Par William Lenfant
La lutte armée qui oppose le gouvernement de Yaoundé aux sécessionnistes des provinces anglophones ne cesse de prendre de l’ampleur. Les miliciens indépendantistes œuvrent au Nord-ouest et au sud-ouest du Cameroun, à partir de cellules issues de leur diaspora situées au Nigeria, en Afrique du Sud et en Europe. Ils attaquent systématiquement toutes les représentations de l’Etat, à savoir les forces de sécurités et l’armée, les chefs dépositaires de l’autorité, les professeurs et les civils hostiles aux ordres des sections anglophones. C’est dans ce cadre que huit chefs traditionnels kidnappés en juillet dernier ont été libérés et reçus à la capitale début août par le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji.
Loin de vouloir apaiser les tensions, le gouvernement a souhaité expliciter sa posture face à ce qu’il désigne comme une “menace terroriste” à l’égard de laquelle aucune concession n’est envisageable. Le ministre a notamment accusé les milices indépendantistes d’assassinats de membres des forces de l’ordre, de viols de masse, d’atteinte à l’institution de l’enseignement, mais également d’avoir tué des ressortissants américains en charge de la sécurité du territoire. Les chefs libérés sont tous originaires de Buea, qui semble devenir le centre des crispations. Capitale de la région du Sud-ouest du pays, Buea est le rempart à partir duquel la rébellion pourrait émailler le reste du pays en l’érigeant en bastion pro-indépendantiste. Depuis plusieurs mois, elle est le théâtre de la pratique du Ghost town (ville morte), qui consiste à endiguer l’activité économique en fermant l’ensemble des commerces tandis que personne n’ose se hasarder dans les rues. Présentée par les insurgés comme une forme de résistance non-violente au gouvernement, cette “lutte” pourrait en fait être en arrière fond imposée par les partisans de la “République ambazonienne”, qui n’hésitent pas à menacer les réfractaires, voire à assassiner des professeurs qui décident de maintenir l’ouverture des écoles malgré l’interdiction des milices. Loin de se limiter à ce type d’opération, les indépendantistes semblent envisager le blocus de la desserte de Buea-Douala. Selon RFI, bloquer cette route permettrait d’endiguer l’acheminement du pétrole de Limbé pour Douala, et donc d’entraver durablement le système économique soutenu par le gouvernement. Face au durcissement de la crise, la communauté francophone de Buea est prise en étau. L’hostilité est palpable à l’encontre des étudiants, des commerçants et des fonctionnaires qui parlent le français, désormais considérés par les milices comme des étrangers en “Ambazonie”.
Seule voix dissidente, le maire de Buea, Patrick Ekema, qui se pose en soutien indéfectible de Yaoundé. Il a notamment organisé une marche avec quelques centaines de partisans s’opposant à toute forme de sécession. Virulent dans ses propos et intransigeant, le maire ne semble pas chercher la conciliation, face aux “maquisards” qui bafouent selon lui les “institutions républicaines”. Dans ce climat où toute tentative de dialogue semble irréalisable, une figure contraste néanmoins vis-à-vis de ces postures belliqueuses et propose une troisième voie, celle le cardinal Christian Tumi. Personnalité religieuse respectée, il a récemment proposé la mise en place d’une conférence à Buea, qui devait réunir fin août l’ensemble de l’éventail pro et anti-sécessionniste (unionistes, fédéralistes, séparatistes etc…) qu’ils soient francophones ou anglophones. Si l’institution religieuse a déjà su incarner l’espoir des observateurs, en offrant une perspective pacifiée propice au dialogue, elle ne convainc pas encore tous les belligérants, puisque comme l’a rappelé l’archevêque Samuel Kleda en juin dernier lors d’un discours d’hommage, le Cameroun est le pays d’Afrique où a lieu le plus d’assassinats de figures ecclésiales. Si une tentative de dialogue n’est pas instaurée par l’Etat, Buea pourrait devenir à l’occasion des élections présidentielles en octobre prochain le centre des crispations du pays, alors que les candidats anglophones semblent sous-représentés.