Par Clémence Cassé, Xavier Marié et Thomas Péan
Mercredi 23 janvier, Juan Guaido, président de l’Assemblée vénézuélienne et chef de l’opposition à Nicolás Maduro, s’est autoproclamé président du pays. Quelques minutes plus tard et dans ce qui pourrait bien être une manœuvre concertée, Donald Trump a reconnu le député de 35 ans comme président par intérim. Le président américain a décrit la présidence de Maduro comme « illégitime » et présenté sa reconnaissance de Guaido comme un soutien à la population vénézuélienne dans sa demande de liberté et d’état de droit. Il a ajouté que Maduro pourrait être soumis à de nouvelles sanctions et que toutes les options étaient sur la table même si pour l’instant, une action militaire américaine n’était pas envisagée. Abondant dans ce sens au cours d’une réunion spéciale du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a fortement critiqué le régime de Nicolás Maduro, le qualifiant « d’Etat mafieux illégitime » et l’accusant d’être responsable de l’effondrement économique du pays.
Si l’Uruguay et le Mexique tentent de se poser en médiateurs, le Canada et de nombreux Etats, régionaux ou non, ont également reconnu Juan Guaido comme président par intérim (l’Argentine, les Bahamas, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, l’Equateur, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Panama, le Paraguay, le Pérou et la République Dominicaine mais aussi la Géorgie) tandis que l’Union Européenne appelle à de nouvelles élections. La France, l’Allemagne et l’Espagne ont lancé un ultimatum en vue de la tenue d’élections sous huit jours, à l’issue duquel elles reconnaîtront la légitimité de Juan Guaido.
En réponse, Nicolás Maduro a rompu les relations diplomatiques avec les États-Unis et a donné 72 heures aux diplomates américains pour quitter le Venezuela. Cependant, les Américains ne reconnaissent plus la légitimité de sa présidence : les personnels considérés comme « non-essentiels » ont donc été rappelés pour des questions de sécurité et les ressortissants américains invités à rentrer aux États-Unis mais l’ambassade américaine à Caracas devrait rester ouverte. L’ambassade vénézuélienne à Washington a été fermée.
Maduro a retiré sa demande aux diplomates américains de quitter le pays samedi 26 janvier : le ministre des Affaires Étrangères vénézuélien, Jorge Arreaza a déclaré que les deux pays avaient trouvé un accord. Les Etats-Unis et le Venezuela devraient maintenir leurs personnels diplomatiques dans leurs ambassades respectives durant 30 jours au cours desquels prendront place les négociations visant à réduire les tensions bilatérales.
Un acteur dont le rôle est particulièrement à suivre dans le déroulement et le dénouement incertain de cette crise est l’armée vénézuélienne. Si le haut commandement a réitéré son soutien au président Maduro, notamment via un discours du ministre de la Défense Vladimir Padrino López, le gros des forces souffre des conditions de vie dégradées, à l’instar du reste de la population. De fait, lundi 21 janvier, une mutinerie a eu lieu dans la caserne de Cotiza, quartier populaire du cœur de la capitale, appelant à ne plus reconnaître la légitimité de Nicolas Maduro et suscitant une vive mobilisation de la population malgré la répression rapide conduite par les forces de l’ordre.
De manière plus significative, le colonel José Luis Silva, attaché militaire vénézuélien à Washington, a déclaré ne plus reconnaître Nicolas Maduro comme chef d’Etat légitime et a exhorté ses « frères militaires » à reconnaitre la légitimité de Juan Guaido. Il a également annoncé avoir échangé avec ses supérieurs à Caracas pour les avertir de sa décision. Il se serait enfin entretenu avec Juan Guaido pour lui témoigner son soutien.
De son côté, la Russie a lancé jeudi un avertissement aux États-Unis quant à une éventuelle intervention militaire. Dans le cas d’une intervention américaine, la Russie, soutien majeur du régime de Maduro, protégera la souveraineté vénézuélienne et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures, a déclaré Sergei Ryabkov, l’adjoint au ministre des Affaires Étrangères russe, dans un entretien à un journal russe. Il convient de rappeler que la Russie fournit un soutien militaire à Maduro et que deux bombardiers stratégiques russes à capacité nucléaire Tu-160 « Blackjack » avaient ainsi été déployés quelques jours au Venezuela en décembre dernier. De plus, des mercenaires russes auraient été envoyés à Caracas le 22 janvier, soit la veille de l’auto-proclamation de Juan Guaido, afin de protéger Maduro d’un éventuel complot militaire. Ryabkov a ajouté qu’une intervention américaine déstabiliserait le modèle de développement en place en Amérique latine.
Néanmoins, pour l’instant, Donald Trump a promis d’utiliser tout l’arsenal économique et diplomatique américain pour la restauration de la démocratie dans le pays sans envisager de solution militaire.
La Chine, qui soutient aussi Maduro (tout comme Cuba, la Turquie, le Nicaragua et la Bolivie), a demandé aux Etats-Unis de demeurer hors de la crise politique vénézuélienne et s’oppose également à toute intervention dans celle-ci. Ces dix dernières années, la Chine comme la Russie ont prêté des milliards de dollars au Venezuela (soutien aux secteurs minier et pétrolier notamment), et lui ont fourni des équipements militaires (avions de combat SU-30 et véhicules terrestres, en particulier les véhicules blindés VN-4 utilisés durant la répression des manifestations).