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La résolution des conflits en Afrique
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Conférence du Dr Sékou Koureissy Condé et de Jean-Marc Chataigner

 

Compte-rendu par Amélie Dugast

 

Le 21 mars 2018, l’association des « Jeunes internationalistes » d’Assas, en partenariat avec Tribunes Assas, organisait une conférence intitulée « La résolution des conflits en Afrique ». Elle avait pour ambition de d’analyser les méthodes de résolution de conflits qui pourraient être efficaces sur ce vaste continent lourdement touché par les conflits armés.  Dr. Sékou Koureissy Condé, ambassadeur de la paix, président de l’African Crisis Group et ancien homme politique guinéen ayant occupé successivement les postes de Ministre de la Sécurité, Secrétaire Général du Conseil National de Transition, et Premier Médiateur de la République, y livrait une analyse des défis sociaux, démographiques, et économiques, mais aussi du statut des permanences coloniales dans la prévention des conflits. Jean-Marc Chataigner, envoyé spécial de la France pour le Sahel, ancien ambassadeur de France à Madagascar, après avoir présenté les défis de la résolution des conflits dans la zone sahélienne, a proposé une méthode de résolution enracinée dans son expérience diplomatique et sa connaissance du terrain.

 

L’Afrique, la première zone de guerres et de conflits dans le monde – Dr. Sékou Koureissy Condé

 

En mai 2000, The Economist consacrait une édition spéciale à l’Afrique, intitulée « Un continent sans espoir » ; la revue y dressait un noir tableau de la violence, du despotisme et de la corruption qui sclérosait le continent. Aujourd’hui la position de l’hebdomadaire a changé : il soutient que l’Afrique connaît une phase de développement économique accéléré.  Entre 2000 et 2014, la croissance annuelle du PIB en Afrique a été de 4,6% en moyenne.

 

Malgré cette « émergence de l’Afrique », le Dr. Sékou Koureissy Condé soutient que la pérennité de ce développement n’est pas assurée. L’Afrique reste un continent fragile, touché par des conflits d’une particulière véhémence qui le ramènent toujours proche de la case départ. L’instabilité socio-politique est selon lui liée à la fragilité des institutions étatiques en Afrique. Une majorité  de pays est menacée par des groupes terroristes comme Boko Haram au Nigeria,  le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans au Burkina Faso, ou et les Shebabs en Somalie et au Kenya. Aussi, la plupart des pays africains éprouvent-ils encore des difficultés à achever leur transition démocratique : des conflits sont à craindre lors des futures élections présidentielles en Côte d’Ivoire en 2020, la fin de l’état d’urgence en août 2017 en Ethiopie a ravivé la contestation du Front de libération qui ronge le pays…

 

L’Afrique, un continent au fort potentiel – Dr. Sékou Koureissy Condé

 

En dépit de ces multiples conflits, l’Afrique est devenue le continent de l’espoir du point de vue économique. Ce continent concentre 33% des richesses mondiales, notamment en ressources naturelles. Il connait une forte croissance démographique ; sa population atteindra bientôt le milliard d’habitants et un doublement de la population est attendu dans les trente-cinq années à venir. Le sous-développement de cette région contraste donc avec l’abondance de ses richesses.

 

Ce paradoxe aurait une double origine : il tient d’une part au découpage du continent opéré par les pays européens qui handicape l’Afrique et d’autre part aux politiques publiques des Etats africains qui se sont montrées lacunaires.

 

En 1885, la conférence de Berlin, organisée à l’initiative du chancelier Bismarck, réunissait les puissances européennes autour du partage de l’Afrique. Il en est résulté une Afrique découpée en de nombreux petits territoires aux frontières parfois artificielles. Ce découpage arbitraire du continent a constitué un piège pour les Etats africains, et une barrière à leur développement.

 

A la suite des indépendances africaines, les nouvelles administrations issues des ruines du colonialisme n’ont pas toujours su créer de nouvelles méthodes de gestion des affaires publiques adaptées aux enjeux et à la culture de ce continent. Or, le Dr Sékou Koureissy Condé souligne que cette méconnaissance des mécanismes propres à la société africaine portait en elle des germes de conflit.

 

De l’importance de la prévention des conflits – Dr. Sékou Koureissy Condé

 

Les communautés occupent une place primordiale dans la société africaine et il est important de souligner leur importance dans une prévention des conflits efficace.

 

Les communautés villageoises sont originellement organisées sur des bases spirituelles et temporelles. Lors d’un conflit, l’individu n’est pas, selon le Dr Sékou Koureissy Condé, regardé comme une personne juridique, mais est englobé par le groupe auquel il appartient . Ainsi, dans le cas d’une infraction pénale ce n’est pas la personne en tant qu’individu qui répond mais sa famille. En amont, la prévention des conflits passait par l’éducation donnée par les associations de femmes, les Eglises, les groupes d’âge qui étaient chargés de procéder au développement moral et social des individus composant le groupe. En aval, les délits se réglaient à l’échelle familiale ou villageoise par les mariages, les baptêmes,.. L’ensemble de ces conflits étaient pris en charge par les Eglises.

