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Chili : tenue du Forum pour le Progrès en Amérique du Sud (PROSUR)
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par Salomé Sifaoui et Thomas Péan

Le 22 mars 2019 dernier, les dirigeants d’Amérique du Sud se sont réunis à Santiago, capitale du Chili, dans le cadre du premier Forum pour le Progrès en Amérique du Sud (PROSUR).

 

Si la plupart des chefs d’Etats d’Amérique du Sud y ont assisté, trois pays de la région ont brillé par leur absence. Le régime chaviste du Venezuela d’abord, en raison de son isolement face au reste des pays voisins, notamment au sein du Groupe de Lima. En effet, le pays fait désormais figure de “persona non-grata” auprès des autres Etats latino-américains. Mais aussi l’Uruguay, actuellement dirigé par une coalition de gauche, le Frente Amplio, qui a rejeté l’option Prosur en raison de son opposition à son voisin brésilien dirigé depuis janvier par Jair Bolsonaro. Enfin, la Bolivie d’Evo Morales, membre de l’ALBA et solidaire de Nicolas Maduro, s’est également abstenue de sa présence au sommet sud-américain. Ces trois Etats se trouvent en réalité assez isolés face à la nouvelle donne politique du continent, laquelle connaît un fort mouvement de balancier vers la droite de l’échiquier politique.

 

Évoqué au cours du forum, le Prosur tendrait à remplacer l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) fondée en 2008 sous l’égide d’Evo Morales et dont le siège se situait symboliquement à Mitad del Mundo en Equateur, où figurait par ailleurs une statue de Nestor Kirchner, le premier secrétaire général de l’UNASUR. L’organisation est née dans un contexte d’expansion économique menée par un ensemble de gouvernements progressistes, issus de la Nouvelle Gauche sud-américaine : Nestor Kirchner (Argentine), Evo Morales (Bolivie), Lula da Silva (Brésil), Michelle Bachelet (Chili), Rafael Correa (Equateur), Hugo Chávez (Venezuela).

 

Associant les membres du Mercosur et ceux de la Communauté Andine des Nations (CAN), elle regroupait également le Chili, le Guyana et le Suriname. A l’échelle internationale, elle bénéficiait d’un statut d’observateur à l’Organisation des Nations Unies. D’ailleurs, la volonté de créer un secrétariat général – dont le premier mandataire était l’argentin Nestor Kirchner – correspondait à la volonté de donner une voix et un visage à l’organisation sud-américaine sur la scène internationale. Le projet UNASUR comprenait également des projets de développement dans de nombreux secteurs clés – notamment économiques -, qui n’ont pour autant pas été suivis. Le programme d’union monétaire est resté lettre morte. Quant aux questions de défense, les divergences de vues entre la Colombie, le Chili, le Brésil et l’Argentine ont conduit à l’absence véritable de coordination. Si les deux derniers étaient désireux de renforcer leur coopération militaire, la Colombie restait proche de Washington à travers le Plan Colombie (2000). L’UNASUR prenait intrinsèquement en modèle l’Union Européenne afin de développer, sous une approche progressiste, une association comprenant une large gamme de domaines : monnaie, libre échange, défense, culture.

 

La transition politique, de gauche à droite, s’est traduite dès 2015 par l’arrivée de nouvelles équipes gouvernementales non issues de la Nouvelle Gauche. Ce changement s’est poursuivi en 2018 avec la Colombie (Ivan Duque), le Brésil (Jair Bolsonaro), le Paraguay (Mario Abdo), le Pérou (Martin Vizcarra). Dans ce dernier pays, le précédent chef d’État Pedro Pablo Kuczynski a quitté la Présidence suite à des accusations de corruption. Le récent scandale du Lava Jato et de l’entreprise Odebrecht touchant le Brésil, mais également les pays voisins a favorisé le discrédit des précédents gouvernements. Une des raisons de l’échec actuel de l’UNASUR tient à l’absence de vision commune, à quoi l’on peut ajouter les différentes approches à l’égard de Washington. De fait, 6 membres sur 12 ont quitté l’organisation en 2018, illustrant son déclin croissant. Il est possible également de considérer que l’approche idéologique de l’UNASUR relève du progressisme de gauche et d’un certain idéalisme. Ce qui n’est pas sans apparaître comme un possible obstacle à un dialogue ou une avancée plus réaliste, notamment dans le secteur de la défense.

 

A l’heure actuelle, le PROSUR se présente comme une approche régionaliste censée privilégier le pragmatisme sur l’idéologie de l’UNASUR. Ainsi, face à la vision dite progressiste de la précédente alliance sud-américaine, les dirigeants réunis à Santiago du Chili revendiquent une ligne plus conforme aux réalités géopolitiques actuelles. La volonté affichée est celle de pallier l’échec relatif de l’UNASUR, à travers un rapprochement multisectoriel des pays d’Amérique du Sud. Pour autant, le Prosur n’est pas (encore ?) une organisation, contrairement à l’UNASUR. Le terme employé de « forum » et la présentation « sans idéologie ni bureaucratie » montrent que l’idée de coopération mutuelle pragmatique semble primer sur une structure bureaucratique plus rigide et idéologique comme l’UNASUR.

 

En outre, le Forum vient s’ajouter à la multitude d’organisations régionales déjà créées en Amérique du Sud. Depuis 1948, de nombreuses structures régionales ont été fondées comme l’Organisation des Etats Américains (OEA), la Communauté andine des nations (CAN, 1969), le Mercosur (1991), l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA, 2001), l’UNASUR (2008), la CELAC dans les Caraïbes, l’Alliance du Pacifique (2015). Ce mille-feuille est à la fois à géographie et à approche variable (pro-américain, de gauche, régionaliste). Assiste-on donc à l’émergence d’un ALBA de droite ou d’un Forum conservateur ?

 

Le changement du rapport aux Etats-Unis est également à considérer dans la période qui sépare la création de l’UNASUR de celle de l’organisation du Prosur. A plusieurs reprises, Ivan Duque et Jair Bolsonaro se sont affichés aux côtés du président Donald Trump, notamment dans le cadre de la crise vénézuélienne. Or, l’un des fondements de l’UNASUR consistait à développer une solidarité latino-américaine orientée contre le voisin nord-américain. Désormais, l’atmosphère semble plus favorable à un dialogue avec Washington. Il n’est plus question d’une solidarité commune, marquée à gauche, latino-américaine face à la puissance nord-américaine. On pourrait envisager que les différentes structures latino-américaines héritées des décennies passées soient en voie de disparition, au profit d’une synthèse conservatrice ou pragmatique. La crise vénézuélienne et son évolution peuvent également être considérées comme le baptême du feu du Forum, favorisant ce faisant le dialogue entre les différents partenaires ainsi qu’une relation renouvelée avec Washington.

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