du navire ». La marine russe affirme de plus que « pour éviter la collision, l’équipage de l’Amiral Vinogradov a été contraint à une manœuvre d’urgence ».
La VIème flotte américaine a quant à elle contesté en tout point la version russe, accusant le destroyer anti-sous-marin russe d’avoir « effectué une manœuvre peu sûre contre l’USS Chancellorsville, se rapprochant ainsi à environ 50-100 pieds (15-30 mètres) ». Pour étayer les faits, la Navy a diffusé des vidéos de l’incident et une image aérienne assez impressionnante montrant les manœuvres du destroyer russe pour rattraper et fondre sur le navire américain. Le destroyer russe a ensuite décroché. Cet incident a fait l’objet de protestations émises par les deux parties.
Si les manœuvres de rapprochement ou d’intimidation sont fréquentes, surtout en Europe, celle-ci révèle une certaine agressivité et vise à l’affirmation de la puissance russe en Asie du Sud-Est. En effet, la marine russe multiplie depuis fin avril les exercices en mer de Chine dont un exercice conjoint avec la Marine de l’Armée populaire de libération qui a duré sept jours. Ainsi la Russie par cet acte affirme son soutien à son allié chinois et se pose en troisième force face au duel entre Pékin et Washington pour la domination de la mer de Chine.
Une scène similaire avait déjà eu lieu mardi, cette fois-ci dans l’espace aérien international au-dessus de la Mer Méditerranée : un P8-A Poseidon de l’US Navy, avion de patrouille et de lutte anti-sous-marine, s’était vu par trois fois intercepté par un chasseur Su-35 russe. La scène a duré une trentaine de minutes. Si ces intimidations sont fréquentes, la VIème flotte – à laquelle appartient l’avion – a surtout mis en avant le caractère particulièrement dangereux du deuxième passage du chasseur russe : passant à très haute vitesse à l’avant du P8-A à la limite de la collision, créant par-là de fortes turbulences et des risques pour les membres de l’équipage. L’US Navy rappelle dans son communiqué son attachement à l’accord bilatéral américano-russe de 1972 pour limiter les incidents en mer : « des actions dangereuses augmentent le risque de mauvais calculs et potentiellement de collision en vol ».