 

Or ces mécanismes traditionnels chers aux populations sont souvent ignorés par la loi. Les dirigeants africains n’ont pas pris en compte ces principes de médiation culturelle et de consensus pour résoudre les conflits en se limitant à transposer les modèles administratif s européens sans toujours les adapter aux particularités de la culture africaine.

 

Pour une résolution endogène des risques de crises en Afrique – Dr. Sékou Koureissy Condé

 

Les conflits ralentissent le développement du continent africain, il est donc nécessaire de trouver pour les prévenir une solution durable. Selon Dr. Sékou Koureissy Condé, il faut pour ce faire combiner deux approches : une approche transfrontalière qui tire sa force de la synergie entre les différentes forces étatiques, et une revalorisation de l’héritage traditionnel ethnique qui pourrait renforcer la durabilité des résolutions de conflits. A titre d’exemple, privilégier à nouveau la communication entre les différentes communautés villageoises aurait pour effet d’atténuer les tensions et les rivalités ethniques.

 

Ce mécanisme d’échanges entre les différentes sociétés pourrait également permettre de lutter contre le terrorisme, qui est polymorphe, et contre l’islam radical. Au-delà des djihadistes regroupés au Sahel, l’islam radical progresse et gagne du terrain dans d’autres pays africains. Au Nord-Mali, six organisations djihadistes sont présentes. Afin de lutter efficacement contre ces phénomènes dont l’ampleur est difficilement mesurable, les chefs d’Etat n’ont d’autre solution que d’impliquer dans la résolution des conflits l’ensemble de la société civile et les ONG, en renfort des armées étatiques. La lutte contre les nouvelles menaces auxquelles doit faire face l’Afrique doit être globale et inclure ces multiples acteurs.

 

Cette synergie entre les mécanismes de paix internationaux et les traditions africaines de pédagogie et de communication permettront d’ancrer durablement la paix sur ce territoire. Il est désormais indéniable qu’intervenir militairement ne permettra pas de régler les conflits africains.

 

Une zone de crise, le Sahel – Jean-Marc Chataigner

 

Le Sahel est une zone de fragilité qui permet de comprendre les défis de l’Afrique aujourd’hui. Jean-Marc Chataigner a ainsi relevé sept défis principaux qui caractérisent cette zone de fractures. Le premier est un défi démographique : le doublement de la population sahélienne dans les vingt prochaines années va induire des nécessités de réforme, notamment dans le domaine économique, social, ou éducatif, afin de répondre aux besoins de la population : construction d’écoles, aides à la santé… A titre d’exemple, le gouverneur de Zinder – région au centre-est du Niger – mène actuellement une guerre contre l’ignorance puisque 65% de sa population a moins de 17 ans. Or 1,5 millions de ces jeunes ne sont pas scolarisés. Le Sahel doit également faire face à un deuxième défi, environnemental, qui est au cœur de tous les débats. La température moyenne s’est élevée de deux degrés depuis les années 1960 et pourrait encore croître de 5 degrés d’ici 2050. Cette hausse rapide de la température représente une menace pour la pérennité de la production agricole. L’accès à l’alimentation sera plus difficile et la biodiversité s’en trouvera menacée.

 

Du point de vue économique, le Sahel sera confronté au défi de l’emploi. Du fait de l’accroissement de la population, la masse jeune est extrêmement nombreuse et les Etats vont devoir trouver une solution et créer de nouveaux emplois pour accueillir les dizaines de millions de jeunes sur le marché de l’emploi ;  ces postes n’existent toutefois pas à l’heure actuelle. Il faut également prendre en compte le défi social caractérisé par une forte concentration d’inégalités sur ce continent – Bill Gates est vingt-cinq fois plus riche que les quatorze millions d’habitants du Tchad –, mais aussi par l’enjeu de l’accès à la santé et à l’éducation. Dans le domaine du savoir et des connaissances, le Sahel aura également des efforts à fournir. La proportion de chercheurs est cent fois inférieure à celle des pays occidentaux en raison du brain drain. Enfin, cette région est confrontée au défi de la gouvernance tant locale que régionale, et au défi de la transmission des valeurs et de l’héritage historique africain.

