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Le « centre Wagner » ouvre ses portes à Saint Pétersbourg
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La récente révélation faite par l’oligarque russe Evguéni Prigojine de sa paternité du groupe Wagner, et l’ouverture du « centre Wagner » à Saint Pétersbourg le 4 novembre 2022 sont interprétées comme un changement de stratégie conséquent. Identifié depuis 2014 comme un groupe paramilitaire fournissant un service de sécurité à des États dans le cadre des intérêts de l’État russe, la société militaire a entretenu un mystère autour de ses activités hybrides ; elle dispose de nombreuses branches et sociétés associées qui lui ont permis de maintenir le secret sur ses méthodes et ses objectifs.

Ce secret était jusqu’alors interprété comme lié à l’interdiction de la pratique du mercenariat par l’article 359 du code pénal russe, disposant que « le recrutement, la formation, le financement ou tout autre soutien matériel d’un mercenaire, ainsi que son utilisation dans un conflit armé ou dans des actions militaires » est puni d’une peine privative de liberté de douze à dix-huit ans, avec ou sans restriction de liberté[1]. Toutefois, l’actualité du groupe Wagner en Afrique, en Ukraine ou au Venezuela, a révélé les méthodes expéditives de ses mercenaires, par leurs implications dans de nombreuses exactions signalées dans la presse.

Si le groupe Wagner entretient le secret quant à ses fins, il ne manque pas d’afficher fièrement ses résultats et ses méthodes parfois illégales, sans aucun complexe sur les divers comptes de réseaux sociaux. Une telle publicité ne semble pas cohérente avec une prétendue volonté de garder absolument le secret. Le simple rappel de l’affaire du charnier de Gossi[2], au Mali, dont la mise en scène grossière fut révélée rapidement par la France, montre que l’objectif du groupe est surtout de désinformer des populations qui lui sont déjà acquises. Cette communication à deux vitesses témoigne d’une volonté de garder une apparence d’efficacité, consciente que les États faisant appel au groupe le font aussi pour ses méthodes expéditives. L’exemple de la République centrafricaine et du Mali, par les échos des opérations du groupe pour ces États, montre que les gouvernements des deux pays et leurs populations respectives considèrent que la violence est un gage d’efficacité. Ce marketing de la violence faisait peser sur le groupe l’article 359 du code pénal russe précédemment évoqué.

Toutefois, c’est au-delà des activités mercenaires du groupe Wagner que semblent se situer ses intérêts. En juillet dernier, le journaliste Dimitri Zufferey a montré dans une enquête pour la RTS que l’entreprise d’exploitation forestière centrafricaine Bois Rouge est une société écran du groupe d’Evguéni Prigojine. La  prédation des matières premières du groupe Wagner repose sur la multiplication de sociétés écrans qui collaborent à la fois à l’acquisition de secteurs entiers de l’économie et à la prise de contrôle illégal de territoires[3] . Dans le cas de l’entreprise Bois rouge, il s’agit d’une surface forestière de 187 000 hectares à proximité de Bangui, la capitale centrafricaine, mais ce sont des secteurs entiers, comme celui du diamant dans le même pays, que convoite la société militaire privée, comme l’a montré le rapport du collectif de journalistes All Eyes On Wagner [4]. Ce rapport met en évidence les liens entre la société Diamville, un regroupement d’entreprises de la filière du diamant, et les représentants locaux de Wagner[5]. Ce procédé semble avoir été appliqué à l’or malien, qui suscite la convoitise d’experts et d’entreprises liés aux diverses sociétés de la nébuleuse Prigojine en République centrafricaine [6].

