Et si l’Iran était le principal vainqueur de la guerre d’Irak engagée en 2003 ?
C’est en tout cas la thèse que défend un rapport officiel très conséquent publié cette semaine par l’armée américaine. Bien que l’étude ait été terminée dès 2016, sa publication avait été retardée, sans doute par crainte de donner lieu à une sorte de « déballage public » pouvant tourner au règlement de compte politique. Ses rédacteurs, le colonel Joe Rayburn et le colonel Frank Sobchak, tous deux à la retraite, ont patiemment établi un vaste bilan de l’effort de guerre déployé par la coalition, sans faire l’impasse sur les difficultés auxquelles cette dernière été confrontée.
La somme publiée en deux volumes, forte de près de 1 300 pages, et se fondant sur l’analyse de plus de 1 000 documents déclassifiés, couvre l’invasion de 2003, le retrait américain, la montée de Daech et enfin l’influence de la Syrie et de l’Iran dans le « Grand jeu » régional.
Plusieurs conclusions sont mises en avant : en premier lieu, la guerre en Irak pourrait être l’un des conflits les plus importants de l’histoire militaire et politique américaine, dans la mesure où elle a brisé une vieille tradition d’opposition aux guerres préventives. La fin de ce « tabou » a été paradoxalement accompagnée d’un rejet par l’opinion de l’interventionnisme à marche forcée, dès lors qu’il aboutit à des formes d’enlisement dramatiques sur un plan humain, contre-productives sur le plan stratégique, et par trop couteuses sur le plan matériel.
Un des travers bien connus de la culture stratégique américaine est également pointé du doigt : les avantages technologiques ne sauraient à eux seuls gagner la guerre, et il serait largement préjudiciable de continuer à ignorer la contingence liée à toute opération armée, laquelle est indissociable du facteur humain, intégrant au premier chef la détermination de l’ennemi à se battre.
La coalition a aussi payé le prix fort de son intervention, par manque de compréhension des logiques internes à la politique irakienne et des rivalités tribales et claniques qui en réglaient le fonctionnement. Cependant, prenant le contre-pied des détracteurs de la première heure du conflit, qui voyaient uniquement dans la guerre contre Saddam Hussein une immense aberration, les rédacteurs affirment au contraire qu’il y aurait tout à perdre à jeter avec l’eau du bain les cruelles leçons apprises en matière de contre-insurrection au cours de presque dix années de présence sur le sol irakien.
Aussi l’étude ne se concentre-telle pas uniquement sur les échecs de l’armée face à l’évolution de la nature de la guerre. L’heure est à une réflexion sur les nouvelles modalités d’affrontement : il semble désormais crucial de développer des doctrines d’action hybride, mêlant aux forces conventionnelles des moyens indirects de combat, que ce soit face à des adversaires étatiques ou non-étatiques.