 

Du reste, le Sahel connait trois grandes crises sécuritaires qui s’ajoutent aux menaces terroristes. La crise du Nord-Mali qui affecte particulièrement cette région résulte de la conjonction entre des facteurs endogènes et exogènes. Depuis les années 1960, les Etats font face à des insurrections régulières, aux trafics de drogues, de cigarettes provenant d’Amérique latine, d’armes et de médicaments du Moyen Orient. Ces facteurs d’instabilité déstructurent les Etats et les empêchent d’avoir une gouvernance viable. En outre, les groupes terroristes algérien des années 1990 ont été repoussés par les services secrets algériens au Sud de l’Algérie et au Nord du Mali. Ils ont donc essaimé le terrain malien et ont constitué des groupes au Nord Mali ; ils y ont prospéré dans les années 2000. Le deuxième facteur d’aggravation de ce conflit malien se trouve être la crise libyenne : à la suite du renversement de Kadhafi en 2011, le stock d’armes des légions islamiques s’est retrouvé dispersé sur le territoire sahélien. Jean-Marc Chataigner souligne également le rôle important joué par la suppression des structures sociales traditionnelles dans la perpétuation de cette crise malienne. Au Niger, la préservation des chefferies traditionnelles a au contraire contenu les conflits.

 

Une approche articulée de résolution de crise  – Jean-Marc Chataigner

 

Afin de résoudre cette grave crise au Mali, Jean-Marc Chataigner préconise, selon son expression, une « approche 3D » qui combinerait la sécurité et la défense, l’aspect politique et diplomatique et l’aide au développement. L’opération Serval menée par l’armée française destinée à stopper l’offensive des groupes terroristes, à préserver l’existence de l’État malien et à faciliter la mise en œuvre des décisions internationales en préparant les déploiements de la mission internationale au Mali (MINUSMA) a selon ses mots eu l’effet d’une « chimiothérapie de choc », néanmoins insuffisante à éradiquer « cancer » que représente cette crise alimentée par le terrorisme.

 

Un premier pas vers la résolution du conflit passerait donc par la voie diplomatique. Il s’agirait de mettre à exécution l’accord de paix d’Alger signé à Bamako les 15 mai et 20 juin 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de Azawad, une alliance de groupes rebelles touaregs. A cela s’ajouterait l’approche militaire incarnée par l’opération militaire Barkhane, qui a succédé à l’opération Serval le 1er août 2014. Cette opération militaire est novatrice et ambitieuse en ce qu’elle marque un souci prononcé de l’articulation avec les forces armées en présence : la MINUSMA et les actions menées par l’Union Européenne – EUCAP Sahel-Mali et Sahel-Niger, EUTM Mali –, mais surtout avec le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) qui à terme devra prendre le relais seul – même si le Chef d’Etat-Major des armées a déclaré en mars dernier que l’opération Barkhane était « de longue durée ».

 

La stratégie de sortie de crise au Sahel repose sur l’autonomisation des forces armées africaines. La coopération temporaire entre les armées permet d’installer une confiance de la population envers les forces de sécurité. Ainsi, grâce à l’aide éventuelle de l’Union Africaine et à cette acceptation sociale, les forces armées africaines seront aptes à assurer leur propre  . Enfin, pour pérenniser le rétablissement de la paix, il ne faut pas négliger le développement. Dans ce domaine, une réformation complète de la conception de l’aide publique au développement serait nécessaire : ces aides doivent être davantage ciblées, et inclure en profondeur les Etats ainsi que les populations locales afin d’opérer une transition d’un rapport de subordination vers un rapport de partenariat plus viable.

 

La coordination entre ces trois approches est complexe, car chacune s’inscrit dans une temporalité différente : la question du développement doit être traitée sur le long terme, l’approche diplomatique est rapide, et les solutions militaires s’insèrent entre les deux.

 

Selon Jean-Marc Chataigner, pour permettre la mise en place de cette approchée articulée en trois branches, il est important d’investir massivement dans ces domaines d’autant plus que l’avenir de l’Europe dépend de la stabilité du Sahel et de l’Afrique. Ainsi au sommet de Bruxelles sur le Sahel en février dernier, le président de la République française Emmanuel Macron a soutenu cette approche et a souligné l’importance pour la communauté internationale d’agir et de déployer des moyens, bien que la solution africaine doive venir des dirigeants africains eux-mêmes afin d’intégrer les populations au processus de stabilisation. La résolution des conflits débute avec une prise de conscience des populations locales qui doivent se sentir concernées par cette résolution de conflits armés.

 

En Afrique, les Etats étant fragilisés, la situation géopolitique est fréquemment considérée sous son seul aspect sécuritaire. Mais la population exige en premier lieu une justice équitable et accessible, puis l’accès aux services de base : l’eau potable, l’école, les soins. L’Etat doit à la fois engager ses forces armées mais également renforcer ses services publics pour offrir un visage bienveillant et ainsi pouvoir instaurer un climat durable de paix.

 

 

A l’heure de clore ce compte-rendu, nous souhaitons remercier chaleureusement l’Association des Jeunes Internationalistes d’Assas et Tribunes Assas pour l’organisation de cette conférence ; nos remerciements vont aussi à Jean-Marc Chataigner et au Dr Sékou Koureissy Condé, pour leurs exposés didactiques et précis, reflets d’une rare expérience diplomatique.

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