Par Matthieu de Ramecourt
Copernicus, le programme européen de surveillance de la Terre, est l’un des pilier de la politique spatiale européenne. En offrant à l’Europe des données indépendantes, il améliore le développement économique du Vieux Continent et la sécurité de ses concitoyens. Outil de soft power, outil sécuritaire, il représente également un atout stratégique non négligeable dans un monde géopolitiquement déstabilisé. Son architecture lui permet, le cas échéant, d’incorporer un volet militaire en cas de forte volonté politique commune.
Protection des frontières, défense commune, enjeux environnementaux, développement économique… Alors que la campagne européenne semble vouée à tourner autours de ces principaux enjeux, l’Union Européenne a à sa disposition le programme d’observation de la Terre Copernicus, plus qu’utile pour traiter ces différentes thématiques.
Les prochaines élections européennes éliront, en ce mois de mai 2019, le nouveau Parlement Européen (PE). En attendant cette échéance, la Commission Européenne (CE) prépare des propositions de budgets qu’elle soumettra au nouveau PE dès son intronisation. C’est le cas du budget spatial[1], dont la somme prévisionnelle de seize milliards d’euros se répartit entre le couple Galileo/EGNOS[2], le programme de surveillance de l’espace (UE-SST)[3], un système de communications sécurisées (GOVSATCOM), et le système Copernicus. Alors que le GNSS européen et ses composantes terrestres se voient accréditer de 9,7 milliards d’euros, soit près de 60,6% du budget total, les « nouveaux composantes de sécurité », c’est-à-dire les capacités de l’UE-SST et le programme GOVSATCOM, héritent de 500 millions d’euros, soit un peu plus de 3% du budget communautaire. Les 5,8 milliards restant, soit 36,3% des fonds engagés, servent ainsi à consolider le programme Copernicus.
Anciennement GMES pour Global Monitoring for Environment and Security, le programme Copernicus a récemment fêté ses 20 ans, puisqu’il est né en 1998 lors de la signature du manifeste de Baveno, nom de la ville italienne sur la rive sud-ouest du lac Majeur. Ce dernier proposait la création d’un « programme opérationnel de surveillance de l’environnement »[4] à l’échelle européenne. En 2014, à des fins de communication vers le grand public, le nom du programme se défait de son acronyme barbare pour prendre celui de l’astronome polonais bien-connu[5]. Alors que l’objectif initial était de compléter les capacités étatiques par des efforts supranationaux, la progressive montée en puissance de Copernicus permet à l’Union, propriétaire du système, de se placer aujourd’hui comme premier acteur européen de surveillance de la Terre.
Composante majeure de la politique spatiale communautaire, le programme est en cours de consolidation, puisque le déploiement de ses Sentinelles, nom donné aux six familles de satellites, n’est pas achevé. Outil d’influence, Copernicus est encensé pour ses retombées économiques et diplomatiques. Outil de puissance, il serrait le cas échéant l’un des pilier de l’autonomie stratégique européenne.
Un outil de classe mondial au service de l’influence européenne
Fondé sur un partenariat entre l’Union (communautaire), l’ESA (interétatique) et les États membres, le programme Copernicus possède trois composantes : une spatiale, une in situ (terrestre), et une de service[6]. Alors que la composante spatiale est quasi-assurée de continuer sa montée en puissance, la politique européenne reste largement focalisée sur les enjeux de développement civil.
Une composante spatiale en développement
La composante spatiale se divise en six familles de satellites Sentinelles, respectivement consacrées à l’observation radar de la Terre, à l’observation optique de la végétation mondiale, des océans et des terres, au contrôle de la qualité de l’air, de la pollution atmosphérique, et de la températures des océans[7].
