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Le S-400 Triumph : outil de suprématie militaire et diplomatique au service des intérêts russes
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Le S-400 Triumph : outil de suprématie militaire et diplomatique au service des intérêts russes

Par Naël Madi

 

 

Deux choix stratégiques ont précipité la chute de l’URSS : la guerre des étoiles face aux Etats-Unis et l’intervention en Afghanistan (1979-1988). Contrainte par ses finances publiques à abandonner sa course aux armements, la Russie ressuscitée a délaissé ses programmes spatial et aérien – avions furtifs – au profit d’investissements dans les systèmes de défense antiaériens. Ainsi dès les années 1990, Moscou a lancé de vastes chantiers pour la production de systèmes de missiles sol-air capables de neutraliser les capacités aériennes et balistiques ennemies grâce à des capteurs plus puissants, des lanceurs terrestres performants et des missiles modernes.

 

Le S-400 Triumph est l’emblème de cette stratégie militaire. Porté comme symbole national, il assure la protection de l’ensemble du territoire russe et celle de certains alliés de Moscou, notamment en Syrie. Il représente en 2018 15% des exportations d’armes russes dans le monde. Décrit par de nombreux experts comme le système de défense antiaérien le plus moderne et le plus puissant au monde[1], le S-400 neutralise la suprématie aérienne et balistique de l’OTAN ou d’Israël, redistribuant les cartes de l’hegemon militaire.

 

Le S-400 Triumph, système de missile sol-air (SAM) ultraperformant

 

Le S-400 Triumph a commencé à être développé dans les années 1990 et un premier test d’interception de missile eut lieu en 1999. Produit par la firme d’Etat Almaz-Antey, il est officiellement déployé au sein de l’armée russe le 28 avril 2007 et engagé pour la première fois au combat en août de la même année.

 

L’avantage stratégique du S-400 provient de sa capacité à atteindre l’ensemble des cibles aériennes comprises dans un rayon de 400 kilomètres[2]. Déployé en moins de cinq minutes, il peut atteindre l’ensemble des cibles aériennes adversaires, allant des missiles balistiques et de croisière de type Tomahawk aux bombardiers stratégiques[3]. Cette portée de tir lui offre aussi la possibilité de détruire les avions de commandement et de détection à longue distance de type AWACS, neutralisant ainsi les capacités de reconnaissance et de coordination adverses. Le S-400 Triumph possède par ailleurs un système de radar et un logiciel perfectionnés lui permettant d’engager 36 cibles simultanément. Enfin, ce Système de missile sol-air est capable d’atteindre des cibles allant à une vitesse de 4 800 mètres/seconde, un record ; en comparaison le système américain THAAD ne peut atteindre de vecteur excédant 2 800 mètres/seconde.

 

Le S-400 Triumph est organisé en un régiment divisé en deux bataillons constitués chacun de deux batteries. Chacune de ces batteries peut comporter au maximum 12 véhicules-lanceurs; en pratique, chaque batterie en intègre huit. Chaque véhicule de lancement est à son tour pourvu de quatre lance-missiles.

 

Les batteries comprennent en outre un système radar, un poste de commandement et un radar supplémentaire gérant la conduite de tir. Grâce à l’amélioration de la détection des cibles et un déploiement très rapide, le S-400 Triumph serait capable d’ouvrir le feu deux fois plus vite que son prédécesseur le S-300.

 

Une suprématie assurée par une grande diversité de missiles.

 

Le S-400 Triumph surpasse le Système de Missiles Sol-Air (SAM) Patriot américain par la grande diversité de missiles qu’il peut mettre en œuvre. En effet, le SAM Patriot ne peut tirer qu’un seul type de missile à une distance de 96 kilomètres maximum, là où le S-400 Triumph est capable de tirer quatre types de missiles différents de portée allant de 40 à 400 kilomètres :

 

9M96E à 40 kilomètres

9M96E2 à 120 kilomètres

48N6 à 250 kilomètres

40N6 à 400 kilomètres

 

Le missile 9M96E[4] représente une avancée technologique considérable, étant le missile le plus rapide du système S-400 Triumph; capable d’atteindre une vitesse de près de 5 000 mètres par seconde, il est capable de répondre à une menace adversaire imminente dans un temps très court. Il peut évoluer à 5 mètres du sol et suivre la trajectoire de sa cible grâce à un guidage laser. Il est donc d’abord destiné à la destruction de missiles d’un niveau technologique avancé dont le MdCN français[5]. Il serait aussi capable de détecter et d’abattre l’avion furtif F-35 américain.

