Des frappes circonscrites et coordonnées
Dans la nuit du 13 au 14 avril, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France ont mené une attaque coordonnée ciblant trois lieux de production d’armes chimiques en Syrie, en réponse à l’usage (confirmé, selon les sources nationales de renseignement, et les dires des trois chefs d’Etat) de chlorine à Douma. L’attaque survient quasiment un an jour pour jour après l’action unilatérale menée par les Etats-Unis dans la nuit du 6 au 7 avril 2017 sur la base aérienne syrienne d’Al Chayraate en réponse à l’attaque chimique de Khan Cheikhoun.
L’annonce publique du Président américain a été effectuée depuis la Maison Blanche à 21 heures (heure locale – 3 heures heure française). Elle a été suivie d’un communiqué du Secrétaire à la Défense James Mattis, et du Chef d’Etat Major des Armées, le Général Joseph Dunford, depuis le Pentagone. Plus d’informations ont été apportées à 9 heures (heure locale) le 14 avril, par la défense américaine.
Les frappes ont pour objectif, a déclaré Donald Trump, d’établir un moyen de dissuasion définitif face à l’usage répété d’armes chimiques par le régime Assad, ciblant exclusivement les capacités syriennes. Le Président américain a par ailleurs déclaré qu’il était prêt à une “réponse maintenue” si le régime Assad venait à réitérer l’utilisation d’armes chimiques ; il n’a pas donné plus de précision quant au sens exact de sa formulation. En plus d’une action militaire, des outils économiques et diplomatiques devraient être utilisés.
Les Américains ont mené ces frappes via des missiles de croisière de type BGM-109 Tomahawk. Du côté de la Grande-Bretagne, quatre avions de chasse Panavia Tornado équipés de missiles Storm Shadow, basés à Chypre, ont été impliqués, ainsi que des sous-marins. La France a engagé pour ces frappes trois frégates multimissions (FREMM), un pétrolier ravitailleur, ainsi que neuf avions de chasse – quatre Mirage 2000 et cinq Rafale – six avions ravitailleurs, et deux AWACS de détection. C’est la première fois que des missiles de croisière navals ont été tirés par les forces françaises – ils représentent 3 des 12 missiles tirés au total par les forces françaises. Selon le Président Macron, les frappes françaises ont été “circonscrites aux capacités du régime sur les armes chimiques”.
Après les frappes – les réactions russes, iraniennes et syriennes
Les autorités damascènes, selon une source du ministère des affaires étrangères citée par l’agence de presse Sana, ont proclamé que les frappes visaient à entraver l’enquête indépendante diligentée par l’OIAC (l’Organisation Internationale contre l’Usage des Armes Chimiques). Vladimir Poutine a quant à lui déclaré que les frappes menées “sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, en violation de la Charte des Nations unies, des normes et principes du droit international” constituent “un acte d’agression à l’encontre d’un État souverain qui se trouve à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme”. Le guide suprême iranien a quant à lui qualifié de “criminels” Donald Trump, Emmanuel Macron et Theresa May.
Une éventuelle coordination avec les forces russes posait question : les cibles auraient pu être révélées au Kremlin préalablement à l’attaque, pour provoquer une désescalade. Ce n’est pas ce qui ressort des déclarations de l’ambassadeur russe aux Etats-Unis Anatoly Antonov, bien au contraire ; dans une déclaration postée sur Facebook, le diplomate a rappelé que “de telles actions ne sauraient être laissées sans conséquences”. Si Anatoly Antonov a rejeté la responsabilité sur “Washington, Londres et Paris”, sa clausule a été particulièrement acerbe pour la première capitale : “les Etats-Unis n’ont pas de droit moral de juger les autres pays”.
Pour autant, il faut bien se garder de juger de l’évolution des tensions sur ces premières déclarations russes ; on est en droit d’envisager un possible échange d’informations entre les deux parties, incluant les coordonnées des frappes. Selon le Secrétaire américain à la Défense, des canaux classiques de déconfliction auraient été utilisés. Il demeure néanmoins probable que les Russes aient été avisés, et que les deux parties, après ces frappes brèves et circonscrites, souhaitent éviter une escalade. La défense américaine a d’ailleurs précisé qu’aucune autre attaque n’était planifiée.
Selon Moscou, 71 des 103 missiles tirés ont été interceptés par la défense antiaérienne syrienne équipée par Moscou ; le Pentagone a affirmé que toutes les cibles visées avaient pourtant été atteintes.
Quelles cibles ?
Selon le secrétaire à la défense James Mattis, trois cibles ont été frappées : la première est un centre de recherche dans la région de Damas ; la deuxième, un centre de production et de stockage de gaz sarin dans la région d’Homs ; et la troisième, également dans les environs d’Homs, est un important poste de commande et centre de production et de stockage. Chaque site a été déterminé, affirme le Pentagone, dans le but de délivrer une réponse proportionnée appropriée, limitant au maximum les victimes parmi les forces armées étrangères (Russe et Iranienne) et la population civile. L’on ne peut avec certitude désigner les lieux frappés, mais quelques hypothèses s’imposent.
Selon l’OSDH (Observatoire syrien des droits de l’homme), les aéroports de Barzeh, Keswa et Mazeh ont été touchés dans les environs de la capitale, ainsi que “plusieurs bases militaires” et des locaux de la garde républicaine à Damas. La télévision d’Etat syrienne a rapporté des “informations” selon lesquelles un “centre de recherches” dans le quartier de Barzeh, dans le nord-est de Damas, avait été visé. L’Elysée a toutefois démenti le choix de l’aéroport de Mazeh comme une cible.
Parmi les sites localisés dans les environs d’Homs, le site de Masyaf, dans la province de Hama, a été frappé. Selon le Centre Français de Recherche sur le Renseignement, ce site servait à fabriquer des armes classiques – des roquettes de 122 et 300 mm, peut-être des missiles M-600. Des installations “douteuses” semblent également y exister – le site est notamment constellé de tunnels souterrains.
Les sources sur place s’accordent du reste pour désigner Barzeh, dans la banlieue Nord de Damas, comme une autre cible ; ce territoire abrite le centre de recherche militaire syrien, qui aurait été visé en priorité. Selon Georges Malbrunot, la France aurait collaboré à la création de ce centre dans les années 1970.
Le centre de recherches militaires de Jamrayah, dans la Ghouta, faisait partie des cibles jugées les plus probables. Aucune de nos informations ne permet toutefois d’affirmer clairement que ce site ait été ciblé. Suspectées d’être le siège de recherches dans le domaine RNBC (armes radiologiques, nucléaires, bactériologiques, et chimiques), ces installations avaient déjà été frappées par Israël le 31 janvier 2013, puis dans la nuit du 4 au 5 décembre 2017.