Les trois premières familles de Sentinelles sont partiellement déployées et fournissent déjà un service continu. Les deux satellites de Sentinelle 1 (du nom pragmatique de Sentinelle-1A et 1B) ont ainsi été respectivement mis en orbite en avril 2014 et 2016. Placés en orbite polaire héliosynchrone à une altitude de 693 km, ils permettent une observation radar[8] avec un temps de revisite de six jours. Sentinelle 2 est également composée de deux satellites (2-A et 2-B) d’observation optique. Placés en orbite polaire héliosynchrone à 787 km d’altitude, les deux satellites envoyés respectivement juin 2015 et mars 2017 ont un temps de revisite de cinq jours. Sentinelle 3 est quand à elle opérationnelle depuis le lancement de son second satellite, effectué en avril 2018. Ses instruments (altimètre radar, radiomètre infrarouge et un spectromètre d’imagerie) lui permettent de mesurer la topographie marine et la température des sols et océans. A ces six satellites s’ajoute Sentinelle 5P (P pour précurseur). Son spectromètre embarqué lui permet de contrôler la pollution atmosphérique mondiale.
Le programme n’est cependant pas complet, bien que la feuille de route officielle des prochains lancements n’ait pas été établie. Ces derniers devront ainsi déployer au minimum cinq satellites supplémentaires : deux de la composante Sentinelle 1 (1-C et 1-D), les deux Sentinelle 4 et 5, respectivement dédiées à la surveillance de « la qualité de l’air en Europe », et à « la qualité de l’air mondiale », ainsi que Sentinelle 6, s’intéressant pour sa part à la hauteur des océans.
Une politique tournée vers le soft power environnemental et économique
Ces six familles de Sentinelles permettent la mise en place de six services distincts sous la responsabilité de la Commission Européenne. Les institutions européennes insistent largement sur le caractère civil du programme, sur ses retombées économiques ainsi que sur la protection de l’environnement.
Le programme Copernicus est en effet « un programme civil, axé sur les utilisateurs, et placé sous contrôle civil »[9], à savoir la CE, qui assume « la responsabilité globale »[10] du programme. Logiquement, Bruxelles est donc « propriétaire de tous les biens corporels et incorporels créés ou développés »[11], permettant la mise en place des six services mentionnés précédemment. Ces derniers ne recoupent pas précisément les familles de satellites, et s’intéressent thématiquement à la gestion des risques, au changement climatique, au contrôle des terres, au contrôle de l’espace marin, à celui de l’atmosphère, et aux problématiques de sécurité[12]. La politique européenne en matière de diffusion des données issues du programme est, malgré quelques rares exceptions, entièrement transparente. Les données recueillies par les satellites européens sont en accès libre sur internet, directement mis en ligne sur le site officiel du programme[13], ou via les cinq DIAS (pour Data and Information Access Services) mis en place par la CE[14].
Pour Bruxelles, l’objectif d’une telle politique est double. Tout en promouvant l’utilisation de ces données par des entreprises européennes, elle vise à placer l’Europe comme leader de la lutte contre le réchauffement climatique. Sur le volet économique, le Copernicus Market Report de l’entreprise d’audit PwC de 2016 estime que la rentabilité du programme est largement assurée. Alors que l’investissement est chiffré à quelques 7,5 milliards d’euros pour la période 2008-2020, les retombées, selon ce membre des big four de l’audit français, avoisine les 13,5 milliards d’euros. Et pour cause, les données satellitaires sont utiles pour des domaines on ne peut plus variés : gestion des forêts, agricultures, pisciculture[15]… Sur le plan diplomatique, la transparence européenne permet à Copernicus de figurer parmi les plus gros contributeurs de GEOSS, le Global Earth Observation System of Systems[16]. Cette organisation internationale, comprenant 105 Etats onusiens en 2017, vise à renforcer la surveillance de la Terre via le partage d’informations. Ce partage vise entre autre à améliorer la gestion des risques naturels.
Ainsi, le programme Copernicus, pensé à des fins civiles et sous contrôle civil, est appelé à jouer un rôle majeur dans l’étude de notre environnement et dans la gestion de nos territoires. Tant d’un point de vue économique, que scientifique ou environnemental, il renforce le soft power d’une Europe « au service de ses citoyens », tournés vers l’avenir et la prospérité. Mais qui dit observation, dit information. Qui dit information, dit potentiel outil de puissance.
