Deux élus démocrates importants ont présenté mercredi une proposition de loi visant à garantir que les États-Unis n’utiliseraient pas d’armes nucléaires en premier en cas de guerre atomique. Le président du Comité des forces armées de la Chambre, Adam Smith, et la sénatrice Elizabeth Warren, membre du Comité des forces armées du Sénat et candidate à la présidence de 2020, défendent ainsi l’idée que l’arme nucléaire doit être cantonnée à un rôle de dissuasion. Dans ce cadre légal, toute action offensive devrait dès lors être abandonnée. L’enjeu serait de réduire les risques d’erreur de calcul en matière nucléaire, tout en faisant regagner aux Etats-Unis une part de leur autorité morale, largement entamée avec la guerre en Irak de 2003.
Les critiques n’ont pas manqué de fuser : il a été reproché aux deux élus un irénisme coupable, qui, en voulant rompre avec le principe d’ambiguïté calculée, socle de la stratégie américaine de dissuasion, mettrait Washington en position de faiblesse par rapport aux Etats-puissance comme la Russie ou la Chine. Cette proposition a donc peu de chances d’aboutir.
Elle s’inscrit dans le cadre de la réflexion stratégique autour du concept de « no first use ». Cette doctrine est née de la Guerre Froide dans le cadre particulier du duel bipolaire, et constitue la conclusion de modèles construits par les stratèges américains. Elle renvoie à la vision schématique d’un duel entre les deux superpuissances dont aucune n’a intérêt à une montée aux extrêmes qui, dans ce cas précis, se traduirait par un affrontement nucléaire. Ainsi, il existe entre les deux puissances un accord tacite, celui du « no first use », qui s’accompagne de la conviction d’une « mutual assured destruction » (MAD).
Cette doctrine du « no first use », qui se veut partagée, implique donc une nécessaire invulnérabilité des forces nucléaires : chacune des puissances ne doit être tentée de détruire, par une attaque dite éclair (correspondant à une frappe en premier), les forces nucléaires adverses. Autrement dit, la doctrine du « no first use » renvoie au concept d’équilibre de la terreur. Cependant, cette évacuation de la guerre nucléaire réhabilite les violences et les crises à un niveau moindre, au niveau des guerres dites classiques ou limitées. C’est l’enseignement de la Guerre Froide.
Or, si cette doctrine est propre au contexte du 20ème siècle, a-t-elle encore un sens de nos jours ? En réalité, la doctrine du « no first use » résulte avant tout de concepts et de schémas de pensée, dont il convient de réinterroger la pertinence dans le contexte stratégique contemporain. Tout autant que durant la Guerre Froide, il ne paraît pas souhaitable de conditionner le recours à une arme, abstraction faite de son contexte d’utilisation. En particulier dans le cadre de la dissuasion, il importe à tout moment dépasser les modèles abstraits et se demander qui dissuader, de quoi et par quels moyens ?