Par Clémence Cassé,
Les Talibans ont confirmé que Mullah Abdul Manan Akhund (Manan), gouverneur officieux et commandant militaire des Talibans pour la province d’Helmand, avait été tué dans une frappe aérienne américaine dans le sud de la province dans la nuit de samedi 1er à dimanche 2 décembre de même que ses deux gardes du corps Hafiz Rashid et Mullah Jawid. Manan était responsable des succès talibans dans cette province où tous les districts sont aujourd’hui contrôlés ou contestés par le groupe. La frappe a été confirmée par l’armée américaine.
La mort de Manan prend place moins d’un mois après que le Terrorist Financing Targeting Center l’a désigné comme l’un des six commandants talibans travaillant avec l’Iran pour déstabiliser et saper le gouvernement afghan. Il travaillait avec le corps des Gardiens de la révolution islamique depuis 2007 et avait ainsi supervisé la logistique des transferts d’aide létale des Gardiens aux Talibans. La province d’Helmand qu’il dirigeait officieusement a été le point d’attention des Américains entre 2009 et 2013. Depuis 2014, les Talibans se sont battus pour finalement contrôler sept des quatorze districts et contester les sept autres. Les Talibans ont démontré une capacité certaine à remplacer leurs commandants après leur mort (de vieillesse ou au combat) et ainsi, la mort de Manan pourrait ne pas leur poser beaucoup de problèmes.
Plus largement, selon des statistiques de l’US Air Force , les États-Unis ont tiré plus de bombes et autres munitions en Afghanistan pendant les dix premiers mois de 2018 qu’au cours de n’importe quelle autre année depuis 2006, c’est-à-dire depuis que ces nombres (de bombes, missiles, obus) sont documentés de manière régulière. En 2018, les États-Unis ont jusqu’en octobre tiré 5 982 munitions en Afghanistan ; les avions de la coalition ont effectué près de 6 600 sorties et 12% ont conduit des frappes. Le dernier record était détenu par l’année 2011 et ses 5 400 tirs alors que le déploiement terrestre avait atteint un maximum.
Cette campagne de bombardements intensifiés fait partie de la stratégie de l’administration Trump pour pousser les Talibans à négocier: les bombes visaient les Talibans et d’autres combattants insurgés mais aussi des positions et des routes utilisées par ces derniers. Cependant, le gouvernement afghan n’a pas pu gagner du terrain sur les insurgés et les Talibans détiennent aujourd’hui plus de territoire qu’ils n’en avaient au début de la guerre en 2001. De plus, selon les Nations Unies, les bombardements ont causé un nombre record de victimes civiles -313 morts et 336 blessés, en augmentation de 39% par rapport à l’année dernière- la moitié étant attribuées aux États-Unis. Néanmoins, l’appui aérien américain et afghan dans cette guerre menée au sol semble confiner les insurgés aux zones rurales et les tenir éloignés des centres très peuplés.
Les États-Unis et les Talibans ont discuté cette année. Les deux parties ont expliqué vouloir continuer le dialogue mais les Talibans n’ont pas donné de signes assez sérieux de leur volonté de mettre fin à l’insurrection aux yeux du gouvernement afghan. Pour certains représentants afghans, l’augmentation des bombardements américains n’a pas poussé les Talibans à rejoindre les pourparlers préliminaires, discussions auxquelles ils participent régulièrement avec le gouvernement depuis 2011.
De son côté, samedi dernier, James Mattis a déclaré se concentrer sur la recherche d’une manière de mettre fin à la guerre en Afghanistan mais sans que cela n’implique pour l’instant un retrait des forces américaines. La veille, le président Trump a d’ailleurs renouvelé son soutien à la présence militaire américaine dans le pays, présence qui entre dans sa 18e année. Ce sont 16 000 soldats qui sont aujourd’hui déployés en Afghanistan pour des missions de formation et de contre-terrorisme et 2 400 sont morts depuis 2001 dont 13 en 2018. Pour Mattis, un retrait américain dans le pays mènerait à des attaques contre les États-Unis en raison de la présence de nombreux groupes terroristes dans la région. C’est pour cela qu’il a salué la décision de l’administration d’augmenter le nombre de troupes déployées dans la région l’année dernière alors que « pour la première fois en 17 ans, l’ONU croit qu’il y a un espoir de paix ». Il a également déclaré que le Département à la Défense ferait de son mieux pour mener à une résolution politique du conflit car elle représente la voie la plus réaliste. Il a tout de même critiqué les positions talibanes pour cette réconciliation tout en insistant sur le fait qu’elle ne pouvait pas être crée par le seul effort américain mais nécessiterait à la fois une aide régionale et une aide de l’ONU.
En termes de stratégie régionale, l’administration Trump aurait recherché cette semaine l’aide pakistanaise pour faciliter des négociations de paix. Aucun signe de progrès n’est à noter du côté des négociations mais cette demande au Pakistan pourrait suggérer que les relations entre les deux états, alliés depuis longtemps dans le domaine de la sécurité (non sans ambiguïtés et de nombreux revirements), seraient en train de se réchauffer. Le premier ministre pakistanais Imran Khan a rencontré mercredi le représentant spécial américain pour le processus de paix en Afghanistan Zalmay Khalilzad dans la capitale pakistanaise. Aucune déclaration officielle n’a mentionné la requête américaine pour que le Pakistan use de son influence auprès des Talibans pour les emmener à la table des négociations. Mais les États-Unis n’ont pas fait de déclaration publique au sujet de la rencontre et la déclaration pakistanaise est restée très vague. Le président Trump a adressé une lettre la semaine dernière au premier ministre Khan pour solliciter son aide dans l’arrangement de négociations de paix. Il y a aussi de nombreux rapports selon lesquels une délégation de quatre représentants talibans du bureau taliban au Qatar s’était rendue à Islamabad quelques jours avant la rencontre américano-pakistanaise pour tenir des réunions. Des médias pakistanais ont rapportés que cette visite était probablement un effort de coordination des leaders insurgés, dont beaucoup sont vraisemblablement basés au Pakistan, pour des réunions futures avec Khalilzad qui devrait se rendre au Qatar en ce mois de décembre.