Un outil stratégique relativisé par les autorités européennes
Clairement, le programme Copernicus n’a pas été pensé pour des objectifs de défense. Il est cependant de nature duale, ne serait-ce que par l’obtention de données satellitaires sensibles. Alors que les institutions européennes assument le volet sécuritaire interne, celui propre à la sécurité internationale reste marginalisé.
Une utilisation sécuritaire assumée
La mise en place du service « sécurité » permet à ce système dual de participer à la sécurité du Vieux Continent.
Ainsi, lors de la mise en place du système en 2014, le Parlement Européen et le Conseil estimaient qu’« étant donné que certaines données Copernicus et informations Copernicus, y compris des images à haute résolution, peuvent avoir une incidence sur la sécurité de l’Union ou de ses États membres, dans des cas dûment justifiés, le Conseil devrait être habilité à adopter des mesures dans le but de gérer les risques et les menaces pour la sécurité de l’Union ou de ses États membres »[17]. On imagine facilement la nature de ces informations, comme des photos en haute définition des sites militaires. La nature duale est également reconnue par la Stratégie spatiale de l’Europe du PE, qui estime indispensable le renforcement « de la capacité à double usage de Galileo et de Copernicus »[18]. Le service « sécurité » du programme permet donc le filtrage des informations recueillies, et leur distribution aux autorités compétentes.
Le service sécurité est officiellement chargé de la prévention des crises dans trois domaines distincts : « la protection des frontières, la surveillance maritime, et le support des opérations extérieures de l’Union »[19]. A ces fins, la Commission a signé trois accords cadre avec trois agences décentralisées de l’Union : l’agence Frontex, l’Agence Européenne de Sécurité Maritime (EMSA pour European Maritime Safety Agency), et le Centre Satellitaire de l’Union Européenne (UE SatCen). L’agence Frontex, officiellement Agence Européenne de garde-frontière et de gardes-côtes, est chargée de la gestion des frontières de l’espace Schengen. Basée à Varsovie, l’agence se consacre principalement à la coordination des gardes frontières nationaux. Cette dernière et la CE ont signé un accord de coopération le 10 Novembre 2015, peu avant l’accord avec l’EMSA, daté de début décembre de la même année. L’EMSA, basée à Lisbonne, est dans le même esprit chargé de l’assistance et de la coordination des différents acteurs européens à des fins de sécurité du transit et du maintien de l’ordre maritime. Par ces accords, les différentes agences décentralisées ont un large accès aux données et informations Copernicus dans leur domaine respectifs.
Le volet « sécurité internationale » est quant à lui marginalement mis en avant, ne serait-ce que pour des préoccupations politiques internes. A l’instar du programme Galileo, l’accès à des données utile à une politique de puissance n’est que la cause du développement d’un programme pensé à des fins civiles.
Un potentiel stratégique non négligeable
Tout comme les composantes spatiales d’observation optique et radar, les infrastructures terrestre de gestion des informations de Copernicus offrent à l’Union de solides bases dans le domaine du renseignement d’origine image (ROIM). Rarement décrit comme utile à des fins de sécurité internationale, le programme Copernicus permet à l’Europe de disposer d’une source d’information autonome.
Les institutions européennes ne reconnaissent officiellement qu’à mi-mot l’importance de telles capacités. Lorsque le Parlement Européen parle d’« indépendance dans ses prises de décisions et sa capacité d’action », il fait explicitement référence aux « connaissances environnementales et aux technologies clés »[20]. Il faut chercher sur le site de l’agence spatiale française, le CNES, pour apprendre que Copernicus « permettra par exemple de contribuer au respect des traités internationaux [et] d’appuyer les opérations de maintien de la paix »[21]. Et cet élément n’est pas négligeable, puisque comme l’indique Isabelle Sourbès Verger, « l’observation de la Terre depuis l’espace bénéficie d’un avantage incontestable par rapport à l’observation aérienne ; sa légalité. Les images de satellites peuvent avoir une utilisation diplomatique dans la gestion des crises, l’épisode des missiles de Cuba ayant de ce point de vue représenté le premier exemple »[22]. Bien que les capacités européennes n’aient comme objectif de mener des opérations de renseignement, il apparaît que l’Union a à sa disposition une architecture lui permettant, le cas échéant, d’obtenir un service de renseignement militaire par le déploiement de quelques satellites supplémentaires.
