Ce vendredi 20 juillet, une coalition de 20 partis de l’opposition a annoncé son soutien au candidat Paul Biya lors de la prochaine élection présidentielle du 7 octobre. Cette posture est justifiée selon eux par l’absence d’une candidature unique de l’opposition et le contexte sécuritaire en crise. Pour autant, l’actuel chef d’état-major des armées est-il le plus à même de garantir la paix ? Rien n’est moins évident, au regard du conflit larvé qui oppose depuis bientôt deux ans les indépendantistes camerounais aux forces armées. Tandis que la situation s’enlise, les témoignages faisant état d’exactions commises par les forces armées camerounaises ébranlent la légitimité des interventions de l’Etat.
Dernier scandale en date, la vidéo virale montrant des présumés militaires en train d’exécuter froidement deux femmes et leurs deux enfants, soupçonnés d’appartenir au groupe djihadiste nigérian Boko Haram. Après avoir dénoncé une information trompeuse, digne “des plus horribles trucages”, le gouvernement a ouvert une enquête et arrêté plusieurs militaires. Cet exemple n’est pas isolé : depuis plusieurs mois, les ONG accusent l’armée d’exactions qui iraient à l’encontre des droits de l’homme. Pour corroborer ces allégations, Human Rights Watch (HRW) a publié jeudi dernier un rapport détaillé sur la situation au Cameroun depuis novembre 2016. Après plusieurs semaines d’enquête, l’analyse décrit une véritable crise sécuritaire qui s’aggrave de jour en jour. Rédigé par Jonathan Pedneault, chercheur à la division urgence de HRW, le rapport relate tout au long de ses 60 pages l’histoire du pays, depuis son annexion coloniale par l’Allemagne jusqu’au rattachement des provinces du Nord au Nigéria, et celles de l’Ouest et du Sud-Ouest au Cameroun. Il retrace la montée des tensions entre la province anglophone et l’Etat qui semble sourd aux revendications des minorités pour imposer par l’appareil régalien l’usage du français dans l’ensemble de ses institutions.
Dès 2017, le conflit sous-jacent prend une nouvelle forme, avec un changement de rhétorique : les séparatistes en appellent à la création d’une République d’Ambazonie indépendante au Sud-Ouest du pays, tandis que le gouvernement exhorte à la chasse aux “terroristes”. La répression de l’Armée est alors de plus en plus violente. Le Nord-Ouest et le Sud-Ouest sont émaillés fin 2017 par une multitude de groupes séparatistes armés et soutenus financièrement par une large diaspora implantée aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Nigeria (lieu de refuge des populations touchées par le conflit), et l’Afrique du Sud. On assiste dès lors à une multiplication des attaques à l’encontre des fonctions régaliennes. Au moins cinq groupes agiraient, dont les forces de défense de l’Ambazonie, les Red Dragons, et le conseil d’autodéfense d’Ambazonie.
A ce jour, il est impossible de déterminer si ces groupes se coordonnent, ni de discerner leur système d’implantation (les sections régionales se répartiraient les missions au niveau local). Les cibles des séparatistes sont francophones, pour la plupart issues de l’armée. Mais le nerf du conflit demeure l’enseignement : il s’agit d’endiguer toute tentative d’enseignement francophone. Les indépendantistes souhaitent bloquer les écoles, ils n’hésitent pas à kidnapper les chefs d’établissement lorsqu’ils ouvrent les portes de leurs écoles, ou à assassiner des professeurs. De même, les parents et les élèves sont menacés, comme le démontre le rapport en citant plusieurs cas avérés (voir illustration ci-dessus).
Dans un second temps, HRW énumère les violations des droits de l’homme orchestrées par l’armée camerounaise. Les manifestations des minorités sont réprimées par le gaz et le tir à balles réelles. L’analyse révèle de nombreuses arrestations arbitraires et des assassinats imputés aux forces de l’ordre. Pour chaque crime, le rapport égrène une liste d’exemples issus de témoignages ou de preuves directes (documents de plaintes, reconnaissance d’un crime par l’Etat…). La gendarmerie est impliquée dans des actes de torture, notamment sur des étudiants. En mai 2018, le gouvernement a ainsi été forcé de publier un communiqué afin d’excuser le comportement de son armée.
Depuis fin 2017, les forces séparatistes se font plus visibles dans les petites localités rurales des zones forestières de la région du Sud-Ouest. De là, les patrouilles gouvernementales sont plus intenses et agressives : afin de lutter contre cet “ennemi invisible”, l’armée brûle de nombreux villages et civils. HRW s’appuie sur des images satellites pour prouver ses dires ; près de vingt villages présentent les cicatrices de ces affrontements. Devant l’accentuation de l’insécurité, les populations de l’Ouest doivent se déplacer dans des régions limitrophes ou dans les forêts. Selon le chiffre avancé par l’OCHA, repris par HRW, jusqu’à 160 000 personnes ont été déplacées en mai 2017. Cas symptomatique : le village de Bole, attaqué le 2 février et le 23 mars 2018 par des gendarmes en véhicules blindés qui brûlèrent une partie des habitations. D’autres villages sont cités : Mongo Ndor, Wone, Dipenda Bkundu, etc. comme autant de signes annonciateurs d’une prise d’otage de la population anglophone entre l’armée et les séparatistes.
En réponse, le gouvernement camerounais a rédigé une courte déclaration jointe en conclusion du rapport. S’il reconnait des écarts de conduite de la part des militaires, il ajoute que ceux-ci sont jugés a posteriori. Il s’agirait de lutter contre une revendication à l’origine légitime de réforme des institutions qui s’est muée par l’intervention d’agents extérieurs en véritable volonté sécessionniste. La mise en place d’un “Plan Humanitaire d’Urgence” viserait à endiguer la propagation d’une “psychose” générale, et permettrait de protéger les zones scolaires grâce à des équipes de garde statique et des patrouilles mixtes. Néanmoins, le gouvernement refuse de parler d’un recours excessif à la force, et s’engage à protéger en toute circonstance les droits de l’homme.