 

Par ailleurs, le missile de très longue portée 40N6, produit par MMZ Avangard est entré en service en octobre dernier. Il est capable d’atteindre une cible dans un rayon de 400 kilomètres à une vitesse de 1 190 mètres par seconde et à une altitude comprise entre 10 et 30 kilomètres. Equipé d’un radar, le missile 40N6 en régime automatique est capable de s’autoguider vers une cible non-visible en haute altitude pour les radars terrestres. Il vise en priorité la destruction des avions radar et de détection à longue distance.

 

Le déploiement des S-400 Triumph

 

L’armée russe dispose de 39 bataillons divisés en 19 régiments de S-400 Triumph protégeant l’entièreté de son territoire. Cette force devrait être portée à 56 bataillons en 2020[6]. Quatre de ces bataillons sont installés en Crimée à Yevpatoria, Feodassia, Sébastopol et Djankoï[7].

 

Le tropisme pour le S-400 Triumph a dépassé les frontières russes et attire de nombreux gouvernements étrangers ralliant la stratégie de défense russe, malgré les contraintes d’insertion de ce SAM dans les systèmes antimissiles qui nécessitent un fort rapprochement technologique. La Syrie a connu le premier déploiement étranger du S-400 Triumph en 2015 afin de protéger les intérêts de la Russie à Tartous puis sur leur base militaire de Hmeimim dans l’ouest du pays[8][9]. Ce déploiement de batteries anti-aériennes en Syrie, capables d’abattre des avions décollant de l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, représente un frein aux interventions israéliennes en Syrie. En effet, depuis le début du conflit, Tsahal bombarde régulièrement les milices chiites pour prévenir tout transfert de technologie balistique vers le Hezbollah et empêcher une installation iranienne à long-terme. Pour l’heure, seuls les Russes contrôlent les batteries S-400 en Syrie ; ils assurent Israël qu’elles ne serviront pas à intercepter leurs F-16 ou F-35 tant que ceux-ci ne frappent pas des éléments russes ou des entités stratégiques du pouvoir syrien. Cependant, le 17 septembre 2018, la destruction par erreur d’un Illiouchine-20 russe par une batterie S-300 syrienne suite à une incursion de F-16 israéliens a remis en cause cet équilibre fragile. En mesure de rétorsion, Moscou envisage de renforcer la défense anti-aérienne syrienne et d’en transférer une partie du contrôle à Damas. Ceci aurait pour conséquence immédiate de réduire, ou du moins de rendre plus vulnérables les capacités d’intervention israéliennes, jugées stratégiques par Benjamin Netanyahu[10].

 

La Chine a signé un accord d’acquisition en 2015 portant sur six bataillons de SAM S-400 Triumph pour un total de 3 milliards de dollars. Les premières batteries ont été livrées en janvier dernier. Dans le cadre des tensions en mer de Chine, le système russe lui permet de couvrir l’ensemble du détroit de Taïwan. Les Etats-Unis ont répondu à cette acquisition par l’instauration de sanctions contre l’agence « Equipment Development Department » du ministère de la Défense chinois. Elles sont fondées sur le CAATSA, législation offrant aux autorités américaines la possibilité de sanctionner le commerce avec les entreprises russes d’armement depuis 2014.

 

L’Inde, puissance du seuil, connaît depuis dix ans une militarisation à marche forcée du fait de la double menace à ses frontières exercée par la Chine et le Pakistan. En octobre 2018, l’Inde a approuvé l’achat de cinq régiments de S-400 Triumph pour une valeur de 5,5 milliards de dollars. Les premiers devraient lui être livrés en 2020. Cette décision a provoqué l’ire des Etats-Unis, qui renforcent depuis plusieurs années leur coopération militaire avec Delhi pour contrebalancer le développement de la puissance chinoise. A cet égard, ils ont signé un accord dit COMCASA permettant à l’Inde d’accéder aux réseaux sécurisés d’information des avions de l’US Air Force. Ainsi les sanctions du CAATSA pourraient s’appliquer contre l’Inde. Cependant, telle ne semble pas être la volonté de Washington ; la loi de financement du Pentagone de 2019 prévoit en effet des exemptions à ces sanctions, dont devraient profiter Delhi au nom de son importance stratégique face à Pékin.