Mais nous n’y sommes pas encore. A l’heure actuelle, ces informations sensibles issues de Copernicus ne servent qu’à compléter les données des services nationaux, ayant à leur disposition des informations de meilleures qualité et, surtout, une idée précise de ce qu’il cherchent. C’est pas exemple le cas de la France, qui renforcera dans la prochaine décennie ses moyens spatiaux d’observation : le système CERES pour l’observation radar, le système CSO pour l’optique[23].
SOURCES ET REFERENCES :
[1] Commission Européenne, Communiqué de presse, Budget de l’UE: un programme de 16 milliards d’euros pour stimuler le leadership spatial de l’UE après 2020. Bruxelles, le 6 juin 2018
[2] Pour plus de détails sur le programme Galileo : http://nemrod-ecds.com/?p=3367
[3] Pour plus de détails sur le programme de surveillance de l’espace : http://nemrod-ecds.com/?p=2852
[4] ESA, Copernicus, 20 ans plus tard :
https://www.esa.int/fre/ESA_in_your_country/Belgium_-_Francais/Copernicus_20_ans_plus_tard/(print)
[5] Nicolas Copernic est un astronome polonais des XV et XVIème siècle. Il défend la théorie de l’héliocentrisme, selon laquelle la Terre ne serait pas au centre de l’Univers, mais qu’elle tournerait autour du soleil.
[6] Règlement (UE) No 377/2014 du Parlement Européen et du Conseil du 3 avril 2014 établissant le programme Copernicus, respectivement art. 6, art 7 et art. 5. Téléchargeable en ligne à l’adresse suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2014.122.01.0044.01.ENG
[7] EC, ESA, The ever growing use of Copernicus across Europe’s regionss, dossier téléchargeable l’adresse suivante : chrome-extension://oemmndcbldboiebfnladdacbdfmadadm/http://esamultimedia.esa.int/docs/EarthObservation/copernicus4regions_2018.pdf
[8] Pour le descriptif complet de Sentinelle 1 : https://www.onda-dias.eu/cms/data/catalogue/sentinel-1/
[9] Op. Cit. Règlement (UE) No 377/2014, art. 2.
[10] Ibid. Considérant 22.
[11] Ibid. Considérant 41.
[12] Sites officiels des différents services, respectivement : https://emergency.copernicus.eu/, https://climate.copernicus.eu/, https://land.copernicus.eu/, http://marine.copernicus.eu/, https://atmosphere.copernicus.eu/, https://www.copernicus.eu/en/services/security.
[13] https://www.copernicus.eu/en/access-data/conventional-data-access-hubs
[14] L’accès à ces cinq DIAS sont sur lien suivant : https://www.copernicus.eu/en/access-data/dias
[15] Commission Européenne, Nereus, ESA, The ever growing use of Copernicus across Europs’s Regions, A selection of 99 user stories by local and regional authorities.
[16] Site officiel de l’Organisation : https://www.earthobservations.org/geoss.php
[17] Op. Cit. Règlement (UE) N° 377/2014, considérant 40.
[18] Résolution du Parlement européen du 12 septembre 2017 sur une stratégie spatiale pour l’Europe (2016/2325(INI), disponible au lien suivant :
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2017-0323+0+DOC+XML+V0//FR
[19] Page officielle du service sécurité : https://www.copernicus.eu/en/services/security
[20] Op. Cit. Règlement (UE) N°377/2014, art.4.1.d.
[21] Page de présentation du programme Copernicus par le CNES : https://copernicus.cnes.fr/fr
[22] SOURBES VERGER, Isabelle, « Mythes et rélité de l’espace militaire », Hermès, La Revue 2002/2 (n34), p. 169-182.
[23] Pour tous renseignements supplémentaires sur la politique spatiale de défense française, voir l’excellent dossier du DICOD, en ligne : https://www.defense.gouv.fr/web-documentaire/espace-et-defense/index.html