Ces vieilles méthodes sont-elles déjà dépassées pour le groupe Wagner ? La reconnaissance récente par Prigojine de sa paternité du groupe et l’ouverture du centre à Saint Pétersbourg pourrait aller dans ce sens, mais on peut l’interpréter autrement. Le centre Wagner montre tout d’abord que l’article 359 du code pénal russe n’est plus, ou n’a jamais été une menace pour les activités du groupe Wagner. Ensuite, on peut interpréter ce volte-face comme une volonté d’Evguéni Prigojine d’agir politiquement, en recentrant ses efforts sur la guerre en Ukraine. Cette nouvelle direction est confirmée par le transfert de mercenaires engagés en Libye, en République centrafricaine et au Mali vers le front ukrainien[7]. Malgré ces transferts, l’Afrique de l’ouest demeure une cible privilégiée pour le groupe, encore très actif en République centrafricaine, au Mali, et au Burkina Faso selon le président de la République du Ghana Nana Akufo-Addo [8].

A l’heure des difficultés de l’armée russe face à l’Ukraine, Prigojine est très critique vis-à-vis des généraux russes. Ces difficultés russes contrastent avec l’influence grandissante de l’oligarque, dont le centre affiche une image moderne de laboratoire des nouvelles technologies de l’armement [9]. La déclaration de Prigojine, dans son communiqué publié sur son compte VKontakte : “La mission du Centre PMC Wagner est de fournir un environnement confortable pour générer de nouvelles idées afin d’améliorer la capacité de défense de la Russie, y compris dans le domaine de l’information…” montre une autre facette du groupe, au-delà de son aspect paramilitaire. Le groupe Wagner a toujours eu un rôle de producteur et de vecteur de désinformation, Prigojine étant par ailleurs depuis 2013 à la tête de « l’usine à troll » Internet Research Agency (IRA), une organisation russe de diffusion de propagande sur Internet.

Cette désinformation, souvent très efficace sur les réseaux sociaux, invite à s’interroger sur la composition actuelle du groupe Wagner. Le groupe paramilitaire du milieu des années 2010 s’est développé de telle sorte que le mercenariat proposé par le groupe n’est plus que la composante médiatique d’une nébuleuse dont les fins demeurent opaques. Ce service proposé par le groupe masque des activités de renseignement, de désinformation, de prédation des matières premières, de blanchiment d’or et de diamants.

L’inauguration du centre Wagner à Saint Pétersbourg est surprenante car elle met la lumière sur un groupe jusqu’alors resté dans l’ombre. Elle rappelle aussi que malgré la corrélation entre les volontés de Vladimir Poutine et celles d’Evguéni Prigojine depuis la création du groupe Wagner, ce dernier est un homme d’affaires à la tête d’une entreprise dont l’objectif est de réaliser un profit.


[1] 13 juin 1996 N 63-FZ, code pénal de la fédération de Russie. http://www.consultant.ru/document/cons_doc_LAW_10699/
[2] « Charnier de Gossi au Mali: l’armée française réfute les accusations maliennes », RFI (AFP), 29/04/2022.
[3] « Quand les mercenaires russes de Wagner déboisent la forêt centrafricaine », Dimitri Zufferey, RTS, le 27 juillet 2022, https://www.rts.ch/info/monde/13264727-quand-les-mercenaires-russes-de-wagner-deboisent-la-foret-centrafricaine.html.
[4] “CAR: Prigozhin’s Blood Diamonds”,  All Eyes On Wagner  – December 2022
[5] « En Centrafrique, le groupe Wagner étend son emprise sur le secteur du diamant », Justine Brabant et European Investigative Collaborations (EIC), 02/12/2022.
[6]« Mali : comment Wagner compte faire main basse sur des mines d’or » ; Benjamin Roger, Jeune Afrique, 07/09/22.
[7] « Moscou redéploye sur le front ukrainien des mercenaires du groupe Wagner présents en Afrique », Franceinfo, 31/03/2022.
[8] “Le Ghana dénonce la présence de mercenaires Wagner au Burkina Faso”, Cyril Bensimon, Le Monde, 16/12/22.
[9] Russie : le groupe Wagner inaugure un centre consacré aux “technologies de défense”, TV5 Monde, 05/11/22.

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