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Bratstvo, ou Fraternité : le nouveau Pavel Lounguine sur la guerre en Afghanistan
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Bratstvo, ou Fraternité : le nouveau Pavel Lounguine sur la guerre en Afghanistan

Par Anne Maurin

 

Le réalisateur franco-russe Pavel Lounguine, plusieurs fois primé (Taxi Blues, L’Île, Tsar) sortait le 10 mai dernier un film de guerre intitulé Братство, Fraternité, sur la planification du retrait militaire russe d’Afghanistan en 1988.

 

Initialement programmée le 9 mai, jour de la Victoire de la Grande Guerre patriotique, cette sortie n’est pas passée inaperçue, et a enflammé l’opinion publique et le parlement russe depuis son annonce. Très controversé car il dépeint un tableau violent et peu académique de la fin de la guerre en Afghanistan, ce film s’établit sur les retours d’expérience du Général Nikolaï Kovalev, vétéran de ce conflit et ancien directeur du FSB dans les années 90. Ce dernier, mort en avril 2019, a pu visionner le film en avant-première, et s’était déclaré « satisfait du résultat ».

 

Le conflit opposait l’Union soviétique, en soutien au gouvernement communiste afghan, à l’Union islamique des moudjahidines d’Afghanistan, depuis l’invasion du pays par la 40e armée soviétique et les Spetsnaz (forces spéciales des différents ministères russes) en 1979. En 1988, date à laquelle se déroule le film, Gorbatchev vient d’annoncer le retrait des troupes, facilité par la trêve négociée avec Ahmed Shah “Massoud”, chef de guerre charismatique des Moudjahidines. Cette guerre aura fait en tout au moins 14 000 morts, quasiment 50 000 blessés de guerre dont 10 000 soldats handicapés à vie, et plus de 400 000 malades à leur retour. La mémoire de cette guerre est peu développée en Russie, presque taboue, car trop récente, mais le traumatisme équivaudrait à celui de la Guerre du Vietnam pour les Etats-Unis. Philippe Sedos, officier français chercheur spécialisé dans la Guerre soviéto-afghane, compare cette guerre à la Guerre d’Algérie en France, en terme de moyens, de stratégie et de bilan.

 

Le film raconte l’opération menée par les soldats d’une division de l’infanterie motorisée soviétique, après l’annonce du retrait des troupes, pour libérer et récupérer un pilote de chasse qui, en raison d’un crash, est retenu prisonnier par des factions moudjahidines. L’opération se révèle critique car cette 108e division de l’infanterie motorisée négocie une trêve avec ces factions pour pouvoir passer en sécurité le col de Salang. Cet épisode fait référence à la trêve négociée directement par le Général Boris Gromov, commandant les troupes soviétiques en Afghanistan, et le commandant Massoud pour sortir les troupes en toute sécurité par ce col, contre les ordres de Moscou (notamment de Chevardnadze, ministre des Affaires étrangères soviétique entre 1985 et 1990) de bombarder les positions rebelles (selon les écrits et interviews de Gromov).

 

Selon Pavel Lounguine, ce film raconte l’héroïsme discret des soldats soviétiques, le sens des responsabilités, la persévérance. Selon lui, « c’est aussi ça, le patriotisme. Il ne faut pas aimer la guerre, il faut aimer les gens obligés de la faire ». Pourquoi ce film n’est-il pas sorti traditionnellement un jeudi, et comme prévu le 9 mai ? Ses détracteurs sont principalement les associations d’anciens vétérans, qui y voient un outrage à la mémoire de ceux ayant participé à la guerre en Afghanistan. Le Courrier de Russie, journal français à Moscou, rapporte les propos d’un vétéran à l’issue de l’avant-première du film. Selon Guenadi Chokorov, ce film prend le pire de la guerre et le compile dans deux heures de scénario : « certes il se passe beaucoup de choses pendant une guerre. Mais je suis révolté par le fait que, trente ans après, on n’en retienne que le pire ». Soutenant les protestations des associations de vétérans contre ce film, le sénateur Igor Morozov s’est opposé à sa sortie lors d’une réunion du Conseil de la Fédération (Sénat russe), mais sa demande a été rejetée. Selon lui, faisant passer la 40ème armée pour des voyous, à travers des scènes de pillage et de bagarres,  « un tel film ne saurait susciter de sentiment patriotique dans la jeunesse, il ne devrait pas exister ». Il qualifie Bratstvo de « falsification évidente d’événements historiques ». La Douma s’est emparée du dossier pour reculer sa date de sortie. Un film « où l’armée n’est pas dépeinte sous son meilleur jour » selon l’expression utilisée par le vice-ministre de la Défense russe (qui ne prit pas position dans l’affaire de report) ne peut sortir lors de la fête de la Victoire. Le ministère de la Culture a repoussé au 10 mai sa sortie, pour apaiser les tensions.

 

Lien de la bande annonce du film, en russe: https://www.youtube.com/watch?v=-ZZksrMvl7s

 

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