Une veillée d’armes annoncée
Hier, le président américain a annoncé que des frappes sur des positions du régime syrien étaient imminentes. Cette déclaration fait suite à une semaine de tensions après l’attaque chimique du 7 avril à Douma. Les intenses tractations diplomatiques qui ont eu lieu dans un cadre multilatéral (ONU, OIAC) et bilatéral cèdent maintenant le pas à une préparation militaire de la part des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni.
Le raid, dont la probabilité varie à chaque déclaration émanant de Washington, Londres, ou Paris, pourrait avoir lieu la nuit du 13 au 14 avril. Pour mémoire, les frappes américaines de missiles Tomahawk en avril 2017 (lancés depuis les destroyers USS Porter et Ross) s’étaient déroulées 69 heures après les annonces d’attaque chimique par les forces d’Assad à Khan Cheikhoun.
Les détails de la conduite des opérations n’ont pas encore été révélés par le président américain. On peut cependant supposer qu’elles seraient constituées d’une composante aérienne (portée par Rafale, Typhoon, F-22 Raptor, et avions de ravitaillement) ou d’une composante navale. De nombreux navires de guerre sont positionnés en Méditerranée.
Par exemple, la frégate française Aquitaine se trouve au large du Liban, disponible pour une opération. Elle est équipée de 16 missiles de croisière marins d’une portée de 1000 km, ce qui lui permettrait d’atteindre la Syrie. Elle a par ailleurs fait l’objet d’un survol agressif de la part d’avions de chasse russes le mardi 10 avril, ce qui montre que les forces russes considèrent la possibilité que ce bâtiment puisse être choisi pour mener les frappes. Le destroyer USS Donald Cook était du reste à Larnaca le lundi 9 avril.
De plus, le groupe aéronaval USS Harry S. Truman, parti le jeudi 12 avril de Virginie, arrivera bientôt sur place. Les Britanniques disposent à Chypre d’une base militaire aérienne à Akrotiri. Les avions américains viendraient d’al-Udeid, au Qatar. En somme, la coalition occidentale semble en mesure de déclencher un feu de l’enfer.
Pour autant, l’annonce faite par le président américain de frappes de missiles « beaux, nouveaux et intelligents » en Syrie a été suivie d’un revirement 24 heures plus tard. Désormais, selon Donald Trump l’attaque, « pourrait [être] très prochaine ou pas si prochaine du tout ». Outre le ton cavalier employé pour décrire une entrée dans un conflit qui fera probablement des dizaines de morts, l’approche présidentielle semble décalée par rapport à la prudence de ses alliés et de ses propres forces armées. Le président Macron a quant à lui été plus tempéré : « Nous aurons des décisions à prendre en temps voulu, quand elles seront le plus efficaces ». Theresa May se montre plus incertaine encore : « Aucune décision n’a été prise » a-t-elle déclaré. Les Allemands ont quant à eux indiqué qu’ils ne participeraient pas aux éventuelles frappes.
Donald Trump, Emmanuel Macron, Theresa May, Bachar Al Assad, Vladimir Poutine : déconfliction et déni d’accès ?
Les objectifs visés sont limpides : il s’agirait des centres cachant l’arsenal chimique syrien et des aéroports militaires. Hier, plusieurs bases et aéroports militaires syriens ont été évacués. En particulier, le centre de recherche militaire de Jomrayah, dans la Ghouta, est particulièrement désigné par l’opposition comme une cible potentielle.
Au reste, la question de la coordination entre alliés se complexifie avec ce genre d’opérations interarmes et interarmées. Si les Américains ont la capacité de frapper seuls, ils devraient se coordonner avec les forces françaises. La composante navale semblerait être privilégiée par les Américains. Les Français, habitués à frapper la Syrie avec des bombes portées par Rafales, pourraient préférer la composante aérienne, plus sûre en terme d’impact sur l’objectif mais également plus risquée en termes de pertes humaines. Du fait de cette divergence, l’hypothèse d’un raid commun est peu probable. Celle d’un raid coordonné l’est beaucoup plus. Cette coordination implique une fine déconfliction, visant à acquérir l’assurance que les opérations françaises et américaines ne se gênent pas mutuellement dans les airs.
En effet, l’imbrication des forces russes avec les forces syriennes complique la désignation d’objectifs. Le déploiement de systèmes anti-aériens S-400 dans la région de Damas et de Tartous pourrait dénier l’accès des forces de la coalition au territoire syrien. Des échanges entre les États-majors ont évidemment lieu pour éviter tout risque d’escalade ; la possibilité que les cibles soient communiquées à l’avance aux Russes demeure un enjeu.
Les positions diplomatiques russes
Il est du reste intéressant de voir à quel point les discours russes nient l’existence de toute attaque chimique à Douma le 7 avril. Cela concerne même le ministre des affaires étrangères, certes coutumier des dénégations, Sergueï Lavrov. Si l’on suit les services occidentaux, pas une once de confiance ne peut être accordée aux dires russes. La dénégation russe a permis au Kremlin de surenchérir face à Trump, en annonçant envisager détruire les missiles en route vers le sol de Syrie. Plus encore, il a été fait mention de la possibilité de détruire la source même des missiles : les vecteurs. La Russie irait-elle jusqu’à détruire un avion ou navire de la coalition qui s’apprêterait à frapper, fût-il américain ou français ? Cette hypothèse est tout de même difficilement concevable, tant les réactions pourraient cette fois-ci dégénérer vers un scénario du pire. De nombreux bâtiments russes ont en tout cas quitté aujourd’hui leur base de Tartous pour les eaux environnantes. L’on parle de l’Admiral Grigorovich, de l’Amur, du Ropucha…
Conséquences attendues si des frappes se produisaient : un regain de tensions internationales
L’attaque au chlore sur la Ghouta orientale n’est pas un fait nouveau. Depuis 2012, des dizaines d’attaques ont été rapportées par les rebelles syriens – avec des degrés variables de véracité. Depuis le franchissement sans conséquence de la ligne rouge en 2013, le régime syrien en a fait une spécialité. Ces attaques constituent une provocation pour la communauté internationale, mais elles répondent également à un objectif stratégique : terrifier la population civile jusqu’à provoquer sa fuite. Le massacre de la Ghouta, le 21 août 2013, tuant plusieurs centaines de civils, principalement des femmes et des enfants, reste un jour noir pour la Syrie, et pour les chancelleries occidentales.
Ces frappes marquent encore le risque d’une escalade du conflit qui conduirait inexorablement à un affrontement armé de grande ampleur. Elles marquent surtout l’échec des diplomaties occidentales qui ont perdu leur marge de manœuvre sur le dossier syrien et sont réduites à appliquer des frappes punitives sans stratégie de long terme. Le scénario serait donc similaire à celui du bombardement ayant fait suite à l’attaque de Khan Sheikhoun en avril 2017 : une frappe sans conséquence n’atteignant pas l’effet final recherché, l’arrêt des attaques chimiques par le régime syrien contre des populations civiles.