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Nouvelle-Calédonie – Les enjeux du référendum du 4 novembre 2018
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Par Margaux Martin-Péridier

 

« Le retour à la tradition est un mythe. Aucun peuple ne l’a jamais vécu. La recherche d’identité, le modèle, pour moi, il est devant soi, jamais en arrière. C’est une reformulation permanente. L’identité elle est devant nous ». 

Jean Marie Tjibaou.

                              

 

 

Quelque dix-sept mille kilomètres la séparent de la métropole. La distance qui sépare la ville de San-Francisco de celle de Maputo. Pourtant, ce territoire insulaire, peuplé de plus de 280 000 habitants, regroupant 27 ethnies différentes et où s’accordent plus que ne s’étouffent les 29 langues qui y résonnent, est bien français.

 

Après 165 années d’histoire commune entre la France et la Nouvelle-Calédonie, cette terre lointaine pourrait redevenir indépendante à l’issue du référendum du 4 novembre.

 

Tout part des événements de 1988, et l’« après » se complique. La prise d’otage à Ouvéa, qui avait en 1988 porté dans le pays son cortège de divisions, demeure aujourd’hui l’événement qui structure la politique néo-calédonienne depuis maintenant trente ans. A la suite de ces « événements », au cours desquels deux gendarmes et dix-neuf Kanak avaient trouvé la mort, l’Accord de Matignon apaisa les tensions.

 

Trois hommes portèrent alors les valeurs de cette île, trois figures emblématiques de cette relation franco-calédonienne. Jacques Lafleur, à la tête de la délégation anti-indépendantiste et Jean-Marie Tjibaou, représentant du parti indépendantiste, travaillèrent aux côtés de Michel Rocard, représentant du gouvernement français. Un statut transitoire pour la Nouvelle-Calédonie, initialement fixé pour une durée de 1 à 6 ans, émergea de ces débats. Le 6 novembre 1988, l’ensemble des français – métropole comprise – approuva cet accord par référendum à 80%. Toutefois, la négociation n’avait pas soigné les plaies du territoire : Jean Marie Tjibaou fut assassiné l’année suivante.

                                                                                          

Dix ans plus tard, les accords de Nouméa prévoyaient un transfert des pouvoirs vers l’île. L’accord institua des institutions spécifiques au territoire : le gouvernement collégial – qui détient le pouvoir exécutif ; le congrès – qui partage le pouvoir avec l’Assemblée nationale ; le Sénat coutumier – qui porte la coutume locale au sein des institutions. En parallèle fut créée la notion de « citoyenneté calédonienne », premier pas vers la notion de nationalité. Lionel Jospin prévoyait un transfert progressif des pouvoirs à l’exception des questions de sécurité, de justice et de défense. Le 8 novembre 1998, un nouveau référendum fit approuver l’Accord de Nouméa à 72% ; la Nouvelle-Calédonie vit encore sur cet accord ; peut-être en sortira-t-elle le 4 novembre.

 

4 novembre 2018

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »

 

Les avis des 175 154 électeurs divergent face à cette question qui leur est posée. Une dichotomie apparaît entre les personnes qui ont vécu les événements de 1988, point essentiel de l’histoire calédonienne, et les personnes arrivées après. Alors que Philippe Gomès – leader anti-indépendantiste et fondateur du parti Calédonie Ensemble – rappelle que la France et la langue française sont les liens qui unissent les Calédoniens, Wassissi Konyi – indépendantiste – dénonce la domination de la France. La métropole consacre à son territoire une enveloppe annuelle d’1,5 milliards d’euros : cette enveloppe est tantôt considérée comme le levier du développement, tantôt comme le masque d’une mainmise indue.

 

Selon le parti indépendantiste kanak, le FLNKS – Front de libération nationale kanak et socialiste – les Kanak seraient majoritaires à 63% parmi les votants. La question de la représentation est complexe et certaines ethnies ne sont que très peu représentées : l’avis des communautés tahitiennes ou wallisienne n’est ainsi jamais mis en avant. Les sondages parlent d’une majorité à 60-70% de non. Mais même si les Calédoniens refusaient l’indépendance, deux autres référendums pourraient être mis en place avant 2022.

 

Les précédents accords l’avaient prévu, la Nouvelle-Calédonie sera un jour indépendante, aussi incertain qu’en soit le calendrier. Il y aura un après 4 novembre : Edouard Philippe et Annick Girardin se rendront à Nouméa le lendemain pour discuter de la suite des événements, des futures structures politiques. En mai dernier, la question qui allait être posée lors de la consultation des Calédoniens avait été sujette à de vifs débats. Mais les quatorze mots qui interrogeront les électeurs en renferment une infinité d’autres.

 

Il faut non seulement se demander quelles nouvelles structures gouvernementales seront mises en place, mais aussi de quelle autonomie bénéficiera le territoire en cas de « non », de quelle transition il s’agira en cas de « oui ». L’appel aux urnes soulève aussi une question cruciale : à qui donner le droit de vote. Comme le disait Jean-Marie Tjibaou, l’identité est fondamentale pour définir une société. C’est en cela que le référendum prend tout son sens. Appeler les Calédoniens à venir s’exprimer demande une définition préalable de l’identité calédonienne, un pas de plus vers ce « destin commun ». Quelle que soit l’issue du vote le dimanche 4 novembre, l’avenir institutionnel du territoire restera fondé sur ce qui complexifie mais fait la beauté de cette île : la pluriethnicité de son peuple.

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