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Editorial – Venezuela : Humanitarian first ?
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« Le droit d’ingérence n’existe pas »
François Mitterand à son ministre de la santé et de l’action humanitaire Bernard Kouchner.

 

Par Jean Galvé

 

Il y a deux ans, l’élection de Donald J. Trump à la présidence des Etats-Unis avait été interprétée par certains commentateurs comme le triomphe en politique étrangère du puissant courant isolationniste. Le slogan « America First » devint alors le mot de ralliement de ceux qui appelaient le gouvernement américain à concentrer les moyens de l’hyper puissance sur la défense de ses intérêts immédiats.

 

Exaltation de la préférence nationale, cet isolationnisme « new age » aux racines anciennes quoique diffuses sur l’ensemble du spectre politique américain devait marquer une rupture profonde avec les deux précédentes postures résolument plus interventionnistes des Etats-Unis sur la scène internationale.

 

La guerre contre la terreur, menée par Georges W.Bush et les néoconservateurs américains, avait vu la réactivation de la doctrine traditionnelle de la guerre juste. Une guerre ne pouvait être considérée comme « juste » que si son motif est légitime, sa finalité bonne, ses moyens proportionnels, ses gains supérieurs à ses méfaits, et si elle avait été reconnue comme telle par une autorité légitime. La guerre contre le terrorisme devait permettre aux Etats-Unis de faire triompher les valeurs de la démocratie libérale face à la menace mortelle d’un islam radicalisé. À cet égard le renversement du régime de Saddam Husseïn, accusé à tort de complicité dans les attaques du 11 septembre, devait permettre, par un effet d’entrainement, le basculement de l’Iran dans le camp occidental (« regime change »). Cet édifice intellectuel, bien que fragile (absence d’autorité pouvant reconnaitre la guerre comme légitime, motif hasardeux etc.) avait pour lui la puissance du manichéisme et du traumatisme consécutif au 11 septembre.

 

La posture précédente des années 1990 de gendarme du multilatéralisme, qu’avait tenté d’incarner Bill Clinton avec – dans le cas de la Somalie – ou sans aval du Conseil de Sécurité des Nations Unies – comme ce fut le cas au Kosovo – avait été quant à elle, dans ses prémices mêmes, mise à mal par l’embourbement de « l’United Task Force », envoyée pour sécuriser l’acheminement de l’aide humanitaire dans la corne de l’Afrique. On retient l’intervention en Somalie comme l’acte de naissance de la militarisation de l’aide humanitaire : la mission « Restore Hope », forte de 40 000 soldats, avait pour mandat d’« employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie »[1] alors que sévissait l’une des plus terribles famines du XXème siècle. C’est également avec elle que naquit toute une rhétorique justifiant l’intervention de troupes étrangères sur le sol d’un Etat tiers, parmi laquelle la notion plus qu’ambiguë « d’Etat failli ». Cette dernière offre un artifice intellectuel puissant à un obstacle majeur opposé par le droit international à toute intervention extérieure. Au Kosovo précisément, les bombardements de l’OTAN contre les forces serbes, malgré l’absence d’autorisation du Conseil de Sécurité où planait la menace d’un véto russe, ont achevé de convaincre les membres permanents non-occidentaux du Conseil de Sécurité des dangers de la sémantique propre au « droit d’ingérence ».

 

L’ordre international issu de la seconde guerre mondiale consacre en effet le double principe de respect de la souveraineté internationale et d’interdiction au recours de la force dans la charte des Nations Unies. Seule une menace pour la sécurité collective et la paix mondiale peut autoriser le Conseil de Sécurité, s’il constate la défaillance de la partie concernée à se conformer aux résolutions précédemment adoptées, à prendre l’ensemble des actions qu’il juge nécessaire au rétablissement de la paix. Plus que la reconnaissance d’un droit d’ingérence automatique, lié à un impératif moral d’intervention, le recours à la force envisagé dans le Chapitre VII ne s’apparente dans les faits qu’à un large consensus des plus grandes puissances mondiales sur une situation donnée. Devant la complexité de l’obtention d’un tel consensus alors que chacun des membres permanents dispose d’un droit de véto, faire le constat de la défaillance d’un Etat, c’est nier l’exercice de sa pleine souveraineté, souveraineté dont il pourrait arguer pour dénoncer toute intervention extérieure. Les diplomaties russe et chinoise ne s’y étaient pas trompées, en dénonçant dès 1999, un risque d’instrumentalisation du motif humanitaire comme justification d’une opération de « régime change ». À cet égard l’intervention franco-américano-britannique en Libye reste pour elles un cas d’école.

 

Affirmant que les Etats-Unis ne pouvaient plus continuer à être les gendarmes du monde, et qu’ils finançaient des guerres dans des pays dont une majorité d’Américains n’a jamais entendu parler, Donald Trump a traduit dans les faits l’« America First » en amorçant le retrait du contingent US en Syrie.

 

La cohérence de la nouvelle posture américaine n’aurait pas été mise à mal s’il n’y avait eu l’affaire bolivarienne. Voici que le chantre de l’isolationnisme 2.0 se montre particulièrement concerné par l’avenir du chef de l’opposition libérale au régime autoritaire de Maduro. Après avoir lui-même considérablement renforcé le régime des sanctions internationales, tarissant la rente pétrolière d’un pays à l’économie exsangue, Donald J.Trump dénonce avec véhémence la situation humanitaire au Venezuela.

 

Si la détresse de millions de Vénézuéliens ne peut qu’interpeller la communauté internationale, si l’absence de légitimité de Maduro est patente alors que les dernières élections réellement libres ont vu la victoire de l’opposition libérale au parlement, on ne peut être qu’étonné par le glissement rhétorique opéré par Donald J.Trump.

 

L’escalade des tensions, alimentée par des déclarations chocs de part et d’autre, dessine au fil des jours la possibilité d’une intervention militaire américaine. Il est vrai que la reconnaissance par les Etats-Unis et nombre de leurs alliés du leader de l’opposition Juan Guaido comme Président du Venezuela offre le cas échéant une possibilité légale d’intervention. Apôtre de l’intervention humanitaire, ce deuxième Président a d’ores et déjà appelé Donald J.Trump à n’écarter aucune option pour permettre aux camions de vivres et de médicaments dépêchés par les Etats-Unis de franchir la frontière. Or un Etat peut tout à fait intervenir sur le territoire d’un autre Etat s’il y a été autorisé par ce dernier. L’intervention russe en Syrie était en cela en parfaite conformité avec le droit international.

 

Il reste à déterminer celui qui, en droit, reste détenteur de la souveraineté vénézuélienne. Celui, auréolé de la reconnaissance diplomatique, mais qui, pour l’heure, reste cantonné aux frontières extérieures du pays. Ou celui, honni, auquel obéit encore une majorité du pays, et en particulier les forces de sécurité ?

 

Une chose est sûre, l’affaire bolivarienne, en dehors de toute considération sur la légalité ou non d’une possible intervention américaine, marque le grand retour de l’interventionnisme américain : après America First voici revenu le temps du Humanitarian first ! Avec une fois encore le soupçon du prétexte…

 

 

Ce texte est extrait de la 49ème édition de notre newsletter, parue le 25 février 2019.

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