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Editorial – La République contre-attaque
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   « La guerre des étoiles est bien autre chose qu’une fiction »

Florence Parly, Ministre des Armées

 

Par Jean Galvé

 

 

L’annonce de la création d’une « space force » par les Etats-Unis d’Amérique en août dernier, dotée d’un commandement militaire ad hoc, et de 8 milliards de dollars supplémentaires sur 5 ans (hors Nasa, en augmentation de 100%) a marqué un changement de doctrine majeur. Un tournant stratégique dont Donald Trump a lui-même très synthétiquement donné l’esprit lors d’une conférence de presse de juin 2018 : « Lorsqu’il s’agit de défendre l’Amérique, il ne suffit pas d’avoir une simple présence américaine dans l’espace. Nous devons obtenir une domination américaine dans l’espace ».

 

Jusqu’alors, si la conquête de l’espace a des applications militaires évidentes (observation satellitaire de très haute précision, communication, guidage amélioré etc.), il n’existe pas d’armes mises en orbite. Le traité sur l’espace de 1967, signé et ratifié notamment par les Etats-Unis, la Chine et la Russie, interdit formellement la militarisation de l’espace ; l’utilisation des corps célestes reste de fait exclusivement limitée à des fins non-guerrières.

 

Les deux principes fondamentaux de droit international qui régissent l’utilisation de l’espace sont le « libre-accès » (sur le modèle du droit international maritime), et la « non-appropriation ». Aucun Etat ne saurait donc revendiquer une quelconque souveraineté sur un corps céleste – quelle que soit sa nature.

 

Le développement, depuis une dizaine d’années, de stratégies dites de « déni d’accès » par certaines puissances spatiales, Russie et Chine en tête, tend à remettre en cause cet état de fait. L’installation par ces pays de dispositifs dits « défensifs » toujours plus performants laisse entrevoir à moyen-terme une capacité à interdire l’accès à des orbites entières sur le modèle des systèmes de défense sol-air sur terre. Ces stratégies de déni d’accès, du faible au fort, avaient à l’origine pour objectif de compenser la faiblesse relative des capacités spatiales de chacun de ces deux pays face au géant américain. En 2007, la destruction d’un vieux satellite chinois à 800 km d’altitude par un missile balistique avait servi de test pour Pékin, capable désormais au même titre que la Russie et les Etats-Unis de détruire des objets dans l’espace. Il faut d’ailleurs noter que les satellites espions américains qui fournissent des images stratégiques en haute-résolution des territoires d’opération aux différentes forces de l’US Army volent précisément à cette altitude.

 

Les rapports de force ont au reste changé: la location par la NASA des Soyouz pour approvisionner la Station Scientifique Internationale en est un cruel exemple. Chinois et Russes sont soupçonnés par les services de renseignement occidentaux de développer des armes spatiales offensives. Le 9 août dernier Mike Pence, vice-président américain, s’est ainsi publiquement inquiété : « Depuis des années, des pays allant de la Russie à la Chine, en passant par l’Iran et la Corée du Nord, ont construit des armes pour bloquer, aveugler ou rendre inopérants nos satellites de navigation et de communication via des attaques électroniques lancées de la Terre. Mais, récemment, nos adversaires ont travaillé à mettre de nouvelles armes de guerre directement dans l’espace ». On soupçonne en particulier les Russes et les Chinois de développer des missiles hypersoniques, satellites « tueurs » de satellites et autres lasers capables de perturber les satellites en orbite. Les incidents dans l’espace se multiplient entre les satellites occidentaux et « Lunch-Olymp » satellite butineur venu récupérer les informations recueillies par le satellite français de renseignement Athena-Fidus, a fait l’objet des anathèmes publics de la part de la ministre des armées Florence Parly.

 

La destruction ou du moins la perturbation des systèmes satellitaires commerciaux civils aurait des conséquences désastreuses pour les économies, et les forces armées des pays concernés. En 2016 le général Jean-Daniel Testé, alors président du commandement interarmées de l’espace, estimait que chaque individu utilisait en moyenne 47 satellites par jour. 250 000 dispositifs militaires américains sont dépendants d’un système satellitaire. Jusqu’à 10% du PIB de la France pourrait être amputé en cas de perte du signal GPS.

 

Les quelques 1500 satellites actuellement en orbite sont pour la plupart anciens. Ils ont été conçus avant même qu’il ne soit possible d’imaginer « la cyberguerre ». Ils sont donc pour la plupart particulièrement vulnérables. Rien ne semble s’opposer au brouillage ou au détournement prochain des signaux émis par les satellites : un missile guidé par GPS pourrait ainsi très bien se voir attribuer une école comme cible au lieu d’une caserne.

 

Face à cette nouvelle donne stratégique spatiale, la France a décidé de s’engager résolument dans l’autonomisation et la modernisation de sa flotte spatiale, suivant deux axes majeurs. Il s’agit premièrement d’améliorer les capacités de surveillance de la terre depuis l’espace, par le lancement d’un satellite d’observation nouvelle génération (CSO) fin 2018, et de trois satellites d’écoute électromagnétiques d’ici à 2020 afin de de détecter les centres de commandement ennemis. Deuxièmement, la surveillance de l’espace lui-même est à l’ordre du jour : la modernisation du radar GRAVES (surveillance depuis la terre des véhicules spatiaux jusqu’à 1000 km d’altitude) et le projet GEOTracker d’Ariane Group – qui a pour ambition d’offrir une vision de l’orbite géostationnaire (36 000 km) grâce à un réseau de télescopes terrestres disséminés sur l’ensemble des continents, révèlent bien le tournant stratégique qui oblige à la constitution d’une stratégie pour l’espace. Comme le résume la ministre française des armées, Florence Parly : « Nous devons nous doter de notre propre cartographie complète, pour identifier tous les objets en orbite et les détecter en amont afin de dissuader d’éventuels agresseurs ». La loi de programmation militaire consacre déjà 3,6 milliards d’euros pour le seul renouvellement des satellites. C’est au total plus de 6 milliards d’euros qui seront investis dans la défense spatiale d’ici à 2025.

 

La doctrine française en la matière est simple : s’il n’est pas question de participer au développement de systèmes orbitaux offensifs, la France doit pouvoir repérer et anticiper l’ensemble des menaces qui pèsent depuis l’espace sur ses intérêts stratégiques.

 

Restent trois enjeux cruciaux à relever pour la sécurité spatiale de la France : le développement d’une capacité de surveillance de l’espace depuis l’espace, la réunification sous commandement militaire de la gouvernance de la défense spatiale française jusqu’ici éclatée (Direction Générale des Armées, Centre National des Etudes Spatiales, Onera – centre français de recherche spatiale, cosmos), et l’autonomisation spatiale pour s’affranchir des technologies développées par les autres puissances.

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