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Afghanistan – fin de l’opération Iron Tempest contre le trafic d’opium
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Par Simon Roche et Xavier Marié

 

 

S’agit-il d’un nouvel échec pour les Etats-Unis en Afghanistan ? Après une année d’exercice, l’opération Iron Tempest vient de se clôturer sans avoir atteint son objectif. Quel était-il ? Mettre fin à l’économie lucrative du pavot par un bombardement systématique des laboratoires de transformation et des axes d’acheminement. C’est peut-être dans le cadre de leurs pourparlers avec les Talibans que les Etats-Unis abandonnent cette opération, alors que le trafic d’opium aurait rapporté 200 millions de dollars à l’Afghanistan l’année dernière.

 

Cette opération avait cours depuis novembre 2017, alors que les Talibans mettaient en place l’un des réseaux de production les plus importants que le pays n’ait jamais connu, avec la direction de 500 laboratoires, une production record (6400 tonnes en 2018, soit le double de la production de 2001) et un financement direct de leur lutte armée puisque le trafic d’opium représenterait jusqu’à 60% des ressources financières des insurgés. Cette expansion concernait particulièrement la province de Helmand dans le sud du pays, fief de l’insurrection talibane.  Plus précisément, alors que jusqu’ici l’opium était passé en contrebande dans les Etats limitrophes pour être transformé en héroïne ou en morphine, cette transformation est de plus en plus conduite directement sur le sol afghan via la construction de laboratoires rudimentaires.

 

Les Etats-Unis ont alors mené environ 200 frappes aériennes, sans réussir à porter atteinte durablement au commerce de la drogue. L’enjeu pour le Pentagone était de réduire les flux financiers alimentant les Talibans en s’inspirant des frappes contre les opérations de contrebande de pétrole conduites par les djihadistes de Daech au Levant. Il s’agissait selon le général Nicholson, ancien commandant des forces américaines en Afghanistan, de diversifier les cibles des frappes américaines afin de déstabiliser l’organisation financière des Talibans. Ces frappes s’inscrivaient dans la stratégie de l’administration Trump pour l’Afghanistan présentée à l’été 2017 fondée sur un assouplissement des règles d’engagement et le renforcement de l’autonomisation des forces afghanes tout en intensifiant le rythme des frappes et raids contre les Talibans afin de les contraindre à rejoindre la table des négociations.

 

Selon le dernier rapport du Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR), les frappes auraient tout de même fait perdre environ 40 millions de dollars aux Talibans et environ 200 millions aux différentes parties prenantes du trafic d’opium dans le pays. Pour autant, le SIGAR souligne qu’il est difficile d’évaluer précisément l’impact financier des frappes en raison de l’absence de vérifications au sol. Le Pentagone estime également que les frappes auraient déstabilisé les Talibans et les auraient obligés à revoir leurs tactiques et procédures.

 

Cette opération se solde donc par un bilan très mitigé pour la puissance américaine, alors qu’elle aurait investi dans la lutte contre le narcotrafic près de neuf milliards de dollars en vingt ans et que l’Afghanistan représente 85% de la production mondiale, autrement dit un enjeu prioritaire dans cette lutte.

 

En particulier, la disproportion entre le coût et la complexité des moyens employés dans l’opération et les résultats produits a été mis en exergue, notamment par la Secrétaire à l’Air Force Heather Wilson qui a estimé qu’il n’était pas adéquat d’utiliser des chasseurs furtifs F-22 Raptor pour détruire des installations de fabrication très rudimentaires, peu coûteuses et aisément reproductibles une fois détruites. En effet, le coût à l’heure de vol d’un F-22 est évalué à 35 000 dollars tandis que selon David Mansfield de la London School of Economics, la production de 50 tonneaux d’opium résulterait en un gain de 200 000 dollars, dont environ 3000 dollars iraient aux Talibans sous forme de taxe.

 

Malgré la fin de l’opération, les Etats-Unis entendent poursuivre la lutte contre le narcotrafic en Afghanistan via d’autres programmes conduits par le gouvernement afghan, même si ces perspectives demeurent pour l’instant bien floues, suscitant l’inquiétude du SIGAR quant à la détermination de la communauté internationale et du gouvernement afghan à mettre un coût d’arrêt à ce trafic qui déstabilise la région et, en alimentant financièrement les Talibans, participe à la perpétuation du conflit afghan.

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