Par Thomas Péan
Traditionnellement, les régions latino-américaines, comprises entre le Rio Grande et la Terre de Feu, sont considérées comme dépendantes des influences européenne et nord-américaine. Anciennes colonies ibériques, elles furent sous influence étrangère y compris après l’indépendance. La présence économique et militaire du Royaume-Uni, de l’Allemagne (missions militaires au Chili) et de la France fut ainsi une donnée majeure des relations entre l’Amérique Latine et l’extérieur. Plus récemment et de façon prépondérante, la puissance nord-américaine a considéré l’aire latino-américaine, comme relevant de sa sphère d’influence en vertu de la Doctrine Monroe (1823) et de la théorie de l’arrière-cour. Les interventions unilatérales américaines au XXe siècle furent nombreuses : Mexique, Caraïbes, Amérique Centrale, Pays Andins, Cône Sud, Brésil.
Cette réalité est pourtant en train d’évoluer. L’essor plurisectoriel de la Chine en Asie et dans le monde est un phénomène majeur depuis les dernières décennies du XXe siècle. Elle a ainsi bouleversé l’ordre occidental dominé par les Européens et les Etats-Unis. Cette nouvelle situation se retrouve également dans l’ancienne « arrière-cour » latino-américaine où l’influence chinoise est chaque jour plus visible. Dans le cadre de l’actuelle crise vénézuélienne, la place de la Chine est toute particulière. Le régime chaviste partage avec la Chine de Xi Jinping les principes communistes, du moins officiellement. Face à la diplomatie occidentale, les deux Etats partagent une ligne politique qui peut avoir des implications bien réelles, y compris une coopération stratégique. Ainsi, un navire-hôpital chinois a récemment fait escale sur les côtes vénézuéliennes pour aider la population. Ce bâtiment fait directement pièce au déploiement concomitant par les Etats-Unis d’un navire hôpital (USNS Comfort).
A travers des convergences idéologiques et géopolitiques, Caracas et Pékin sont donc actuellement en voie de rapprochement, ce qui est susceptible de provoquer l’ire des Etats-Unis. Au-delà des relations sino-vénézuéliennes, la Chine ambitionne à l’heure actuelle de s’étendre dans le reste de l’Amérique Latine. En 2018, de nombreuses coopérations militaires et stratégiques ont été mises en place entre la Chine et plusieurs Etats dont le Costa Rica, Cuba, l’Équateur, la Guyana, le San Salvador, la Bolivie. Ces coopérations comprennent des contrats d’armement, des modernisations, des échanges stratégiques, des formations de personnel. Tous ces éléments tendent à favoriser la présence stratégique et géopolitique de la Chine dans la région au grand dam de Washington. Notons également que la Force Aérienne Équatorienne est aujourd’hui équipée en matériel chinois. Dans le cadre du présent G20 en Argentine, à Buenos Aires, le dirigeant chinois Xi Jinping a renforcé les liens entre, d’une part, son pays, et d’autre part, avec l’Argentine et le Panama où il s’est rendu ensuite. Cet événement international a été une nouvelle occasion pour la Chine de manifester son leadership dans le monde y compris en Amérique Latine où elle multiplie les actions en sa faveur.
En 2018, nous assistons donc à une confrontation indirecte entre l’influence traditionnelle des Etats-Unis et une autre, récente mais croissante, venue de Chine. Cette nouvelle concurrence se manifeste dans les domaines politique, diplomatique, stratégique, militaire, aérospatial voire dans la cyberdéfense et le renseignement. Si la Chine semble en train de devenir prépondérante, d’autres nations étrangères se manifestent. Des puissances comme la Russie, la Turquie ou Israël (Guatemala) se rapprochent des pays latino-américains aux dépens du voisin nord-américain. Par conséquent, au moment où un nouveau commandant de la zone Sud a été désigné, l’avenir de l’influence nord-américaine en Amérique latine pourrait bien être marqué par sa remise en cause croissante en raison du dynamisme et du volontarisme croissants de l’influence chinoise.