 

La cas de la Turquie cristallise les tensions diplomatiques. La Turquie, membre de l’OTAN, s’est, à la faveur du conflit syrien, très fortement rapprochée de Moscou depuis l’été 2016. Ankara a signé en 2017 un accord d’achat de quatre bataillons de S-400 Triumph à la Russie pour un montant de 2,1 milliards – dont elle ne devrait payer que la moitié. Les premières batteries lui seront livrées à l’été 2019[11]. L’efficience de ce système est remise en cause, dans la mesure où il ne serait pas autorisé à s’intégrer au système de l’OTAN et serait en quelque sorte coupé de la cohésion stratégique turque. Les Etats-Unis font lourdement pression sur Ankara pour qu’elle revienne sur cet achat au profit du système Patriot américain – SAM de moyenne-portée – et menacent de ne pas livrer les F-35A commandés par la Turquie. Le retrait des forces américaines de Syrie annoncé cette semaine pourrait se fondre dans les tractations entre Washington et Ankara pour conserver cette dernière dans le giron de l’OTAN et des Etats-Unis. Le président turc, libre désormais de pouvoir attaquer les Kurdes syriens et de reprendre la ville de Manbij, devrait accepter l’achat des systèmes Patriot autorisé par Washington en décembre 2018 pour un montant de 3,5 milliards de dollars. Ankara n’a pas encore accepté cette offre mais a déjà prévenu qu’un éventuel achat du Patriot ne remettrait pas en cause l’acquisition des S-400 russes, ces deux systèmes n’étant pas considérés « comme une alternative à l’autre » selon Ibrahim Kalin, porte-parole de la présidence turque[12].. Si l’achat du système antimissile Patriot était confirmé par Ankara, il démontrerait l’incapacité millénaire de la Sublime porte à se fondre dans un système d’alliances clair au risque d’un manque de cohérence stratégique. D’autre part, le rapprochement avec les Etats-Unis pourrait préparer un divorce avec la Russie sur la question syrienne où les volontés politiques entre Ankara et Damas entrent en opposition directe. En effet, le déploiement de l’armée loyaliste syrienne aux alentours de Manbij, avec l’accord de Moscou, met à mal le projet militaire turc de chasser les YPG du nord syrien.

 

Le S-400 Triumph offre donc aux forces armées russes un avantage défensif stratégique, compensant son déséquilibre militaire aérien, naval et spatial face à l’OTAN. Il permet aussi à la Russie de renforcer son influence dans le monde, en se posant comme un partenaire fiable et comme une alternative aux Etats-Unis. L’armée russe entend continuer à profiter de cette avance technologique. La nouvelle génération de Système de missile Sol-Air a été lancée dans les années 2000. Nommé le S-500 Prométhée, ce nouveau système lance-missile disposera d’un même rayon d’action de 400 kilomètres mais, surtout, sera capable d’intercepter des cibles dans le proche cosmos – plus de 100 kilomètres d’altitude – aujourd’hui inatteignable[13]. Un premier essai réussi a eu lieu cette année au Kazakhstan et les premiers systèmes devraient être livrés à l’armée russe en 2020 pour une pleine utilisation prévue en 2027. Le S-500 Prométhée résonne comme la revanche russe à la guerre des étoiles de Ronald Reagan.

 

 

Sources: 

[1] http://premium.lefigaro.fr/international/2018/10/14/01003-20181014ARTFIG00124-comment-le-s-400-est-il-devenu-l-arme-diplomatique-de-poutine.php

[2] https://www.armyrecognition.com/russia_russian_missile_system_vehicle_uk/s-400_triumf_sa-21_growler_missile_russia_air_defense_system.html

[3] https://thediplomat.com/2018/10/new-long-range-missile-for-russias-s-400-air-defense-system-accepted-into-service/

[4] http://www.deagel.com/Defensive-Weapons/9M96_a000991001.aspx

[5] https://nemrod-ecds.com/?p=1618

[6] https://thediplomat.com/2018/07/russias-military-receives-additional-new-s-400-long-range-air-defense-regiment/

[7] http://tass.com/defense/1033358?fbclid=IwAR2cpoI4goVFGP5htlGhnApBrYw2jb_juo0q7en20Y_-ooZvvD3yYMhoBiI

[8] https://iswresearch.blogspot.com/2018/11/russia-expands-its-air-defense-network.html

[9] https://www.imagesatintl.com/new-syrian-s-300-deployment-near-masyaf/

[10] https://www.timesofisrael.com/israels-air-superiority-in-syria-clouded-by-russian-s-400/

[11]https://www.armyrecognition.com/october_2018_global_defense_security_army_news_industry/turkey_to_begin_deployment_of_s-400_air_defense_systems_in_2019.html

[12] https://www.atlantico.fr/node/3562171

[13] https://www.armyrecognition.com/russia_russian_missile_system_vehicle_uk/s-500_prometheus_55r6m_triumfator-m_air_defense_missile_data_pictures_video.html

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