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Les orientations actuelles de la marine russe
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Par Youri Desvigne,

Pilier de la triade de dissuasion nucléaire, la marine russe a récemment connu des évolutions structurelles. La flotte russe a pour particularité d’être principalement continentale puisqu’elle sert avant tout à la défense du littoral à partir de navires de petite taille ou de taille intermédiaire, mais ne dispose pas d’une grande force de projection. Cette caractéristique peut en partie être expliquée par la particularité géographique du pays : l’accès à un grand nombre de mers et océans disperse nécessairement les forces en présence. Mais cette spécificité confère aussi à la marine un rôle central dans l’orientation des politiques de défense. Ainsi, l’annexion de la Crimée est entre autres un choix stratégique, qui permet à la Russie de bénéficier du port Sébastopol et donc d’un contrôle renforcé sur la mer Noire.

 

L’intervention en Syrie : un exemple de la diversité des moyens d’action des forces navales russes

 

L’intérêt stratégique des armements aéronavals modernes réside dans leur grande mobilité. Ils permettent en effet de déployer en peu de temps des rampes de lancement lourdes et sophistiquées qui peuvent atteindre à grande distance des cibles navales comme terrestres. La récente intervention en Syrie illustre bien le rôle majeur de la marine dans la force de projection russe. En Octobre 2015, quatre bâtiments ont lancé 26 missiles de croisière 3M-14T sur des cibles de l’Etat Islamique en Syrie. Ces tirs à grande portée (plus de 1000 km de distance) effectués depuis la mer Caspienne font office de démonstration de force. En effet, la flottille permanente en mer Caspienne dispose de moyens limités par rapport aux autres unités : elle ne comprend par exemple pas de croiseur. C’est à partir d’une corvette de taille intermédiaire mais plus aisée à déployer que ces tirs ont été effectués.

 

A partir de ses nombreuses flottes, la Russie est donc capable d’atteindre avec une grande précision des cibles terrestres en Asie, en Europe et au Moyen-Orient. En plus de l’usage inédit de ces missiles de croisière, des moyens navals plus classiques ont été déployés en Syrie, comme le porte avion Amiral Kouznetsov, à partir duquel certaines frappes ont été réalisées.

 

Le porte avion russe Amiral Kouznetsov

 

L’accélération du déploiement en Arctique

 

En plus de l’accent porté sur les missiles de croisière, le déploiement de nouveaux moyens dans l’Arctique fait également partie des orientations stratégiques récentes de la marine russe. En effet, la Russie entend bien s’imposer dans cette région qui suscite une nouvelle concurrence entre Etats riverains. Le Canada, les Etats-Unis, la Norvège rivalisent pour contrôler les sources d’hydrocarbures (13% du pétrole et 30% du gaz naturel non découverts dans le monde) et les nouvelles routes maritimes accessibles par la fonte des glaces.

 

Le renforcement de la présence militaire dans cette zone exige des investissements spécifiques, rendus nécessaires par la rudesse des conditions climatiques et de navigation. Le projet « Lider » en est un exemple. Il s’agit d’un brise-glace à propulsion nucléaire d’une nouvelle génération destinée à remplacer les bateaux soviétiques moins performants. Ce navire serait capable de passer à travers une couche de glace de plus de 4 mètres d’épaisseur et d’ouvrir ainsi la voie à des navires militaires ou marchands. Mais ces mouvements en Antarctique peuvent être perçus comme des effets d’annonce ou des démonstrations de force, comme en témoigne l’installation en 2007 d’un drapeau à 4000 mètres de profondeur sous l’emplacement du Pôle Nord.

Brise glace Rosatomflot à propulsion nucléaire

 

Des handicaps à surmonter

 

Depuis plus d’une dizaines d’années, la marine russe doit faire face à certaines défaillances. Les experts sont de plus en plus nombreux à insister sur une nécessaire modernisation des moyens engagés. Le porte aéronef géant Amiral Kouznetsov, identifiable à l’épaisse fumée noire qu’il dégage, est lui-même considéré comme largement vétuste et défaillant. En raison de l’absence de rampe de lancement, il ne peut déployer que des avions légèrement chargés, et certains incidents récents ont attisé les railleries des Occidentaux (comme la perte d’un MIG-29 KURB et d’un Su-33 tous deux en phase d’appontage). Du reste, la flotte russe est largement continentale : elle assure une défense du littoral, mais ses capacités d’intervention dans le monde sont plus limitées (par rapport aux Etats-Unis par exemple). Cependant, cet aspect continental peut être considéré comme une caractéristique propre de la marine russe et non comme un défaut, dans la mesure où aucune opération stratégique dans le monde n’a été planifiée. Ainsi, de nombreux avis plaident pour une continentalisation accrue, ce qui exclut notamment la construction de nouveaux porte-avions jugée trop couteuse et inutile au regard des objectifs stratégique russes. L’intervention en Syrie aurait tendance à confirmer ce point de vue, puisque c’est depuis des corvettes de taille intermédiaire qu’ont été lancés les missiles de croisière. Ces bateaux circulent avec aisance en mer Caspienne et en mer Baltique mais ont une capacité d’intervention à portée limitée.

 

La flotte du Pacifique apparaît aussi comme sous-dimensionnée et sous-équipée, au regard de l’importance des nouveaux défis auxquels elle doit faire face. La nucléarisation de la Corée du Nord et la militarisation croissante de la zone constituent en effet de nouveaux enjeux de taille. Face à cela, la faiblesse des moyens mis à disposition, en comparaison avec les flottes japonaises et chinoises est flagrante.

 

Face à ces insuffisances, l’ambitieuse nouvelle doctrine navale russe rendue publique en 2016 se donne pour objectif de renforcer sa position de seconde marine mondiale (mais avec des capacités incomparables avec la marine des Etats-Unis qui comporte 10 porte-avions). Le rapport est cependant pessimiste au sujet des diverses confrontations qui attendent la marine russe à l’avenir, dans l’océan Arctique notamment.

 

La marine russe a récemment participé à la montée des tensions stratégiques et diplomatiques du pays avec ses voisins. Des aventureux sous-marins repérés par la Suède ou la Norvège dans la Baltique à la mise en alerte des forces de l’OTAN lors du passage de l’Amiral Kouznetsov au large de l’Ecosse, la présence militaire physique exacerbe toujours les tensions sous-jacentes. Ainsi, les orientations actuelles de la marine russe semblent d’avantage relever d’une démonstration de force, nécessaire pour imposer la présence du pays sur les terrains qui comportent le plus d’enjeux. Le lancement de missiles balistiques en Syrie, plus ostentatoire qu’efficace, et les manœuvres symboliques en Arctique s’insèrent dans cette politique.

 

 

Sources : 

https://fr.rbth.com/tech/79206-marine-russe-lider-storm-2018-2025

http://www.rusnavyintelligence.com/2016/09/flotte-russe-la-voie-vers-la-continentalisation.html

http://www.rusnavyintelligence.com/2017/08/nouvelle-doctrine-navale-russe-quid-novi.html

http://www.rusnavyintelligence.com/2017/09/pacifique-la-flotte-oubliee.html

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